Quand les Ehpad continuent de s’en prendre plein la gueule
Voici un an, le Mensuel des Maisons de Retraite titrait « Stop à l’Ehpad bashing ». Depuis, le mouvement n’a fait que s’intensifier au risque de démoraliser une profession qui n’a vraiment pas besoin de ça.
« Les emmerdes, ça vole toujours en escadrilles » avait l’habitude d’affirmer le grand philosophe… Jacques Chirac. Un principe qui semble parfaitement convenir au secteur des Ehpad depuis un an et demi. Jamais, même après le drame de la canicule de 2003 où les reportages négatifs sur les maisons de retraite avaient été légion, jamais donc, une telle accumulation de productions accusant les Ehpad ne s’était produite.
Après les Pièces à conviction et autres Envoyé Spécial, on pensait que le flux commencerait à se tarir. Que nenni. Au contraire même : le sujet semble devenir un filon suffisamment lucratif pour s’y engouffrer.
Le mois dernier, nous vous parlions du livre-témoignage d’Anne-Sophie Pelletier et de cette formidable supercherie consistant à écrire 250 pages en ayant passé en tout et pour tout quatre mois de sa vie comme salariée d’un Ehpad. 4 mois. Le temps qu’il suffit pour donner ensuite des leçons à toutes celles et tous ceux qui y travaillent depuis des années et ont vocation à y exercer encore pendant des décennies. Elle, elle s’en fiche. Dans 3 mois, elle sera députée européenne à 7000 euros/mois puisque son petit exercice de démagogie lui aura permis de se faire remarquer par la France Insoumise qui lui a offert une place éligible aux Européennes.
En Janvier, c’était à Mathilde Basset, infirmière en Ardèche, de publier son témoignage sous le titre : « J’ai rendu mon uniforme ». Son uniforme, elle l’a rendu à 24 ans, un soir, où après une journée difficile, elle se décide à poster un texte sur Facebook qui recueille plus de 20.000 « likes ». Le tout après deux ans d’expérience. Elle, ne dénonce pas comme Anne-Sophie Pelletier le grand capital et les groupes côtés en Bourse puisqu’elle officiait dans un Ehpad public, celui du centre hospitalier du Cheyland en Ardèche.
Or, au moment où on croyait le filon un peu épuisé, ce sont les éditions XO qui ont publié « Tu verras maman, tu seras bien ». Un titre qui monte une marche supplémentaire dans le cynisme puisque ce qui est ciblé ici, ce sont ces millions de français qui prennent à un moment donné la décision, souvent sous la contrainte des évènements, de recourir à un Ehpad pour leur parent. Que leur dit ce titre ? Qu’ils sont au choix des bourreaux ou des manipulateurs.
Mais ce qui est le plus atterrant c’est que, là encore, l’auteur, tout comme Anne-Sophie Pelletier, est un « touriste » du médico-social. Jean Arcelin est en effet un ancien responsable commercial chez Mercedes resté seulement deux ans à la tête d’un Ehpad. Un peu comme s’il était venu dans ce secteur juste le temps d’écrire un livre. Ce qui ne serait d’ailleurs pas étonnant puisque ce nouveau chevalier blanc a une autre occupation dans la vie : il est l’auteur – le ghost writer comme on dit – de tous les livres de l’actrice et auteure à succès Charlotte Valandrey. « Plume professionnelle », il aura donc parfaitement organisé le service après-vente de sa courte, très courte, expérience en Ehpad.
Un p’tit tour en Ehpad et hop ! un livre
Car ces trois auteurs ont en effet en commun d’avoir eu des expériences très brèves en Ehpad – de 4 mois à 2 ans – mais de se sentir légitimes pour dénoncer non seulement la vie qu’y mènent les personnes âgées mais aussi, soyons clair, les manquements des personnes qui y exercent. Ils ont un second point commun : ils ont une haute opinion d’eux-mêmes. Toute la mécanique de leur démonstration consiste au fond à montrer qu’ils sont, eux, de belles âmes qui ont eu la conscience et le courage de dénoncer ce que les autres ont tu ou accepté. Ils sont les enfants naturels de Zorro et Mère Teresa, d’Edwy Plenel et d’Elise Lucet. Et pour bien montrer que, eux, ont du cœur, ils en rajoutent trois tonnes.
Dès le début, pour convaincre son auditoire, une méthode infaillible : expliquer qu’on a beaucoup aimé… sa grand-mère. Ce qui donne deux scènes hallucinantes dans les livres de Pelletier et d’Arcelin. La première (cf. MMR de Janvier) raconte que lorsqu’elle a appris que sa grand-mère allait bientôt mourir – sa grand-mère dont elle était si proche qu’elle ne l’avait pas vu depuis 6 ans – elle s’est mise à hurler : « Je veux mourir à sa place »… Une scène d‘ouverture outrancière et indécente. Mais il faut ce qu’il faut pour montrer à son public qu’on aime les vieux.
Même mécanique chez le second. Lui est en train de faire tranquillement la cuisine dans sa maison de la Côté d’Azur. Il a un pressentiment. Celui que sa grand-mère va mourir. Sa mère le rassure. Elle l’a vu la veille, elle va bien. Mais, lui en est sûr : elle va mourir. Il est en larmes. Alors ni une, ni deux, il prend sa voiture et fonce de Biot dans les Alpes Maritimes à Ploubalay dans les Côtes d’Armor. 1.200 kilomètres à toute berzingue, le temps d’embrasser sa grand-mère. Qui mourra quelques heures plus tard. Dans les deux cas, les auteurs mettent leur grande sensibilité en bandoulière pour bien nous faire comprendre que, eux, aiment vraiment les mamies…
Evidemment, ces livres, presque personne ne les lira. Mais ils font des dégâts d’autant plus grands que leur exposition médiatique est totale : interviews dans les journaux, dans les radios, passage à la télé. Autant de moments où les Ehpad et ceux qui y travaillent en prennent plein la figure.
Quand la « grande » presse en rajoute…
Les Ehpad sont au moins sûrs d’une chose : ils ne peuvent pas compter sur la rigueur des journalistes. On savait que des émissions comme Envoyé Spécial ou Pièces à convictions étaient réalisées non par des journalistes du service public mais bien par des boîtes de production qui sont payées pour faire dans le trash. Mais la presse « sérieuse » n’est pas en reste. Dans Le Parisien, un journaliste aussi expérimenté que Marc Payet laisse Jean Arcelin tenir des propos grotesques sans jamais le reprendre une seule fois. Le directeur se plaint de devoir avoir un taux d’occupation de… 90% (la moyenne en France est de 97%) ? Il ressort l’antienne de la journée-vivres à 4,35€ : personne pour le reprendre. Il explique que sa direction l’obligeait à mettre les « Mamies Nova souriantes » dans le hall d’entrée en laissant les fauteuils roulants dans leur chambre loin des regards, le journaliste imprime ça sans même se demander si tout cela est vrai ou non. Et que pensez de l’émission C à vous et des journalistes pourtant chevronnés que sont Anne-Sophie Lemoine et Patrick Cohen ? Pendant qu’ils interrogent le 25 février dernier Jean Arcelin venu faire la promotion de son bouquin, passent en arrière-plan un panneau indiquant que… « 33 % des Ehpad en France sont dangereux ». Constat tiré d’une enquête totalement farfelue (cf. article en page suivante sur Retraite Advisor) que Le Parisien comme C à vous vont relayer avec une complaisance aussi coupable qu’irresponsable. |
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