Des nouvelles du front
Continuité de l’activité, management, problèmes économiques : comment les SAAD s’organisent-ils sur le terrain pour faire face à la crise ? Petit tour d’horizon avec trois dirigeants de SAAD.
Les lignes bougent. Les SAAD ont fini par être reconnus comme faisant partie des professionnels prioritaires pour la distribution de masques après avis du Haut Conseil de la Santé Publique et de la Société française d’Hygiène Hospitalière. Et le circuit précisé, l’approvisionnement ne passe plus par les officines pharmaceutique mais par les groupements hospitaliers de territoires.
Un protocole clairement posé sur le papier, mais pas forcément sur le terrain où l’approvisionnement est bien plus empirique. A Paris par exemple, la Mairie a fourni directement des masques chirurgicaux aux SAAD. Idem dans les Bouches du Rhône ou en Haute-Savoie où les Conseils départementaux ont été prévoyants. Un système complété au gré des opportunités locales. Joëlle Pradines, directrice du Service d’aide à domicile de la vallée de l’Arve, explique avoir « récupéré des masques FFP2 depuis l’usine locale de décolletage actuellement au chômage technique ». Pour autant, la question n’est pas réglée partout, nombre de SAAD font encore face à une pénurie de masques. Pour d’autres, c’est le gel qui commence à manquer et les SAAD restent en queue de peloton des soignants approvisionnés par les circuits officiels.
Autre demande des professionnels qui tarde à être satisfaite : l’accès au dépistage pour les aides à domicile. Une mesure indispensable pour Christophe Lacroix, cofondateur du SAAD parisien Velita, « cela nous permettra de savoir avec précision quelles intervenantes nous pouvons mobiliser et de savoir aussi en faisant tester les bénéficiaires, là où il faut renforcer les protections ». Une demande formulée aussi par Joëlle Pradines, surtout à l’approche du pic, mais la perspective semble lointaine au rythme où avance l’approvisionnement en tests.
Pour autant, le moral des troupes sur le terrain est bon. Les forces qui continuent d’être présentes redoublent de solidarité. « Elles tiennent bon, elles sont formidables, elles ne revendiquent rien et ne se préoccupent que du bien-être des bénéficiaires » témoigne Christophe Lacroix. Même élan de solidarité constaté dans les Bouches-du-Rhône par Patrick Agati, directeur général d’Arcades qui explique que « cette solidarité s’étend aux partenaires et adhérents de l’association qui adressent des dons ».
Une motivation des troupes facilitée par des dirigeants omniprésents malgré la crise et qui équipent leurs salariés en protections nécessaires, offrent des repas dans leurs locaux, mettent en place de l’analyse de pratiques, de l’écoute, du dialogue et l’organisation de télétravail pour les salariés les plus fragiles, le tout dans le cadre d’une organisation revue en mode gestion de crise.
Prioriser les interventions, préserver les salariés, protéger tout le monde, c’est en somme les 3P qui guident l’organisation actuelle des SAAD. « Les plannings ont été revus pour réduire la fatigue, en limitant les passages et les temps de trajet » explique Christophe Lacroix, qui a également arrêté, comme la plupart de ses homologues les prestations de ménage, non vitales. Ce sont les coordinations gérontologiques locales et les familles qui prennent le relais sur ce type de prestation. Une priorisation indispensable aussi car près de la moitié des salariés est en arrêt maladie ou en confinement, sauf en mandataire explique Patrick Agati où dans son SAAD marseillais « 99% des prestations sont maintenues, les aides à domicile étant souvent confinées avec les bénéficiaires ».
Les services se recentrent donc sur les missions essentielles : aide à la personne, lever, coucher, livraison de repas et de courses, y compris sur des horaires atypiques parfois. « Nous avons maintenu les couchers tardifs jusqu’à minuit, même dans cette situation de crise » explique Joëlle Pradines, dont le SAAD haut-savoyard travaille depuis des années en étroite collaboration avec l’hôpital de Sallanches, actuellement en mode plan blanc pour gérer les sorties et transférer les patients vers le domicile en lien avec l’HAD, processus accéléré afin de libérer les lits d’hôpital pour les patients Covid.
Dans un secteur financièrement en tension, les capacités à absorber les effets de la crise sont forcément plus limitées qu’ailleurs. En attendant, les services interrogés tiennent bon, à ce stade du moins, car la baisse d’activité ne fait que commencer. « Ce sont les arrêts maladie qui permettent de tenir l’équation économique aujourd’hui » analyse Christophe Lacroix. Même constat pour Joëlle Pradines dont le SAAD enregistre « une baisse de 25% de l’activité sur le mois de mars, avec seulement deux semaines de confinement, compensée aujourd’hui par les arrêts maladie, le chômage partiel et les reports de charge ».
Le second souffle attendu est celui du maintien du versement de l’APA par les Conseils départementaux directement aux SAAD sur la base de ce qui était prévu avant la crise, quel que soit le niveau réel d’activité. Une mesure a priori en voie de généralisation pour les services tarifés, qui laisse cependant de côté les services ou les activités non tarifés mais payés à la prestation réellement effectuée.
Si les SAAD qui ont des trésoreries solides et un soutien de leurs Conseils départementaux seront en mesure de passer la phase critique sans trop de dégâts, il n’en sera pas de même pour tous. La question des aides spécifiques au secteur de l’aide à domicile est à reposer très vite, puis viendra rapidement aussi celle, fondamentale, de la solidification du modèle économique des SAAD. Car la crise sanitaire appuie là où ça fait mal : les sous-investissements historiques dans des secteurs d’aide et de soins essentiels risquent finalement de se payer au prix fort.
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