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20 juillet 2021

L’intelligence artificielle : un avenir à portée de main

Le progrès technologique et la puissance, parfois intrusive, de l’intelligence artificielle peuvent faire peur. Cependant en ce qui concerne les Ehpad, les témoignages de ceux qui l’expérimentent au quotidien portent un espoir de progrès humains et sociaux dont le succès collectif dépendra des synergies territoriales, portées par les décideurs publics et politiques, les directeurs d’établissements, les personnels et bien-sûr les résidents. Bienvenue dans ce Zoom sur l’IA dans les Ehpad !

Imaginez. Vous arrivez tôt le matin dans votre établissement. Passé le pas de la porte, vous êtes accueilli par un membre de votre personnel et un robot qui vous apporte le compte-rendu d’activités de la soirée et de la nuit. Vous pouvez y lire le niveau de satisfaction de chaque résident, avec une synthèse globale, concernant l’entrée, le plat et le dessert qui ont composé le dîner d’hier. Vous y trouvez un compte-rendu d’activités dans chaque chambre où le résident a accepté la présence de capteurs, afin de vérifier qu’il se soit levé de son lit, qu’il se soit bien brossé les dents, considérant le niveau de consommation d’eau par l’évier de la salle de bain.

Vous savez également si un résident a chuté dans sa chambre, et vous voyez la vidéo que le psychomotricien a pu consulter pour évaluer ses conséquences. Vous examinez également les messages en attente que les familles ont souhaité vous adresser dans l’espace que vous partagez avec elles afin de communiquer sur le projet personnalisé des résidents. Les familles peuvent par exemple avoir connaissance des cinq ou six soins fondamentaux que votre personnel effectue chaque matin. Enfin, la partie que vous redoutez le plus, celle des potentiels incidents, vous montre que dans la nuit, un résident de l’unité Alzheimer a tenté de sortir de l’établissement. Personne ne vous a réveillé, même si vous avez déjà reçu une alerte sur votre smartphone, car vos équipes ont réagi très vite et ont intercepté, grâce aux capteurs GPS intelligents, la personne avant qu’elle ne passe les limites du jardin de l’établissement. Aucun résident cette nuit n’a prononcé « à l’aide » dans sa chambre, ce qui aurait activé chaque tablette de votre personnel. Puis, lorsque vous entrez dans votre bureau, la tête baissée sur votre tablette, vous vous souvenez que votre point avec l’ARS et le Conseil départemental débute dans quelques minutes, et que vous pouvez retrouver les documents supports sur l’espace numérique que partagent l’ensemble des acteurs de votre territoire, du champ sanitaire au médico-social. Vous leur dévoilerez votre nouvelle solution numérique d’observance médicamenteuse qui permet à votre personnel de sécuriser la prescription pour chaque patient et de contrôler la prise des médicaments.

Les obstacles au
développement de l’IA : retour
à la réalité du temps présent

Ces solutions concrètes permises par l’intelligence artificielle peuvent sembler lointaines. Mais aujourd’hui, ce n’est plus tout à fait de la science-fiction. Le rapport du député de l’Essonne et mathématicien, Cédric Villani, intitulé « Donner un sens à l’intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne », nous donne à voir quelques chiffres éloquents : La France compte en effet parmi les quatre premiers pays au monde pour la production mondiale d’articles scientifiques sur l’IA, avec la Chine, les Etats-Unis et le Royaume-Uni. En 2018, on comptait 5300 chercheurs, 80 petites et moyennes entreprises de plus de 500 salariés, et plus de 270 startups spécialisées dans l’IA. Depuis 2010, la croissance annuelle de créations d’entreprise dans ce secteur est de 30 %.

Le secteur médico-social se transforme, à l’image de la société, et de nombreuses startups investissent le champ des services au sein des établissements comme aux domiciles des personnes. Les applications sont nombreuses : repérage de la fragilité, prédiction et prévention, coaching santé, aide à la décision, recherche et robotique. Par son « plan de relance » faisant suite à la crise sanitaire de la Covid 19, l’Etat engage 600 millions d’euros sur cinq ans afin de doter les établissements de technologies numériques. Du côté des établissements, l’implication en faveur de l’IA repose très souvent sur la volonté de la direction. Frédérique Harivongs, directrice de l’Ehpad public d’Arcangues au Pays Basque qui participe au projet robotique de la société Kompaï Robotics, nous confie, enjouée : « J’avais été interpellée par des reportages du Japon où les robots font partie intégrante de la vie des personnes âgées ». C’est ce qui l’a décidée à s’investir dans le développement du robot Kompaï dont les applications sont nombreuses : distraction et relaxation des résidents, surveillance nocturne, aide à la marche… Son engagement a été facilité par la présence de chercheurs et d’entreprises de pointe en robotique dans la ville de Bidart, non loin de son établissement.

Aujourd’hui ces technologies peuvent sembler lointaines à cause de certains obstacles. L’IA demande une forte implication de la direction et des équipes, mais requiert surtout un environnement propice à son développement. En effet, comment pourrait-on développer l’IA sans le numérique ? Didier Meyrand, directeur de l’Ehpad privé commercial Les Monts du matin à Bésayes dans la Drôme nous livre que « sans la fibre, ce n’est pas la peine de vouloir mettre en place ces applications ». La fracture numérique territoriale, que cherche à résorber l’Etat avec le laborieux plan national d’installation du haut débit dit « Plan THD », est un premier obstacle. De même, les difficultés de raccordement à la fibre « au dernier kilomètre » peuvent être pénalisantes d’un établissement à un autre au sein d’une même ville ou d’un même bassin de vie. D’autres contraintes techniques, comme l’architecture de l’établissement, peuvent jouer, en particulier dans les cas où des robots doivent circuler de manière autonome. « Mon Ehpad a été construit en 2014, il est donc très récent et doté de plateaux et de grands couloirs » souligne Frédérique Harivongs, ce qui facilite la circulation du robot.

