LES EHPAD – Prendre rendez-vous avec la télémédecine
Longtemps cantonnée au statut d’expérimentation, la télémédecine s’est imposée depuis le début de la crise comme une véritable alternative aux pratiques traditionnelles de la médecine en France. En Ehpad, en revanche, ce constat n’est pas partagé. Pourquoi un tel retard et comment y remédier ? Le Think Tank Matières Grises a tenté d’apporter des réponses à ces questions.
Malgré des interrogations persistantes chez les français à son égard (toujours un français sur deux s’estime mal informé à son sujet), la télémédecine est définitivement entrée dans une nouvelle phase de son existence du fait de la crise sanitaire. Selon le rapport de la CNAM de juillet 2020, plus 5,5 millions de téléconsultations ont en effet été réalisées sur les mois de mars et d’avril 2020. Un mois plus tôt, on en avait enregistré 37 000. C’est vous dire le changement radical de paradigme qui s’est opéré d’un jour à l’autre.
Mais la crise sanitaire a aussi révélé un certain paradoxe : alors même que ce dispositif devrait représenter un intérêt particulièrement fort pour les Ehpad (du fait de la fragilité du public qu’ils accompagnent), ces derniers n’ont pas eu recours à la télémédecine dans les mêmes proportions que dans la société en général. Un constat qui s’explique par plusieurs freins internes et externes à l’EHPAD.
Une pratique d’autant plus exigeante en établissement
Si la télémédecine n’est pas une fin en soi et ne pourra trouver à court terme la même vitalité en Ehpad que dans la société en général, il ne fait néanmoins aucun doute pour personne que cette pratique représente une réelle opportunité pour ces établissements, à condition de lever ou palier plusieurs freins.
Frein n°1 : des résidents « peu compatibles ». Outre l’aspect générationnel qui peut provoquer une réticence de la part des résidents face aux nouvelles technologies, le recours à la télémédecine avec une personne âgée et/ou dépendante nécessite la mobilisation d’un soignant durant toute la consultation, dont la durée est en outre largement supérieure à celle nécessaire pour un citoyen lambda autonome. Une différence qui engendre d’ailleurs un certain désintérêt – voire une réticence – de la part des médecins traitants d’assurer ces actes (dont le tarif n’est pas revalorisé selon le temps passé).
Les résidents d’Ehpad, fréquemment pluripathologiques, nécessitent en outre des interventions régulières de spécialistes, interrogeant ainsi la pertinence ici de l’acte de téléconsultation, moins adéquat peut-être que la téléexpertise ou la télérégulation.
Frein n°2 : des blocages technologiques décuplés sur la télémédecine. Si pour les Ehpad aussi la fracture numérique est géographique en raison de l’inégal accès internet à haut débit, la crise sanitaire a mis en exergue un autre gap entre les établissements qui ont pris le virage du numérique en amont de la crise, d’une part, et ceux toujours en phase de rodage à ce moment-là, d’autre part. Cette fracture constatée sur des usages « simples » du numérique s’est naturellement retrouvée exacerbée sur le recours à la télémédecine.
Autre frein technique constaté : l’interopérabilité des outils utilisés. La multiplicité des logiciels présents au sein de chaque structure ou entre elles, et leur difficile ou non interopérabilité, représentent un véritable casse-tête pour les équipes soignantes mais aussi pour les intervenants extérieurs, et notamment les médecins traitants ou spécialistes, qui ne peuvent évidemment pas se former à l’usage de chaque outil proposé dans chaque établissement où réside chacun de leurs patients.
Frein n°3 : l’éternel problème RH. Le recours à la télémédecine en Ehpad met une fois encore sur le devant de la scène certaines problématiques sociales. Quantitatives d’abord tant il est inconcevable en l’état actuel des choses de dédier 1 ou même 0,5 ETP de soignant à l’organisation et la réalisation des actes de télémédecine. Certes, l’usage de la télémédecine permet la réduction de certains coûts (de transport notamment), mais à court terme, ces économies ne vont pas tomber dans le portefeuille des établissements pour financer des effectifs dédiés. Qualitatives ensuite puisque les équipes et les intervenants qui sont amenés à réaliser des actes de télémédecine n’ont pas pu, à ce stade, s’approprier ces outils pour les intégrer peu à peu à leurs pratiques quotidiennes.
Un plan d’action pour répondre à 3 objectifs prioritaires
“Un accompagnement progressif au changement est nécessaire pour ancrer la télémédecine dans les pratiques du quotidien.”
