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4 septembre 2018

L’organisation dans tous ses états

« La raison d'être d'une organisation est de permettre à des gens ordinaires de faire des choses extraordinaires » écrivait Peter Drucker, le célèbre consultant et théoricien des organisations américain. Les aides à domicile font déjà des choses extraordinaires, mais n’en ont pas souvent la reconnaissance. L’organisation peut-elle leur permettre de faire des choses encore plus extraordinaires et d’être reconnues pour cela ? C’est un défi auxquelles elles sont confrontées. Mais pas le seul.

L’organisation en 3 questions

L’organisation n’a pas toujours été au cœur de ce secteur. Au début des années 2000, l’emploi direct, mandataire compris, pesait encore plus de 80% du volume d’activité. Aujourd’hui c’est 58%. A ce rythme, le prestataire sera majoritaire à horizon de 5 ans. La cause première de cette tendance lourde ? L’organisation. Capacité à analyser les besoins et à concevoir l’offre correspondante, capacité à manager, capacité à développer, capacité à investir… On voit bien tout ce que peut faire une organisation. Et pourtant, rien n’est simple car elle est soumise à nombre de contraintes et elle évolue dans un environnement instable. De façon schématique et en plus de la problématique financière, trois questions traversent les organisations : la question managériale, la question du service et la question technologique.

Concernant le management, la qualité de vie au travail est devenue l’approche dominante pour désigner à la fois les conditions d’emplois, de travail et la qualité des relations interpersonnelles dans une organisation productive. Sur ces critères, les métiers du domicile pointent toujours en queue de classement. Pourtant, et c’est encore ce qu’est venue montrer une étude de la DARES publiée ce mois d’août[1], les emplois de l’aide à domicile et des services à la personne ont en moyenne davantage progressé que les autres en termes de rémunération et de pourcentage de diplômés. Les démarches QVT initiées par le gouvernement ne peuvent qu’être positives, même si elles risquent d’en rester au stade des recommandations. Des recommandations qui font une place belle à un management bienveillant, à l’écoute des salariés et leur offrant une plus grande autonomie. Et ces principes correspondent aux évolutions organisationnelles observées dans un certain nombre de SAAD, par ailleurs différents en termes de taille, d’histoire ou de statut. Des évolutions qui ne sont certes qu’émergentes, mais dont on peut souhaiter qu’elles fassent tâche d’huile tant le secteur en a besoin pour son attractivité.

La question du service au bénéficiaire est également centrale dans les interrogations qui traversent les organisations. Comment passer d’une approche quelque peu scissionnée et cloisonnée en différentes prestations à une approche globale, préventive, intégrant aide, soins, combinant intervention humaine et technologie ? Une question complexe sur laquelle tous les SAAD ont commencé à travailler aujourd’hui, à différents degrés, et sur laquelle l’organisation, si on la compare à l’emploi direct, aura une plus-value majeure à condition qu’elle remplisse bien ce rôle d’intégration et sa capacité à proposer une offre globale.

Enfin, la question technologique est en passe de révolutionner le maintien à domicile, non seulement parce qu’elle permettra un saut qualitatif sans précédent dans l’accompagnement des personnes, mais aussi parce qu’elle peut entrainer une profonde reconfiguration des acteurs. Avec la technologie, la distance se réduit, l’isolement des personnes diminue, les dispositifs de sécurisation et de monitoring se multiplient, mais ce sont aussi les organisations elles-mêmes qui finiront par se trouver bouleversées. Avec la digitalisation, les fonctions vont profondément évoluer, le rapprochement d’acteurs aussi. Le contenu de l’offre comme la structure du marché vont donc se transformer.

Bref, dans les 10 ans à venir, l’organisation de l’aide à domicile ne ressemblera plus à ce que l’on connait. Mais ce nouveau modèle ne s’inventera pas tout seul. C’est dès aujourd’hui qu’il faut en poser les fondations, si l’on veut éviter que ces évolutions annoncées soient déstabilisatrices, et s’il l’on veut réussir à construire un, ou des, modèle(s) organisationnel(s) et économique(s) pérenne pour l’aide à domicile.

[1] DARES analyses, les salariés des services à la personne : comment évoluent leurs conditions de travail et d’emploi ? Août 2018, n°038

 


Faire mieux avec pareil pour payer convenablement les professionnels de l’aide à domicile

Par Dafna Mouchenik, Fondatrice de Logivitae

Le secteur de l’aide à domicile manque cruellement de professionnels. Si notre pays compte 10% d’actifs au chômage, je ne serai pas étonnée de découvrir que notre secteur compte 10% (au moins) de postes non pourvus (ça ne règle pas la question du chômage mais ça interroge).

