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10 mars 2022

Troubles psychiatriques en Ehpad : l’angle mort des politiques publiques

Alors que les résidents atteints de troubles psychiatriques vont être de plus en plus nombreux en Ehpad, aucune politique publique n’a encore vu le jour sur le sujet, laissant les professionnels et les médecins coordonnateurs un peu livrés à eux-mêmes.

Les patients atteints de troubles psychiatriques sont de plus en plus nombreux dans les Ehpad et le phénomène risque bel et bien de s’amplifier dans les années à venir. Le vieillissement de cette population, l’incapacité des hôpitaux à la prendre en charge dans la durée, ainsi que l’inadaptation des structures d’accompagnement pour personnes handicapées, ne va, en effet, pas cesser d’accélérer le phénomène. Pourtant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, aucune politique nationale n’a encore vu le jour pour répondre à cette problématique et l’offre de soin demeure très inégale selon les territoires.

Les médecins coordonnateurs se retrouvent donc en première ligne et connaissent les plus grandes difficultés pour « gérer » ces résidents d’un nouveau genre. Ces derniers sont généralement envoyés aux établissements par deux voies. La première est celle des hôpitaux psychiatriques. « Dans ce cas, le diagnostic est généralement bien établi et nous connaissons les causes des troubles. En revanche, les choses sont plus complexes pour les résidents qui viennent du domicile, car nous ne percevons pas vraiment les pathologies à l’œuvre. Cette démarche est d’autant plus difficile que les psychiatres sont rares et difficilement mobilisables pour établir ce diagnostic », explique Pascal Meyvaert, médecin coordonnateur en Alsace. Mais même quand ce fameux diagnostic est établi, l’accueil de ces résidents s’avère un véritable défi.

Médecin coordonnateur en région parisienne, Monique Le Blevec accueille plus de 70 % de résidents atteints de troubles psychiatriques au sein de son Ehpad, certains souffrent de schizophrénie, d’autres de psychose hallucinatoire chronique ou de personnalités borderline. Ces résidents sont plus jeunes, un peu plus de 65 ans en moyenne et sont donc amenés à rester de longues années en Ehpad. Il faut par conséquent apprendre à gérer ces maladies chroniques, d’autant que les symptômes sont très fluctuants, passant d’une situation d’équilibre à un déséquilibre. « Ce changement perpétuel doit être attentivement suivi, de façon à anticiper les situations de crise et réajuster les traitements. Cela nécessite une adaptation quotidienne du personnel soignant ». D’autre part, il s’agit d’un public très chronophage, parfois violent, « la distribution des médicaments est par exemple très fastidieuse car on se heurte à de nombreux refus et il faut sans cesse négocier. Dans ces conditions, l’accompagnement est presque obligatoirement personnalisé et très spécifique ». Et le problème est que le personnel, médecin coordonnateur compris, n’est généralement pas préparé pour faire face. « Les professionnels sont peu habitués à ces pathologies, ils sont très perturbés par ce type de comportement et refusent parfois de les prendre en charge ou peuvent avoir, en réponse, des attitudes proches de la maltraitance. Il conviendrait donc de faire un gros effort pour les former, car aujourd’hui, nous sommes proches du néant », affirme Pascal Meyvaert.

Repenser les financements

Mais la formation ne fait pas tout. La prise en charge de ce type de résident réclame une organisation sans faille qui n’est pas à la portée de tous les Ehpad. Selon Alexandra Choquet, médecin coordonnateur en région parisienne, il convient que les personnels soient, à défaut d’être formés, fortement sensibilisés à la prise en charge spécifique de ce type de public et cela suppose un travail d’équipe. « Cette mobilisation collective concerne tous les personnels, même non soignants, qui doivent respecter les rituels de ce type de résident ». De plus, des ressources internes semblent absolument incontournables. « Le psychologue est par exemple essentiel pour assurer un suivi au quotidien et être référent pour les personnels soignants qui peuvent détecter les prémices d’une crise. » Autant de professionnels en plus qui soulèvent le problème de leur financement, tant il est difficile d’estimer le besoin en soin que nécessite ces résidents. « L’outil Pathos ne permet pas actuellement d’évaluer et prendre en compte les besoins nécessaires à la prise en charge de ce type de résidents. Alors que dans les hôpitaux psychiatriques, les ratios de personnels sont bien plus élevés pour les accompagner, Pathos ne nous octroie que des moyens ridicules. » affirme Pascal Meyvaert.