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Le secteur du grand âge doit rapidement rattraper son retard sur le plan numérique. Tout le monde en est convaincu, y compris le gouvernement qui a annoncé en avril 2019 un grand « plan numérique ESMS » à hauteur de 600M€ sur 5 ans. Un investissement inédit, qui confirme combien le gouvernement a fait du virage numérique une priorité pour le secteur médico-social. Bonne nouvelle donc ! Mais pour mettre véritablement à profit ces efforts, encore faut-il flécher et structurer utilement ces financements afin de ne pas reproduire certaines erreurs et palier efficacement les freins cités précédemment.
Priorité à l’interopérabilité des outils. Pour que tous les acteurs impliqués (équipes et intervenants extérieurs) adoptent cette pratique de la télémédecine, l’interopérabilité des outils utilisés est indispensable. Ce qui demande que les gestionnaires soient guidés dans leurs investissements et que les fabricants de logiciels et d’équipements respectent certaines normes. Pour mettre tout le monde d’accord, un cahier des charges technique national ou régional, énonçant aux éditeurs les contraintes minimales à respecter et facilitant aux opérateurs la description de leurs besoins, pourrait donc être créé.
Une telle démarche devra bien évidemment se construire en bonne intelligence et en gardant à l’esprit la nécessité de « simplifier » la vie des établissements. Pour cela, on peut d’ailleurs s’interroger sur l’opportunité d’utiliser des outils déjà existants tels que le DMP, une piste sérieuse pour devenir le « réceptacle » de données uniques et donc un socle commun aux différentes techniques de télémédecine.
Ancrer la télémédecine dans le quotidien et les pratiques. La crise sanitaire a montré que le recours au numérique en général et à la télémédecine en particulier sans laboratoire d’usage en amont et sans consultation des professionnels a constitué un frein évident à son déploiement. Un accompagnement progressif au changement est en effet nécessaire pour ancrer la télémédecine dans les pratiques du quotidien. Et pour cela, capitalisons sur ce que les équipes maitrisent déjà comme la télérégulation, à laquelle les équipes ont régulièrement recours, notamment avec l’appel au 15. Le déploiement de systèmes de télérégulation dédiés aux Ehpad et fonctionnant sur la base d’astreintes permettraient ainsi de faire entrer progressivement la télémédecine dans le quotidien des équipes… tout en ayant évidemment un impact positif sur la prise en charge et notamment le taux d’hospitalisations des résidents.
Plus loin que l’accompagnement au changement, l’homogénéisation des compétences et des pratiques est, elle aussi, indispensable et passera par la mise en place de procédures, la formation des personnels et la désignation obligatoire d’un référent « numérique » au sein de chaque établissement ou territoire.
Adapter structurellement la télémédecine à l’Ehpad et inversement. Si certaines spécificités de l’Ehpad sont peu compatibles avec les modalités classiques de la téléconsultation, ces dernières doivent être adaptées. Une meilleure prise en compte du temps réel de l’acte lorsqu’il est réalisé auprès d’une personne âgée dépendante est par exemple un pré-requis indispensable pour inciter les médecins traitants à s’y mettre avec leurs patients vivant en Ehpad.
Plus globalement, Matières Grises souligne combien le tarif global, qui permet en Ehpad un pilotage plus fluide des ressources soignantes, médicales et paramédicales, faciliterait le déploiement de la télémédecine dans ces établissements. L’occasion peut-être de rouvrir enfin ce débat autour du « droit d’option » qui n’existe plus depuis plus de dix ans, alors même que tous confirment la pertinence et militent pour le déploiement de ce tarif global.
Vous pouvez télécharger la note Matières Grises sur la télémédecine en cliquant sur le lien suivant :
https://matieres-grises.fr/nos_publication/2021-l-annee-de-virage-de-la-telemedecine-en-ehpad/
C’est la loi Hôpital, Patients, Santé, Territoires du 21 juillet 2009 dite « Loi HPST » qui définit pour la première fois la télémédecine en France comme « une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication » (article L.6316-1 du Code de santé publique) et qui vient préciser par décret les cinq actes réalisables en télémédecine : la téléconsultation, la téléexpertise, la télésurveillance médicale, la téléassistance médicale et la télérégulation.
Mais il aura fallu près d’une décennie d’expérimentation avant de la faire entrer dans le droit commun. Ce n’est en effet que depuis le 15 septembre 2018 que la téléconsultation est accessible sur l’ensemble du territoire français et, de fait, éligible au remboursement de l’Assurance Maladie au même titre que les consultations en présentiel. Depuis février 2019, la téléexpertise est, elle aussi, remboursée par l’Assurance Maladie.
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