Rapport El Khomri : une belle base de travail
Il faut le reconnaitre, pour un travail conduit en quelques mois, le rendu est remarquable, du préambule jusqu’aux préconisations en passant par la méthode qui a permis à 150 professionnels d’être écoutés. Certes, aucun engagement financier n’est pris à ce stade. Ce n’était pas le but de l’exercice mais le financement étant le nerf de la guerre, il faudra le traiter à court terme. Le résultat reste convaincant et les 59 préconisations, articulées autour de cinq axes, méritent d’être entendues. Petit tour d’horizon de l’essentiel.
La problématique, et même l’indignation de principe, tiennent en trois postulats : le manque de valorisation des métiers du grand âge, le manque de considération de la société vis-à-vis des personnes âgées, ces « invisibles », et la nécessité d’offrir un cadre de travail bienveillant au service d’une « politique sociale durable ».
Et les trois grands constats dressés dans la partie diagnostic sont implacables.
- Les besoins en recrutement sont immenses : 93 000 postes supplémentaires à créer entre 2020 et 2024 ; 260 000 professionnels à former sur la même période.
- Les métiers du grand âge sont peu attractifs : baisse de 25% en six ans des candidatures aux concours d’entrée aux formations d’aide-soignant et d’accompagnant éducatif et social, mal considérés, mal rémunérés et aux conditions d’exercice difficiles.
- Des efforts notables ont été faits pour améliorer l’attractivité de ces métiers, notamment par la formation et les démarches QVT, mais incomplets, dispersés et insuffisants eu égard aux besoins, avec par exemple une réforme de l’apprentissage qui ne va pas assez loin et des organisations professionnelles décrites comme « cloisonnées et foisonnantes ».
Alors que faire ? Le plan d’actions proposé, les fameux cinq axes, résument les priorités à mettre en œuvre selon les auteurs du rapport, même si quelques interrogations subsistent quand on pense faisabilité, en particulier pour l’aide à domicile.
L’axe 1 pose les bases de la relance de l’attractivité des métiers en proposant d’assurer de meilleures conditions d’emploi et de rémunération, par l’ouverture de 18 500 postes d’ici fin 2024, par la remise des rémunérations au niveau du SMIC, par l’augmentation de 20% du taux d’encadrement, ainsi que par la définition d’un socle commun aux différentes conventions collectives. Simplification toujours, le rapport préconise d’aller vers un OPCO unique pour le secteur. Point spécifiquement domicile, une des propositions vise à « négocier une offre nationale compétitive pour équiper les accompagnants à domicile de véhicules propres » avec pour objectif de faire baisser le coût des déplacements notamment en zone rurale, dont une partie est supportée par les salariés quand ils utilisent leur véhicule personnel. Une mesure à laquelle on ne peut que souscrire mais dont le coût et ses répercussions sont à soigneusement évaluer.
L’axe 2 vise à réduire la sinistralité et à améliorer la QVT, avec déjà un programme national contre la sinistralité ciblé sur ces métiers visant à réduire d’un quart les accidents du travail d’ici à 2024. Et l’instauration d’un minimum de 4 h de temps collectifs en EHPAD comme à domicile. Quand on sait que ce qui est régulièrement préconisé dans l’aide à domicile est 1 h par mois, on constate que le saut qualitatif… et financier est considérable.
L’axe 3 a pour objet de moderniser les formations et de changer l’image des métiers, avec notamment une proposition portée jusque-là par plusieurs organisations professionnelles : la suppression du concours d’aide-soignant (à l’instar de ce qui a été fait pour les infirmiers) et la gratuité de cette formation de surcroît. La réduction du nombre de diplômes, estimé à une soixantaine, est prescrite, ainsi que le développement de l’alternance et de la VAE jusqu’à des ratios de respectivement 10% et 25% des diplômes obtenus par ce biais. L’accès à la formation d’assistant de soins en gérontologie à tous les salariés du secteur est également préconisé.
L’axe 4 porte sur les innovations organisationnelles à faciliter, notamment celles s’appuyant sur les équipes autonomes – idée moultes fois abordée dans nos colonnes et nos évènements – et qui fait donc son bonhomme de chemin, ainsi que celles visant à repenser la relation des professionnels avec les personnes en perte d’autonomie. Autre innovation à promouvoir : la pratique avancée en gérontologie qui permet aux infirmières de réaliser des missions réservées jusqu’alors aux médecins, afin de mieux couvrir les besoins des personnes âgées.
Enfin dans l’axe 5, il s’agit de garantir la coordination des acteurs et des financements au niveau national et dans les territoires, avec l’énième proposition de plateforme « guichet unique » départementale… à la place des CLIC, des MAIA, des PAERPA, des PTA ou des quatre à la fois ? Mystère à ce stade, mais pour une mesure évaluée à entre 0,8 à 1,3 million d’euros par département, mieux vaut que cela se fasse par redéploiement de moyens de coordination existants. Dernière préconisation notable : mobiliser les financements nationaux et créer un « comité national des métiers du grand âge » pour coordonner les différents acteurs ayant chacun en charge une partie de son financement. Pas nécessairement le point le plus évident à tenir tant il implique de parties prenantes, mais le rapport dans sa volonté fédératrice ne pouvait ne pas le proposer.
Reste donc la question des moyens à mobiliser. Si une partie de redéploiement est envisageable, la facture nette est à l’évidence élevée et renvoyée à la loi en préparation pour un vote, en principe en 2020, avec la proposition qui fait son chemin depuis le rapport Libault jusqu’à ce rapport El Khomri : utiliser le produit de la CRDS à partir de 2024.
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