Pourtant j’utilise tous les leviers dont je dispose. Je favorise les temps pleins, les CDI. Nous sommes pro-formation, nous accompagnons nos équipes sur l’ensemble des difficultés qui sont les leurs : place en crèche, logement… On intègre les indisponibilités de chacune, on n’impose à personne le travail de nuit et de week-end, on est sympa, bienveillant, accompagnant. On fait le maximum ! Et même comme ça on ne parvient pas à pourvoir l’ensemble des postes.

Quand je raconte ça, on me rétorque : « oui mais t’as vu les salaires aussi ?  1275€ net (au mieux) un temps plein pour un boulot qui demande tellement, normal que vous n’ayez pas de candidat !

Le salaire ! C’est vrai que ce n’est pas le seul levier, mais c’est un sacré levier quand même. Mais pour le coup c’est un levier que je n’ai pas ! Pour mon service pas de marge de manœuvre possible sur le montant des rémunérations sans risquer de flinguer un équilibre budgétaire déjà bien fragile. Je vous explique : si je veux continuer à bosser pour les plus démunis il faut que je m’aligne sur un taux de prise en charge (à Paris 20€, si j’arrondis). Personne ne m’y oblige mais si je l’augmente, je creuse (ou je crée) le reste à charge des personnes que nous accompagnons. Je ne peux m’y résoudre. C’est déjà beaucoup 20€ pour un particulier lorsqu’il faut les payer tous les jours et plusieurs fois par semaine. Et lorsque c’est la collectivité qui paye me direz-vous ? Et bien c’est un effort considérable pour chacun de nous (et oui c’est l’argent de nos impôts et qui est prêt à en payer davantage ?). La santé financière de nos départements n’est pas tip top comme chacun le sait, pas possible d’exiger des moyens supplémentaires. Je suis partisane de faire avec les moyens du bord.

Mais là où on marche sur la tête, c’est lorsque moi je facture 20€ l’intervention d’une heure d’aide à domicile, celle qui la réalise, l’auxiliaire que se rend sur place auprès de cette vieille dame, de ce vieux monsieur, cette professionnelle, elle aura au mieux dans sa poche 8,70€ net (7,47€ pour les non diplômées). Vous imaginez mon embarras, les gens (ou la collectivité) payent un bras et celle qui fait le job gagne des clopinettes ! Où passe la différence ? et bien aux 7,47€/8,70€ s’ajoutent charge salariales et patronales (notre secteur en est en grande partie exonéré mais on en paye tout de même), les congés payés, la moitié de la carte de transports (ou les indemnités kilométriques). C’est donc (en gros) 15€ que coute l’heure pour rémunérer la salariée sur les 20 € facturés. Quand je dis ça, je passe moins pour une « grippe-sous-connasse qui se gave » ! Reste à savoir ce que je fais des 5 € qui restent. Je dois encore payer avec la TVA (5,5% sur notre secteur, soit 1,10€ environ sur une heure facturée).

Alors au bout du bout il reste environ 3,90€ me direz-vous. Augmentons les auxiliaires avec ! Et non parce que ce sont ces 3,90€ qui payent tout le reste, et le reste c’est : l’équipe administrative et sociale (celle qui est sympa, bienveillante, accompagnante, qui fait le maximum). Chez nous c’est 12 personnes (autant vous dire qu’eux aussi je les paye au lance pierre et pourtant sans eux pas de service !), les loyers, le matériel informatique, les logiciels, la téléphonie fixe et mobile (chez nous toutes les aides à domiciles en ont un), les temps de formation, de réunion, les droits syndicaux… et je suis sûre d’oublier bien des dépenses encore.

Impossible d’augmenter les salaires dans ces conditions, c’est déjà incroyable qu’avec un tarif aussi bas nous parvenions à ne pas être déficitaires. C’est le volume qui nous sauve, on en facture des heures et des heures pour y parvenir. En même temps il y en a des gens à aider, à accompagner. Il nous faut sans cesse embaucher là où c’est la croix et la bannière pour trouver des professionnels… et on reboucle sur le problème de l’attractivité de nos métiers !

Il faut repenser la question des salaires, on ne peut plus payer si peu les professionnels du secteur, seuls, les services d’aide n’en n’ont pas le pouvoir. Il y a des leviers possibles : les exonérer de charges salariales et augmenter le net ; nous dispenser de TVA et rajouter 5,5% au salaire brut… je n’en sais rien, je vous dis tout ce qui me passe par la tête. Je ne suis pas économiste mais je suis sûre qu’on peut faire mieux avec pareil et payer enfin convenablement les professionnels du secteur !


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