Top 15, le classement 2020 des groupes privés d’Ehpad
Faute d’autorisations nouvelles en France, les grands groupes se développent désormais massivement en dehors de nos frontières donnant à la France un rôle majeur partout en Europe et désormais en Amérique du Sud. Dans l’Hexagone, l’actualité a surtout été marquée par des changements d’actionnaires au sein de groupes (Emera, Domidep), qui conservent leur management historique.
Depuis 1998, le Mensuel des Maisons de Retraite publie chaque année son traditionnel classement des groupes commerciaux d’Ehpad, qui permet de mesurer le poids respectif de chacun des acteurs. Pour la première fois depuis 22 ans, nous avons décidé d’adopter un nouveau parti-pris : établir ce classement en fonction des établissements « all over the world » et non pas seulement en fonction du nombre d’Ehpad installés en France.
Ehpad “all over the world”
Pourquoi ? Tout simplement parce que nombre de groupes français ont désormais plus d’établissements à l’étranger qu’en France. Quand il y a 10 ans, un PDG de groupe avait comme interlocuteur habituel le directeur Autonomie d’une Agence Régionale de Santé ou un vice-président de conseil général, désormais, il discute avec un ministre chilien, un maire de la banlieue de Moscou ou un vice-ministre chinois. Une évolution somme toute assez paradoxale : alors que ces grands groupes sont régulièrement l’objet dans les médias français d’attaques « à la mode Elise Lucet », la qualité de leur approche est saluée et souhaitée partout ailleurs dans le monde. Ici on leur crache dessus, là-bas on leur ouvre les bras : difficile dès lors de ne pas avoir ce prisme international notamment lorsque les autorisations sont de toute façon bloquées encore pour un moment dans l’hexagone.
Sur les 15 premiers groupes français, 7 ont désormais plus de lits à l’étranger qu’en France. Pour 100 lits en France, DomusVi en compte 121 à l’étranger, Korian 180, Vivalto 208, Orpéa 221, Colisée 227 et Maisons de Famille… 1230. Raison pour laquelle les groupes comptent parfois un dirigeant « Monde » et un dirigeant « France ». Sophie Boissard (Korian), Jean-Claude Brdenk (Orpéa), Sylvain Rabuel (DomusVi) ou Philippe Tapié (Maisons de Famille) ont pour horizon la planète entière. Tandis que Charles-Antoine Pinel, Jean-Christophe Romersi, Eric Eygasier et Delphine Mainguy gèrent dans les mêmes groupes les établissements situés en France.
Du coup, les opérateurs français commencent à prendre une importance majeure dans certains pays. En Belgique, les groupes français gèrent ainsi plus de 32.000 lits sur les 140.000 que compte le plat pays ! En Allemagne, près de 50.000 lits appartiennent à des français. Et en Espagne, 7 opérateurs français se partagent la bagatelle de 44.000 lits. Résultat : Korian est non seulement leader du secteur privé en Belgique mais est devenu également n°1 en Allemagne. En Espagne, c’est DomusVi qui a acquis ce statut envié de « el numero uno » du secteur privé après avoir racheté successivement Geriatros et SARquavitae et compte désormais deux fois plus de lits que le second opérateur.
Si les pays limitrophes de la France ont naturellement été la cible des groupes d’ici (on peut aussi citer des implantations françaises aux Pays-Bas ou au Portugal), on assiste depuis quelque temps à un élargissement géographique étonnant. Évidemment, il y eut la promesse de l’Eldorado chinois. Mais tout le monde en est revenu. Si le groupe Colisée de Christine Jeandel est parvenu à ouvrir deux établissements à Canton et Schenzhen, Orpéa se contente pour l’heure de gérer les 140 lits de son établissement de Nankin. DomusVi quant à lui, après avoir fait un petit tour à Xi’an, s’en est allé doucement, probablement convaincu que l’Empire du Milieu recelait plus de complications que d’espoirs.
On se souvient aussi que Orpéa avait décidé voici quelques années de regarder vers l’Est (Pologne, Autriche, République tchèque). Mais le groupe basé à Puteaux a poussé cette année encore plus loin vers l’Est, direction la Place Rouge. Avec un établissement de soins de suite et bientôt une maison de retraite, Orpéa est à présent installé à Moscou.
