Les Ehpad en guerre contre le coronavirus
Sacré paradoxe : alors que les morts du Coronavirus en Ehpad ne faisaient même pas l’objet d’un décompte officiel spécifique voici encore quelques jours, ces mêmes Ehpad ont pourtant concentré l’attention des médias depuis 15 jours comme s’ils étaient l’épicentre du mal. Récit.
Le 25 mars, Le Monde titrait en « une » : « Dans les Ehpad, le combat à huis clos contre le virus ». Puis, le 31 mars, c’est un autre titre, « En Ehpad, la vie et la mort au jour le jour », qui barrait la première page du quotidien. Preuve que les Ehpad se sont progressivement transformés en héros de cette pandémie alors même que c’est à l’hôpital qu’ont eu lieu l’immense majorité des décès depuis le début de la crise.
Il faut dire que ce sont bien les Ehpad qui, en, France, ont entrepris avant tout le monde les mesures de confinement. Si celles-ci sont entrées dans la vie quotidienne des français le mardi 17 mars, c’est dès le 11 mars, à la suite du déclenchement du Plan Bleu dans les Ehpad, que le Ministère a prôné l’interdiction des visites venant de l’extérieur. Pour être franc, il serait même plus juste de dire que ce sont les fédérations d’Ehpad qui, voyant venir le danger, ont demandé voire même devancé les mesures de confinement. Des groupes comme Orpéa ou Colisée, présents en Chine ou en Italie, avaient même anticipé dès le mois de février au regard de leurs expériences là-bas.
Mourir du Corona ou… d’ennui ?
Paradoxalement, les problèmes ne sont pas venus des familles qui ont rapidement et assez largement intégré cette contrainte. On a vu alors des Ehpad s’organiser très vite pour imaginer des modes alternatifs de communication entre familles et résidents (cf. encadré). Comme on a vu, notamment à la télé, des familles venir saluer leur parent soit en bas de leur fenêtre, soit à travers la vitre des portes d’accueil. Dans Le Point, Jérôme Guedj (cf. encadré p.9) lance un cri d’alarme : « Les personnes âgées risquent de mourir d’ennui et de solitude » avertit-il. Dès le 10 mars, un article du Figaro s’ouvre par le témoignage d’une résidente de 95 ans d’un logement-foyer de la région parisienne : « Je peux peut-être mourir à cause d’une épidémie, mais ne me laissez pas mourir d’ennui ! » s’exclame t-elle. Ce débat va rapidement devenir de pure forme quand les chiffres des victimes du Covid-19 vont commencer à augmenter nettement plus vite que les « morts d’ennui »… Immédiatement, la priorité des priorités devient claire : ne pas laisser entrer le virus dans les Ehpad au risque qu’il se propage ensuite comme une traînée de poudre.
Pour Dominique Monneron, directeur général de la Fondation Partage & Vie (près de 90 Ehpad associatifs partout en France) « ce qui remonte, c’est plutôt un comportement admirable des familles, qui comprennent la situation, soutiennent les soignants. Les messages d’insatisfaction sont plutôt marginaux ». Même constat pour Séverine Laboue, directrice de l’hôpital Loos-Haubourdin (Nord) et membre du conseil d’administration de la FHF : « les familles sont très compréhensives. Une ou deux familles n’étaient pas contentes, mais comprenaient. Elles sont rassurées parce qu’on est transparent. Je fais un bulletin de santé quotidien ».
Le confinement ++
Mais rapidement, les Ehpad ont du passer au « confinement niveau 2 » : celui qui contraint chacun à rester dans sa chambre. Pratique répandue au début dans les Ehpad où le virus est entré, elle devient générale à partir du moment où le Premier Ministre l’évoque lors de sa conférence de presse du 28 mars. Là, évidemment, la gestion collective du confinement devient plus difficile et il est mis progressivement fin aux animations collectives comme aux regroupements de résidents entre eux.
Pour Marc Bourquin (FHF), « la seule solution est le confinement en chambre, une réduction drastique de la vie collective, un service des repas en chambre. Il n’y a pas d’autre choix, malheureusement ». Et si on constate des « cas groupés », il faut essayer de mettre en place un bâtiment ou une aile dédiés aux contaminés. Séverine Laboue, dans son établissement du Nord, a géré la création de 3 secteurs : un secteur personnes Covid suspectées, un secteur personnes éventuellement confirmées et un secteur personnes fragiles (avec des symptômes pré-covid connus à présent chez les personnes âgées comme les troubles digestifs ou les chutes.
