Liberté d’aller et venir et sécurité : la difficile équation
Liberté d’aller et venir et sécurité des personnes âgées : voilà l’un des dossiers chauds, au vu des récents faits divers, auquel s’attellera le Comité national pour la bientraitance et les droits des personnes âgées et des personnes handicapées (CNBD), lancé en grande pompe le 12 février, sous la houlette des ministres déléguées aux Personnes âgées et handicapées, Michèle Delaunay et Marie-Arlette Carlotti.
Présenté par ses deux « mamans » comme une « instance d’échanges entre les représentants des personnes âgées et handicapées, les professionnels du secteur, l’administration et les deux ministres », le CNBD vient remplacer le comité national de vigilance et de lutte contre la maltraitance des personnes âgées et des adultes handicapés (légèrement endormi), comme annoncé officiellement dans un décret publié le 7 janvier dernier. Parmi ses missions (prévention des suicides, bonnes pratiques de « bientraitance active », explicitation des droits), le CNBD se penchera, « à la lumière des récents accidents dramatiques concernant les personnes âgées désorientées », sur la question de « la limite entre liberté d’aller et venir et la sécurisation des conditions de vie, et notamment de l’usage de dispositifs de géolocalisation à des fins de protection de la personne et de sa liberté de mouvement ». En effet, en deux mois à peine, trois résidents d’Ehpad et une patiente de 90 ans d’un hôpital parisien ont été retrouvés morts de froid à l’extérieur de leur établissement.
Piqûres de rappel
Oui, le risque d’errance des résidents d’Ehpad pose problème, et des chiffres éloquents le prouvent déjà. Selon une étude de la Fondation Médéric Alzheimer publiée en septembre dernier, en 2011, 71% des Ehpad, quelque soit leur statut reconnaissaient limiter les admissions de personnes âgées : la moitié d’entre eux invoquaient le risque de fugue. Difficile en effet de trouver un juste équilibre, pour les directeurs d’Ehpad : assurer une totale sécurité à leurs résidents, sans pour autant entraver leur liberté de mouvement.
Mais beaucoup de choses ont déjà été dites, et il ne faudrait pas, sur ce coup là, jouer les amnésiques. Une conférence de consensus sur la liberté d’aller et venir en 2004, la Cnil en 2010, une étude en 2011… ont déjà réfléchi à la question. Conclusion, les dispositifs de géolocalisation, s’ils sont technologiquement plus performants, s’ils représentent, c’est vrai, une solution au problème de l’errance, sont encore loin d’être la panacée. D’abord parce qu’ils entrainent certaines dérives, comme le notait, dans un rapport daté de 2010, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), à propos de l’utilisation de bracelets électroniques en Ehpad : « Ces systèmes permettent effectivement de surveiller les résidents, mais parfois aussi, de façon détournée, les salariés travaillant dans ces établissements », s’inquiétait alors l’autorité de contrôle. Mais aussi car, comme le souligne l’étude Estima, réalisée en 2011 par le CHU de Grenoble sur les effets socio-sanitaires de la géolocalisation sur les malades de type Alzheimer, si, pour certains, sur un plan éthique et humain, ce dispositif offre une certaine liberté au patient, s’il représente une sécurité pour les soignants et pour les familles, il demeure toujours, pour d’autres, un risque que la technologie se substitue à l’humain, surtout lorsque celui-ci n’est pas en possession de ses pleines capacités cognitives.
Reste donc des écueils, qui empêchent le développement de cette technologie et son bon usage pour les personnes âgées. Malgré les évolutions notables dans le design, les dispositifs de géolocalisation sont toujours considérés par les usagers comme intrusifs et stigmatisants. Leurs coûts sont encore élévés et ils présentent des limites ergonomiques. Ainsi de certains systèmes de géolocalisation, qui ne peuvent être utilisés conjointement à l’intérieur et à l’extérieur d’un bâtiment. Ainsi, aussi, des difficultés à trouver des batteries : les plus performantes, comme celles au lithium étant souvent à la fois plus onéreuses et plus lourdes, ce qui peut avoir des conséquences délétères sur les os et les muscles des personnes âgées.
Testés par un banc d’ergothérapeutes, pour l’Institut national de la consommation (INC) en partenariat avec la Fondation Maif, et paru en novembre 2011 dans 60 millions de consommateurs, 8 appareils de géolocalisation différents ont d’ailleurs été jugés inadaptés aux difficultés que rencontrent les personnes désorientées… Insuffisances techniques, mais aussi qualité de service et contrats quelque peu flous étaient alors pointés.
Pour sa part, Benjamin Zimmer, responsable développement et innovation de l’association Sol’iage, qui regroupe des industriels, estime que la « véritable problématique des systèmes de géolocalisation, à l’heure actuelle » est aussi la faible connaissance de ces produits par les établissements et le grand public. « L’enjeu est donc de les sensibiliser à leur existence et aux services qu’ils rendent.»
Et le domicile dans tout ça ?
Reste, et il est dommage qu’il demeure le grand oublié dans cette affaire, l’épineux problème de l’errance des personnes âgées qui vivent chez elle. Car selon une enquête récemment réalisée par la Fondation Médéric Alzheimer (lire notre article « SAD : ce que révèle l’accompagnement Alzheimer »), 65% des services avouent en effet avoir été contraints de restreindre la liberté d’action ou de mouvement des personnes malades aidées, en fermant à clef la porte d’entrée, notamment. En tous cas, le domicile intéresse clairement les industriels, souffle Benjamin Zimmer, qui réfléchissent actuellement à la façon de commercialiser les appareils de géolocalisation.
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