Un an après : le service après-vente du rapport El Khomri
Un an après la remise du rapport El Khomri, voilà Michel Laforcade, ancien directeur de l’ARS Nouvelle-Aquitaine, chargé par le Gouvernement d’une mission sur les « métiers de l’autonomie ». Enième rapport ou mise en œuvre concrète des recommandations El Khomri ? Michel Laforcade nous répond.
Ce ne serait pas Michel Laforcade que les quolibets auraient aussitôt fusé : « Quoi ?!! Encore une mission ? Une mission qui succède qui plus est à une autre mission sur le même thème ? Mais de qui se moque t-on ? ». Oui mais voilà, la mission est confiée à… Michel Laforcade. Soit une des personnalités les plus respectées du secteur médico-social depuis 20 ans.
Diplômé de l’école de Rennes, directeur de la DDASS de Dordogne et des Landes, directeur de l’ARS Limousin puis de Nouvelle-Aquitaine, auteur de nombreux ouvrages dont le fameux « Penser la qualité dans les institutions sanitaires et sociales », il a, à 64 ans, décidé de prendre sa retraite en août dernier. Même pas le temps de prendre une canne à pêche que le voilà réquisitionné par un Etat qu’il aura tant servi pendant 40 ans. Laforcade, c’est un peu comme Piveteau ou Libault, la certitude d’un travail bien fait, efficace et pragmatique. Bref, le genre de type qui n’a pas l’habitude de faire des rapports pour rien.
“Cette mission est née de la volonté d’accélérer les choses puisqu’on n’attend pas le contenu de la Loi pour commencer à travailler.” |
Oui mais… que vient-il faire dans cette galère ? Pourquoi accepter une mission sur les « métiers de l’autonomie » alors même que le secteur attend désespérément depuis un an la mise en œuvre des 60 recommandations du rapport El Khomri ? Car, souvenons-nous. Fin octobre 2019, l’ancienne ministre de François Hollande remet des propositions à Agnès Buzyn qui promet qu’elle va réunir immédiatement une « Conférence sociale » chargée de rendre ces mesures directement applicables. Cette Conférence, on l’attendra des mois sans que rien ne vienne. Du coup, c’est la Covid qui est venue avec, en conséquence, une séquence sociale, le Ségur de la Santé, qui a éclipsé le « SAV » du rapport El Khomri. Et voilà qu’un an après, en guise de « conférence sociale », on se retrouve avec … une nouvelle mission.
Et dans quelles conditions ? Car en réalité cette mission Laforcade est née dans la plus grande confusion suite à un coup de Jarnac de la Secrétaire d’Etat au handicap, Sophie Cluzel. En colère que ses troupes ne soient pas dans le champ du Ségur de la Santé – ni primes, ni augmentation en effet pour les salariés du secteur du handicap – elle est revenue dans le jeu lors de la Conférence Interministérielle du Handicap du 18 novembre qui n’aura jamais aussi mal portée son nom puisqu’elle s’est déroulée en présence… d’une seule ministre. Elle. Et c’est là, en l’absence d’Olivier Véran et de Brigitte Bourguignon, qu’elle a annoncé une mission sur les « métiers de l’autonomie » et non plus « du grand âge »… Ce qui pose tout de même un léger problème, les sujets n’ayant objectivement pas grand-chose à voir. Le secteur de l’âge possède des conventions collectives rase-mottes par rapport au secteur du handicap. Et les problèmes de ratios comme d’attractivité ne se posent pas dans les mêmes termes.
Mais voilà désormais Michel Laforcade en mission. Et comme il est tout sauf sourd et naïf, il a compris qu’il avait désormais intérêt à convaincre les fédérations – qu’il connaît bien – que son job consistait bien à rendre effectives les recommandations de Myriam El Khomri et non à pondre un énième rapport. C’est d’ailleurs le sens de l’interview qu’il a bien voulu accorder au Mensuel des Maisons de Retraite.
Michel Laforcade
Le MMR : Un an après le rapport El Khomri, qu’attendre de la mission que vient de vous confier le Gouvernement ?
Michel Laforcade : Je comprends les interrogations de certains mais il ne faut pas se méprendre : il ne s’agit pas de produire un énième rapport. Avec les rapports de Myriam El Khomri et de Dominique Libault, nous disposons de bilans et de propositions remarquables. Ce qu’il faut maintenant, c’est mettre en mouvement ces propositions et tous les dispositifs qui peuvent être utiles sur un périmètre très précis : l’amélioration de l’attractivité des emplois de l’autonomie.
Cette mission est née de la volonté d’accélérer les choses puisqu’on n’attend pas le contenu de la Loi pour commencer à travailler. Mme El Khomri avait elle-même fait le bilan de ce qui devait relever du législatif ou du règlementaire dans ses propositions. Quelques points législatifs seront vraisemblablement intégrés dans la Loi mais ce n’est pas l’essentiel de ce dont nous avons besoin pour avancer.
Le MMR : Cette mission a été annoncée dans le cadre du CIH et ouvre la question aux « métiers de l’autonomie », incluant grand âge et handicap. Comment gérer les spécificités de chacun de ces secteurs au sein d’une mission unique ?
M.L. : Quantitativement, l’essentiel des métiers de l’autonomie appartient au champs des personnes âgées, très déficitaire. Mais le secteur du handicap rencontre lui aussi des difficultés en termes d’attractivité. Les deux secteurs ont donc des problématiques communes !
Et l’une des voies d’avenir pour ces professionnels c’est de pouvoir œuvrer tantôt dans un champ, tantôt dans l’autre, en créant des passerelles … même si elles ne doivent pas se faire dans n’importe quelles conditions et à tout prix.
Ce sera à moi et à l’équipe qui va m’accompagner de ne jamais oublier les spécificités propres à chaque secteur durant la mission.
Le MMR : Le rapport El Khomri a beaucoup mis l’accent sur la nécessaire lutte contre la sinistralité dans ces métiers. Cela fera-t-il partie des sujets que vous allez traiter en priorité ?
M.L. : Sur le champ des priorités, j’ai envie de dire que tout sera prioritaire. Et ce n’est pas qu’une formule ! On est incapable de dire ce qui crée le plus d’attractivité donc il faut absolument jouer sur tous les registres. C’est cet ensemble-là qui fera système et qui j’espère permettra d’accroitre considérablement l’attractivité de ces métiers.
S’ils deviennent plus attractifs, de plus en plus de gens se présenteront, se formeront, il y aura de moins en moins de postes vacants et la qualité de vie au travail s’améliorera… ce qui améliora encore l’attractivité de ces métiers. Le champ de la formation est un axe essentiel qui doit nous permettre de passer d’un cercle vicieux à un cercle vertueux.
Je trouve regrettable par exemple qu’on n’ait pas été capable, dans notre secteur, d’utiliser plus largement l’apprentissage qui a beaucoup de qualités. La VAE doit également se développer car elle offre des perspectives d’évolution aux professionnels eux-mêmes. Rentrer dans un métier en se disant que 40 ans plus tard on fera toujours le même métier, je ne suis pas sûr que cela attire les générations actuelles.
Le MMR : Comment vont s’organiser les semaines et mois à venir ?
M.L. : Avec une équipe de 3-4 personnes que nous sommes en train de recruter, nous allons constituer un Comité de pilotage avec tous les acteurs concernés pour former, thème par thème, des groupes de travail. Non pas pour refaire le monde mais pour centraliser toutes les propositions de solutions concrètes. Je souhaite mettre en mouvement chaque thématique dès les premières semaines pour que cela fasse un ensemble cohérent dans 6 mois avec le plus de résultats possibles.
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