La bataille des masques
Dans toute guerre, il y a plusieurs batailles : celle des masques fut la première. Là encore, la « une » du Monde est un bon thermomètre de la situation. Le jeudi 19 mars, un titre barre la « une » : « Pénurie de masques : les soignants exposés ». A l’intérieur, un billet cruel du journaliste santé Frank Nouchi pointe du doigt le problème : « Après nous avoir dit qu’il y aurait des masques pour tout le monde, on découvre aujourd’hui qu’il y a pénurie » écrit-il. Pour conclure, durement : « Plutôt que d’appliquer rigoureusement les règles essentielles de santé publique sur la base d’arguments épidémiologiques, on masque de graves insuffisances matérielles logistiques par de soi-disant arguments médico-scientifiques à géométrie variable ». En clair, le journaliste du Monde commence à évoquer ce que tout le monde pense : la seule raison pour laquelle on explique depuis des semaines que les masques ne sont pas utiles pour tous les personnels soignants, c’est tout simplement… qu’il n’y en a pas en quantité suffisante. Tous les directeurs savent bien depuis le début que seuls les masques portés à tout moment par les personnels d’Ehpad permettent d’éviter la propagation du virus. De ce point de vue, ils ne sont pas plus bêtes que le Chef de l’Etat qui, à peine descendu d’avion à Mulhouse le 25 mars s’est empressé… de porter un masque.
De partout durant cette période, ce sont des cris d’alerte, de colère voire de désespoir qui sont remontés du terrain – de vos Ehpad donc – pour se plaindre du manque de masques et donc de l’impossibilité de protéger personnels et résidents comme il le faudrait. La polémique a dès lors commencé à enfler : pourquoi la France manque t-elle de masques alors qu’elle en avait plus d’un milliard en stocks dix ans plus tôt ? Et bien tout simplement, parce que les gouvernements précédents, et l’actuel compris, ont considéré depuis 2011 que mieux valait en faire fabriquer rapidement à l’étranger en cas de crise plutôt que d’en stocker autant. On pourra toujours discuter le moment venu de cette stratégie : la vérité consiste à dire qu’elle a été assumée par tous les pouvoirs depuis 2011.
500 000 masques par jour en Ehpad
Pour autant, assaillies de toutes parts par leurs adhérents, les fédérations décident le 20 mars d’adresser un courrier au Ministre pour grimper au rideau contre le déficit de masques. Problème : le courrier part un peu trop vite et comprend une phrase particulièrement polémique : « l’épidémie, peut-on lire, pourrait se traduire par plus de 100 000 décès dans l’éventualité d’une généralisation que nous n’osons imaginer » mais « qui n’est cependant pas exclue, en l’état actuel de notre organisation ». Il n’en faut pas plus pour que dans les heures qui suivent BFM et France Info fassent leurs gorges chaudes de ce chiffre de 100 000 morts potentiels. Suffisamment choquant toutefois pour que le jour-même, Olivier Véran comprenne qu’il faut réagir avec force : il annoncera ce jour-là la livraison prochaine de 500 000 masques par jour uniquement pour les Ehpad.
Et si la situation continue à être tendue ici ou là en matière de masques, force est de constater que les directeurs d’Ehpad considèrent sur ce front que la situation s’est assez nettement améliorée au cours des 10 jours qui ont suivi. Mais disons-le aussi franchement : la stratégie de communication du Gouvernement expliquant contre toute évidence que les masques n’étaient pas indispensables à l’intérieur d’un Ehpad sera un des points qui mériteront ultérieurement – lorsque les commissions d’enquête parlementaires feront leur travail – débat. Dominique Monneron explique aussi comment les Ehpad ont pu être déstabilisés au début : « pour nous les professionnels des Ehpad, c’était très confus. Il y avait une incohérence entre « c’est une ressource nationale, c’est réquisitionné » et en même temps, on voyait des gens avec des masques partout dans la rue ».
Tests : 80 000 par semaine en France, 500 000 en Allemagne…
Après la bataille des masques est venue celle des tests. Les Ehpad qui ne comptent pas encore de cas ou en déplorent très peu ont un besoin important de tests pour vérifier l’état de santé des salariés et résidents, afin d’éviter ou de juguler l’épidémie de Covid-19 et d’adapter la prise en charge. Mais là encore c’est la pénurie. « J’ai commandé 2 millions de tests qui nous seront livrés en avril » a annoncé le ministre de la Santé Olivier Véran le 26 mars 2020. « Ils sont un maillon essentiel de notre stratégie pour tester massivement les Français et pour rendre accessible le dépistage aux plus fragiles, dans nos EHPAD. » En attendant, la France procède à 12 000 tests par jour quand l’Allemagne parvient à en réaliser 500 000 par semaine et la Corée du Sud plus de 60 000 par jour…
Le défi majeur : comment permettre aux équipes de tenir ?
Depuis le début de cette pandémie, l’investissement incroyable des personnels soignants ou non-soignants a été noté par tous.