Mais c’est désormais en Amérique Latine que la France joue les conquistadors. DomusVi et Orpéa s’y jouent en effet une guerre de vitesse. Alors que le groupe de Sylvain Rabuel est aujourd’hui présent au Chili, en Colombie et en Uruguay avec déjà au total 1.425 lits, Orpéa est implanté au Brésil, en Uruguay et au Chili. Enfin, en Amérique du Nord cette fois, Sedna continue de gérer ses établissements canadiens acquis voici plus de 10 ans.
En cette année 2019, c’est tout de même le groupe Colisée qui aura réussi la percée la plus impressionnante à l’étranger. Le groupe de Christine Jeandel, par ailleurs nouvelle présidente du Synerpa, est passé de 9.300 lits hors de France fin 2018 à 16.800 lits fin 2019 : un quasi-doublement.
Ainsi font les fonds
Revisitant ce Top 15 en comptabilisant le nombre total de lits en et hors de France, le changement n’affecte au fond que trois groupes. Au lieu d’obtenir une honnête 13ème place, Maisons de Famille, le groupe appartenant au fonds d’investissement de la famille Mulliez, se retrouve au 5ème rang en raison de sa présence hypertrophiée à l’étranger. Idem pour Sedna, le groupe d’Yves Journel et Vivalto, celui de Daniel Caille qui prennent les 9ème et 10ème places en raison de leur présence au Québec pour l’un, en Belgique pour l’autre.
Mais disons-le franchement, ce classement ne connaît désormais plus de gros bouleversements comme ce fut le cas jadis. Fini le temps où un 1er rachetait un 3ème et où un 6ème se mariait avec un 2ème. Aujourd’hui, quand un grand groupe comme Domidep (100 Ehpad) est à vendre, aucun opérateur français aussi gros soit-il n’est en capacité de sortir les 1,15 milliards d’euros nécessaires. C’est donc un fonds américain d’infrastructures, I-Squared qui a acquis cette année la majorité du capital du 5ème groupe français, lequel était depuis 1989 la propriété de Dominique Pellé, un entrepreneur grenoblois. Un fonds qui a eu toutefois l’excellent réflexe de conserver sous la houlette de Pascal Guérin, directeur général, le même management français, celui-là même qui a construit le succès de ce groupe depuis 10 ans. Pour les pouvoirs publics qui font face à la centaine d’Ehpad que le groupe compte en France, pas de changement donc.
Même évolution du côté du groupe Emera. Voilà encore un groupe, comme Domidep, fondé dans les années 80 par deux familles, les Bergue et les Cheton. Avec près de 70 établissements (Ehpad et RSS) en France et en Europe, Emera s’est construit une image « premium » en raison de la qualité hôtelière haut de gamme de ses établissements. Depuis plusieurs mois maintenant les discussions vont bon train sans que rien de précis à ce stade n’ait « officiellement » filtré. On sait toutefois que la majorité du capital sera désormais détenue par deux fonds, mais deux fonds… français. Naxicap Partners, un Private Equity français qui gère 3,6 milliards d’actifs notamment pour le compte de la BPCE et Ardian, l’ancien fonds d’Axa, qui gère lui 96Mds € dans le monde. Si leur participation sera majoritaire, Claude Cheton demeure actionnaire minoritaire de référence. Quant à l’incontournable Yves Journel, il est également dans le tour de table avec sa société Sagesse. Quant à la présidence du groupe, elle devrait échoir à Eric Baugas, lui-même DAF du groupe depuis deux décennies. Autant dire que pour Emera comme pour Domidep, le changement de capital ne devrait pas modifier de fond en comble la politique de ces groupes.
En revanche, quand un groupe de taille moyenne cherche un acquéreur, il peut encore le trouver parmi les « gros ». C’est ainsi que Résidalya disparaît cette année de notre Top 15, le groupe de Hervé Hardy, fort d’une trentaine d’établissements, ayant été repris en juin dernier par DomusVi qui du coup passe en France de 14 à 17.000 lits.