Un soutien psychiatrique indispensable

Pour faire face, certains établissements ont carrément décidé de bouleverser leur organisation interne. C’est le cas de l’Ehpad Saint- Barthélémy à Marseille qui a créé une unité séparée visant à accueillir ce type de résidents avec des personnels spécifiquement formés. « Celle-ci reste ouverte sur l’établissement et les résidents peuvent participer aux activités collectives de l’Ehpad. Nous tenons absolument à ce que cette unité reste un lieu de vie », précise Olivier Quenette, le directeur de l’établissement. Il faut également préciser que la fameuse unité bénéficie de l’intervention de psychiatres libéraux qui assurent un véritable suivi thérapeutique.

Car il ne faut pas se leurrer : malgré tous les efforts de formation et d’organisation des établissements, les médecins ne pourront jamais se transformer en psychiatre et les soutiens extérieurs demeurent indispensables. Ces derniers peuvent alors prendre des formes très différentes. « Nous avons la chance de pouvoir faire appel à une équipe mobile de psychiatrie qui intervient à la demande pour gérer les situations les plus lourdes. Elle nous est d’une très grande utilité, même si son temps d’intervention est parfois trop court », raconte par exemple Jean-Paul Duplan, médecin coordonnateur en région parisienne. Une formule utile mais qui ne suffit sans doute pas. La plupart des Ehpad préfère en effet nouer des liens beaucoup plus formels avec l’hôpital psychiatrique de proximité pour assurer leurs arrières, si la situation venait à brusquement se dégrader. Ainsi, l’Ehpad Saint-Barthélémy a passé une convention personnalisée pour chacun des résidents avec les hôpitaux psychiatriques qui leur envoie des malades, à charge pour eux de les reprendre provisoirement en cas de crise. Au-delà de ce type de convention, Alexandra Choquet organise également au sein de l’Ehpad des réunions de concertation pluridisciplinaires régulières avec les psychiatres de l’hôpital le plus proche et donne la possibilité à ses résidents de consulter à l’extérieur.

Cette coopération renforcée avec le secteur psychiatrique n’a cependant pas lieu partout et l’élaboration d’une véritable politique nationale, qui intègre une évolution des Ehpad, devient de plus en plus incontournable. Plusieurs ARS, notamment en Ile-de-France (voir dossier p.14 et 15) et en PACA, sont en train de cogiter sur le sujet pour proposer des modèles à l’échelle régionale, en espérant que très rapidement le ministère prenne enfin le relai, en s’inspirant peut-être de ces différentes initiatives.


Combien sont-ils ?

Il n’existe pas de chiffres nationaux sur la population présentant des troubles psychiatriques et résidant en Ehpad mais quelques données nous permettent de prendre la mesure du phénomène. Selon une étude réalisée par l’Université de Paris et le Centre de Ressources régional de psychiatrie du sujet âgé, dont les premiers résultats ont été publiés en juin, sur une cohorte nationale de 353 patients schizophrènes âgés de plus de 65 ans, 35 % résident en Ehpad. Des chiffres bien supérieurs à ceux constatés aux Etats-Unis (15%) ou au Danemark (moins de 10 %) dans des études similaires. Les chiffres sont encore plus spectaculaires concernant la dépression, une pathologie qui atteint entre 40 et 50 % des résidents en Ehpad, sans parler de l’alcoolisme qui est encore tabou dans bien des établissements.


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