Vieillir dans les Outre Mer :
un passionnant rapport de deux députées
Si le vieillissement de la population constitue un véritable enjeu partout en France, il revêt toutefois une dimension toute particulière dans les départements d’outre-mer. C’est ce que montre avec forces détails le rapport parlementaire « Le grand âge dans les outre-mer » rendu public le 6 février.
Le 6 février dernier, deux députées, Stéphanie Atger (LREM – Essonne) et Ericka Bareigts (PS – La Réunion) présentaient à l’Assemblée nationale un Rapport d’information sur « le grand âge dans les outre-mer ». Objectif ? « Réaliser un état des lieux détaillé de la prise en charge de la dépendance et des besoins à venir » dans ces territoires notamment en prévision de la future Loi Grand Âge et Autonomie.
Mais on aurait tort d’appréhender l’outre-mer de manière globale car les situations démographiques ne sont pas identiques dans les territoires ultra-marins. En Guadeloupe et Martinique notamment, la transition démographique a pris deux formes : un gain brutal de l’espérance de vie depuis les années 60 et une chute vertigineuse de la natalité puisque de 5 à 6 enfants par femme au début des années 60, on est passé à un niveau de 2 enfants par femme aujourd’hui.
Les Antilles : un choc démographique
Ainsi, d’ici 2030, le nombre de personnes âgées dépendantes devrait doubler aux Antilles. Et à horizon de 2050, la situation sera plus complexe encore puisque la Martinique sera devenu le département le plus vieux de France (alors qu’il est en 73ème position aujourd’hui…) et que son taux de personnes âgées de 65 ans et plus sur la population totale sera passé de 17% en 2013 à 42%. La Guadeloupe sera, quant à elle, passé du 86ème rang en 2013 au 6ème rang des départements les plus âgés de France.
Bien plus que le Limousin, l’Auvergne ou la région PACA, ce sont les Antilles qui seront dans les 30 ans qui viennent les territoires les plus touchés par un vieillissement brutal et accéléré. Une situation aggravée par deux autres phénomènes : le départ massif des jeunes qui partent en Métropole ; le départ des plus aisés qui amplifie plus encore la paupérisation de la population qui reste. Des populations âgées, pauvres confrontées à une émigration de plus en plus importante des jeunes : voilà un cocktail explosif qui ne ressemble en rien à la douceur d’un Ti’ punch… La Réunion, même si elle conserve encore un taux de fécondité plus élevé se rapproche de la configuration des Antilles.
A l’inverse, le rapport parlementaire note que la situation de la Guyane, de la Nouvelle Calédonie ou de Mayotte demeure bien différente puisque la population y est encore très jeune et la démographie dynamique. Ce même Rapport fait un tour de toutes les autres collectivités : Wallis et Futuna, Saint Martin et Saint Barth, la Polynésie, Saint-Pierre-et-Miquelon… Bref : de passionnantes monographies qui n’ont pas eu, à notre connaissance, de précédents dans un rapport parlementaire.
Des ultra-marins pauvres et en mauvaise santé
Les ultra-marins ne vont pas seulement vieillir : ils vont le faire dans un contexte de santé publique tout à fait particulier. Car ici, tous les indicateurs sont au rouge. Surcharge pondérale plus importante, nombre d’AVC bien supérieur, diabète élevé, santé bucco-dentaire dégradée, espérance de vie plus faible qu’en Métropole : l’état des lieux est objectivement dramatique.
Dans un tel contexte, la prévalence de la dépendance est aussi plus forte ici qu’en Métropole. Pour 100 séniors supplémentaires entre 2015 et 2050, la Métropole comptera 18 personnes en perte d’autonomie en plus contre 28 supplémentaires dans les Outre-Mer.
Plus prompte à être dépendante, en plus mauvaise santé, la population ultra-marine est en outre bien plus pauvre puisque 20% des retraités y perçoivent le minimum vieillesse (l’ASPA) contre seulement 4% des retraités en Métropole.
Face à ces défis, les députées estiment que dans ces territoires, la prise en charge de la dépendance « reste à inventer ».
Les Ehpad en Outre-Mer : la triple peine
Car l’offre d’Ehpad y est aussi triplement caractérisée: insuffisante, inadaptée et socialement inaccessible…
Insuffisante à coup sûr puisque le taux de lits d’Ehpad pour 1000 personnes de plus de 75 ans, alors qu’il est de 98 en Métropole, n’est que de 25 en Guadeloupe, de 39 en Martinique et de 42 à la Réunion.
Inadaptée en raison d’un parc vieillissant. La mission parlementaire a ainsi reçu le témoignage d’un Ehpad en Guadeloupe « de chambres à 4 lits dotées d’une douche pour 8 résidents ».
Inaccessible enfin car leur rareté pousse les prix vers le haut. Résultat : des établissements pourtant majoritairement délabrés pratiquent des tarifs qui sont en moyenne de 2.100€, soit l’équivalent des moyennes constatées en Ile-de-France ou en région PACA…
Et si les opérateurs investissaient en Outre-Mer ?
Au final, autant ce Rapport est passionnant dans ces constats, autant il tombe à plat dès lors qu’il s’agit d’aligner les propositions. Une quarantaine de préconisations se succèdent dont la majeure partie n’a pas grand chose à voir avec la spécificité des territoires dont il s’agit. Certaines sont d’une banalité déconcertante quand d’autres sont très générales.
Mais peu importe : l’essentiel est d’avoir mis l’accent sur une problématique qui n’avait que trop peu été traitée jusqu’ici. Les deux députées avaient aussi en tête de peser dans les débats pour que l’outre-mer et ses spécificités soient bien prises en compte dans la future Loi Grand Âge : ce rapport devrait y contribuer.
Il pourrait aussi contribuer à sensibiliser les opérateurs eux-mêmes qui sont bien peu nombreux à avoir investi dans ces territoires. Exception notable : la Fondation Partage & Vie fortement présente en Martinique et en Guadeloupe. Pour Dominique Monneron, son directeur général, cette présence dans les Outre-Mer « est le résultat d’une stratégie de long terme ». Une stratégie « que nous venons d’ailleurs de consacrer, poursuit-il, en nommant tout récemment dans notre Conseil Patrick Houssel qui fut de 2016 à 2018 le directeur général de l’ARS Martinique ». Dans le même état d’esprit, le tout-puissant président de la Collectivité Territoriale de Martinique avait signé en octobre 2018 avec France Silver Eco une convention pour promouvoir le développement de la Silver Economie sur le territoire martiniquais. Histoire de faire d’une évidence, le vieillissement démographique des Antilles, une opportunité plutôt qu’une catastrophe.
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