Vivalto et Medicharme sur les Ehpad de taille moyenne
Dans ce dispositif très fermé, certains groupes sont parvenus à émerger en se glissant dans les interstices : ceux des Ehpad de taille moyenne qui n’intéressent pas les grands groupes. Deux groupes font ainsi leur apparition dans notre Top 15 cette année. Vivalto d’abord. Vivalto Santé est un gros opérateur de cliniques privées en France fondé par l’historique Daniel Caille mais deux autres entités sont concentrées sur les établissements pour personnes âgées : VivaltoHome en Belgique et VivaltoVie, un groupe français qui a racheté des Ehpad dans la région Poitou Charentes et qui compte désormais 19 établissements pour une taille moyenne de (seulement) 65 lits. Medicharme, outre son patronyme un peu bizarre, a opéré de même en rachetant des Ehpad de petite taille (54 lits en moyenne) qui n’intéressaient pas les gros opérateurs. Dès lors, en quatre ans à peine, un ancien cadre de GDP Vendôme et de DomusVi a pu développer un groupe de 25 Ehpad ! (voir l’entretien avec Patrick Boulard)
Si notre « Top » se limite aux 15 premiers opérateurs, une dizaine d’autres groupes évoluent entre 600 et 1300 lits. On peut citer notamment Philogéris (Yann Reboulleau), Pavonis Santé (12 Ehpad), Steva (7 Ehpad et 7 RSS), les Matines (14 Ehpad essentiellement en Normandie) ou encore Bel Âge (7 Ehpad et 4 RSS).
Eric BAUGAS,
de l’ombre à la lumière
Voilà 13 ans qu’Eric Baugas, diplômé de HEC, accompagnait le développement d’Emera dans l’ombre de Claude Cheton, fondateur du groupe. En charge des finances et de développement, il est devenu en décembre dernier à 48 ans président du Directoire du groupe laissant à Eric Aveillan (Naxicap) et à Claude Cheton la présidence et la vice-présidence du Conseil de Surveillance.
Sophie BOISSARD,
c’est reparti pour 5 ans
Quitus pour la directrice générale de Korian. Ses actionnaires ont décidé de manière anticipée début décembre de renouveler son contrat pour 5 années supplémentaires. A la tête du leader français et européen depuis 2016, elle a désormais la quiétude de la dirigeante qui a du temps pour déployer sa stratégie.
Sylvain RABUEL,
un Grand Organisateur pour DomusVi
Arrivé du Club Med où il a dirigé pendant 15 ans les activités en France, en Europe et en Afrique, ce Sciences Po-Sup de Co de 48 ans a pris les rênes de DomusVi début novembre. Domus cherchait une incarnation ? Il semble l’avoir trouvé en la personne de ce manager sympa et dynamique dont l’avenir dira s’il sera un G.O. pour ce secteur.
Yves JOURNEL,
le sucre dans le café
Il est comme le sucre dans le café : on ne le voit pas mais il est partout. A 68 ans, l’ancien président du Synerpa, fondateur dans les années 80 de Tiers Temps et de la Générale de Santé, apparaît de fait à trois reprises dans le Top 15 de cette année 2020. Comme actionnaire à 39% de Domus Vi, 3ème groupe français. Comme actionnaire à 10% d’Emera, 7ème groupe. Puis comme actionnaire majoritaire de Sedna, 14ème de ce Top 15.
Christine JEANDEL,
carton plein en 2019
Carton plein pour Christine Jeandel en cette année 2019. Non seulement, elle a été élue présidente du Synerpa mais elle a réussi avec Colisée une percée incroyable à l’étranger en rachetant le groupe belge Armonéa.
Jean-Claude BRDENK et Yves LE MASNE,
l’insubmersible duo
Au moment où Jean-Claude Marian, vient de céder les tous derniers 4% qu’il détenait dans Orpéa, le groupe qu’il a fondé en 1989, ses fils spirituels continuent imperturbablement – et avec quelle réussite – de tenir la maison. Le Masne arrivé chez Orpéa en 1993, Brdenk arrivé en 1997 témoignent de la remarquable continuité du management dans un groupe qui dans la même période est passé de 30 Ehpad en France à… près de 700 dans le monde.
Étude réalisée par Luc Broussy & Manon Lacheray
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