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16 avril 2020

Quand une directrice d’Ehpad s’adresse aux familles…

Elle s’appelle Muriel Brajon. Elle est une lectrice habituelle du Mensuel des Maisons de Retraite. Elle dirige l’Ehpad Yves Couzy à Saint André de Sangonis dans l’Hérault. Elle a adressé un courrier à toutes les familles et proches des 58 résidents. Un courrier que nous avions envie de partager avec vous.

« Bien chers tous,
Familles, amis, proches,

Nous fêtons aujourd’hui un bien triste anniversaire. Voilà un mois à quelques heures près que nous vous avons fermé les portes de ­l’Ehpad. Malgré nous, malgré eux. Ou plutôt devrais-je dire pour eux…

Le mot EHPAD, déjà peu aimé des Français, prend aujourd’hui une connotation toute particulière. Il rime avec abandon, huis clos, drame, mort. Plus que jamais, les médias vous en donnent une vision apocalyptique. C’est vrai en effet que certains de mes confrères vivent l’enfer. Que toutes les mesures barrières en place, trop tôt, trop tard, n’ont pas suffi à barrer la route à ce terrible ennemi. Le COVID-19 a sévi, y compris dans l’Hérault, pour notre plus grand désespoir.

Alors je tenais à vous rassurer, me faire l’émissaire d’un autre son de cloche, comme j’ai eu l’occasion de le faire auprès de certains d’entre vous lors d’échanges téléphoniques. Nous faisons partie des deux tiers des EHPAD épargnés par la pandémie. Les résidents vont bien, malgré tout, malgré l’absence, l’isolement, les repas en chambre, les couloirs presque vides et le silence de la salle à manger. 

Alors oui, je l’entends de-ci de-là, sur les ondes encore ce matin, le sacrifice est immense. Le questionnement éthique cruellement d’actualité : entre la peste et le choléra, que choisir, qui choisir ? Je sais votre impatience à venir à nouveau déambuler dans nos murs, humer le parfum du jasmin du jardin, siroter une menthe à l’eau au salon de thé ou croquer une guimauve fondante de Benjamin. Je sais votre impatience à prendre maman dans vos bras, lui raconter votre dernière escapade en famille avec moult mimiques et petites onomatopées démonstratives. Je sais votre envie de jeter un œil au placard, savoir si tout est là, bien à sa place ; s’assurer que rien ne manque, ni eau de toilette ni dentifrice. Je sais votre empressement à partager, accompagner, vivre.

Ce temps des retrouvailles n’est pas encore pour demain. Après-demain sans doute… 

Et je tenais à vous rassurer : vous dire l’empressement des équipes à tenter de combler le manque ; la motivation du matin à accrocher les dessins des enfants aux murs, arrière, arrière voire arrière-petits-enfants. Vous dire les produits de toilettes achetés ces derniers jours pour que rien ne manque. Les talents des uns et des autres pour proposer diffusion de musique, séance de sophrologie en ligne, petits brushing improvisés, balades bras dessus bras dessous dans le jardin. Les appels téléphoniques comme s’il en pleuvait, les visio-conférences, les courriers, les murmures et les mots partagées. Alors oui, le sacrifice est immense mais il est mesuré, pour que demain, ce jour d’après, vous puissiez retrouver votre proche sain et sauf. 

Et sachez-le, nous restons sur le qui-vive, comme une petite armée prête à bouter l’ennemi hors les murs. Et si la mort nous frappe, si elle s’introduit, comme souvent ici, nous ferons front. Vous serez prévenus, associés, à titre dérogatoire, pour être, si possible, auprès d’elle, de lui. Nous ne laisserons quiconque vous priver de ce temps du deuil que vous devez aux vôtres. A cette heure, nous n’en sommes pas là. Le sacrifice est immense mais il ne doit pas rester vain ; il faut tenir. Aurions-nous parcouru ces trente premiers jours en vain ? Les équipes, motivées, solidaires, assidues. Vous, confinés, malheureux, loin des vôtres.

Alors merci. Merci de tenir encore un peu. De soutenir ce long travail entamé, ici, là-bas… Patience. Après-demain, je vous le promets, nous pourrons à nouveau courir dans les jardins de l’EHPAD. Nous pourrons, comme par le passé, faire une fête immense, sourire, s’embrasser. Ce temps-là est tout près. A portée de main.

Muriel BRAJON
Gérante EHPAD YVES COUZY
Hérault


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