Le deuxième obstacle est celui du coût que peut représenter de tels investissements dans un établissement. Didier Meyrand a développé avec Julien Jehl la société Jouvenc’IA qui offre un panel de solutions intégrées : une commande vocale pouvant activer entre autres un système de visioconférence, des capteurs de prévention des chutes et des incidents, un espace numérique partagé pour, par exemple, noter les repas… Ces solutions s’articulent autour de trois outils qu’ils commercialisent (capteur, webcam et boîtier d’intelligence artificielle), dont les chambres de son Ehpad sont entièrement équipées : « Cela représente, pour notre établissement de 84 lits, un coût d’investissement de 168 000 euros, soit 2000 euros par résident ».

Comme dans tout nouveau secteur innovant, les solutions proposées sont nombreuses et il est difficile parfois de s’y retrouver. Plus dérangeant, de nombreuses solutions sont développées sans que leur interopérabilité, autrement dit leur capacité à s’imbriquer avec d’autres solutions au sein d’une structure, ne soit pensée. Le risque que court l’acheteur est de devoir investir dans des solutions supplémentaires et de faire ainsi grimper encore sa facture pour un résultat incertain.

Des pionniers de l’IA démontrent ses bénéfices collectifs en Ehpad

Certains obstacles au développement de l’IA sont en revanche surestimés. C’est le cas par exemple de la résistance au changement des salariés. Didier Meyrand résume les choses ainsi : « Avec l’IA, nous pouvons enfin concilier l’amélioration de la prise en charge de nos résidents avec celle des conditions de travail de nos salariés. Elle permet également de supprimer toutes les tâches répétitives et de reporting qui démobilisent les jeunes générations ».

Frédérique Harivongs abonde en ce sens : « le robot est un moyen de dire que nous entrons dans une autre aire, et d’interpeller les jeunes générations – Regardez, il y a de la technologie dans les Ehpad ! ». Le maître mot est la formation des équipes car l’IA permet de réduire le temps d’apprentissage nécessaire pour former un salarié, dans un contexte de roulements récurrents des effectifs. De même, il est nécessaire d’accompagner le personnel sur la durée et, si possible, de l’impliquer dans la conception des outils. Si les salariés peuvent être dubitatifs lorsqu’ils n’ont pas compris le but d’une technologie, ils sont ensuite moteurs et constatent les bénéfices au quotidien : reconnaissance faciale pour l’observance médicamenteuse, interconnectivité entre les logiciels de gestion des stocks et de soins, réactivité face aux chutes et aux incidents…

L’IA et le robot ne sont en aucun cas conçus pour remplacer le personnel, mais pour venir en support afin qu’il se concentre sur les tâches à forte valeur ajoutée, fondées sur le lien humain. Didier Meyrand met en place des temps de travail avec ses équipes pour travailler à de nouvelles utilisations des technologies utilisées au quotidien. Kompaï Robotics ont quant à eux fait appel à une ancienne aide-soignante qui travaille sur la résistance au changement. Frédérique Harivongs a pris le temps de former l’animatrice de son établissement qui utilise le robot pour les activités ludiques et a sensibilisé l’équipe de kinésithérapeutes qui se sert de sa fonction d’aide à la marche pour les séances de rééducation.

Les résidents, eux, accueillent l’IA et le robot avec bienveillance. « Les résidents ont moins de filtres, le robot a un succès fou ! » s’amuse Frédérique Harivongs. Dans l’Ehpad de Didier Meyrand, il est possible que des résidents refusent la présence de capteurs et de technologies dans les chambres, mais peu le font. Ils sont heureux d’avoir un lien privilégié avec leur famille, en actionnant par exemple par simple commande vocale une visioconférence avec ses proches, sans intervention ni contrôle du personnel.

Les collectivités territoriales peuvent aussi faciliter de belles coopérations locales. C’est le cas par exemple au sein de la métropole de Dijon qui participe au développement, par la Mutualité Française, d’un projet innovant appelé « Robotonomie ». Celui-ci consiste à équiper les établissements du groupe mutualiste de robots intelligents afin non seulement d’améliorer la prise en charge des résidents fragiles, mais aussi de répondre à des enjeux du secteur médico-social : prévenir les risques de la perte d’autonomie, maintenir les patients dans leur environnement social, améliorer les conditions de travail des soignants, améliorer le suivi des patients fragiles… Danielle Juban, Vice-Présidente de la Métropole de Dijon, évoque pour nous ce projet : « L’objectif pour nous était d’identifier les acteurs industriels et des équipes de recherche universitaire afin de constituer un consortium territorial autour de la Mutualité Française. Notre accompagnement a consisté ensuite en une mission d’intermédiation et de conseil dans la réalisation du dossier financier auprès de la Banque Publique d’Investissement et de la Région Bourgogne Franche-Comté. Il est parfois difficile de trouver la bonne porte d’entrée auprès de l’Etat, des collectivités territoriales ou des opérateurs de financements ».

La réussite d’un projet d’IA dans les Ehpad dépend donc de bien plus que du seul progrès technologique. À l’approche de grands débats publics sur le vieillissement, l’émergence et le financement des projets technologiques innovants devront nécessairement faire l’objet de travaux sérieux. Jusqu’ici, on doit le dire, cette question est restée dans l’angle mort des travaux parlementaires ou gouvernementaux en ce qui concerne le champ médico-social et de l’autonomie des personnes âgées.


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