Dans une Résidence Services Sénior de Cholet ou dans l’Ehpad de Châteauneuf-de-Randon (Lozère), des personnels ont décidé de rester confinés dans l’établissement. Pour protéger aussi bien les résidents que leur propre famille en limitant les allées-venues entre l’établissement et leur domicile. Mais des exemples comme ceux-ci sont suffisamment nombreux pour ne pouvoir les recenser ici. Pour autant, le système n’a pas non plus été pensé pour tenir comme cela pendant 5 à 6 semaines.
La mobilisation #RenfortsCovid
S’assurer du maintien des équipes, c’est d’abord s’assurer d’un roulement pour ne pas épuiser tout le monde avant même l’arrivée du pic. Certes, dans leur Plan Bleu les Ehpad ont normalement prévu un plan de continuité des soins avec des hypothèses d’absentéisme. Mais les concours extérieurs deviennent essentiels. Il en va ainsi de l’appel à la Réserve Sanitaire qui commence à se déployer sur le territoire et qui est désormais officiellement ouverte aux Ehpad. Elle est constituée de professionnels de santé (médecins, infirmiers, aides-soignants) mais aussi d’agents hospitaliers non soignants ou de psychologues.
Existe aussi la plate-forme #RenfortsCovid mis en place au début par l’ARS Ile-de-France et qui désormais se généralise à l’ensemble du territoire. Une start-up, MedGo, a mis en place ce système qui permet de recenser tous les retraités, étudiants, professionnels en capacité de se mobiliser.
Au secours, maman, j’ai raté l’école…
Mais le soutien aux personnels passe aussi depuis le début par la question sensible de la garde d’enfants. D’un côté le système D qui a fonctionné dans beaucoup d’Ehpad où les personnels ont mis en place entre eux des gardes mutualisées. De l’autre une réponse plus institutionnelle mise en place par l’Etat qui a demandé dès la fermeture des écoles que certaines d’entre elles puissent rester ouvertes pour accueillir les enfants des personnels des Ehpad. Une solution qui a constitué une vraie soupape pour beaucoup de salariés mais qui a connu aussi certaines limites absurdes. Ici une école qui refuse un gamin sous prétexte que les deux parents ne sont pas soignants. Là, une école qui refuse un élève car son père n’est pas soignant mais … directeur d’Ehpad. Mais au final, le système a secouru nombre de familles.
Problème : aujourd’hui 1er avril, à quelques jours des premières vacances scolaires du 7 avril, personne n’est en capacité de dire si l’Education Nationale va tranquillement prendre ses vacances et laisser les soignants sans réponse. On évoque ici ou là l’alternative des centres de loisirs des communes mais toutes ne sont pas dotées de ce type de réponse.
Et la prime dans tout ça ?
Il ne suffira pas seulement d’applaudir à sa fenêtre tous les jours à 20h : il conviendra rapidement d’étudier comment gratifier financièrement celles et ceux qui aujourd’hui ne comptent ni leurs heures, ni leur courage en Ehpad. Pour être clair : la question d’une prime est posée. Olivier Véran pourrait s’exprimer sur ce sujet dans les prochains jours. Mais certains employeurs se disent aussi qu’ils ne peuvent pas être en deçà des grandes entreprises de distribution qui viennent de décider une prime de 1000€ par mois pour leurs caissières. Pour Dominique Monneron, « c’est bien d’applaudir mais il faut aussi des primes. Il faut des décisions qui apparaitront sur la paie du mois d’avril. C’est de l’argent évidemment mais il faut savoir ce que l’on veut » conclut-il.
Au-delà des primes se posent encore quelques sujets matériels comme le transport des salariés là où il pose problème. Les Agences Régionales de Santé ont demandé aux Ehpad de faire l’avance des frais pour payer taxis ou autres VTC pour leurs personnels. Mais le groupe Total a mis aussi la main à la pâte en offrant aux personnels soignants d’abord dans les hôpitaux puis finalement aussi dans les Ehpad un montant global de 50 millions d’euros de bons d’essence.
Gérer les cas lourds : le sanitaire au secours des Ehpad
On l’a vu dans le Grand Est : il est arrivé un moment de la crise où il était vain d’appeler le CHU pour qu’il reçoive en réa un résident d’Ehpad même lourdement atteint. Un constat qui a conduit Olivier Véran à indiquer le 28 mars que « la France ne laissera pas les personnes âgées en perte d’autonomie sur le bord du chemin ». Et la Direction générale de l’Offre de Soins au Ministère à mobiliser l’ensemble des établissements sanitaires qui pouvaient l’être.
Ainsi chaque ARS doit désormais mettre en place une cellule dédiée aux personnes âgées au niveau régional et départemental pour mettre en place des filières de soins entre Ehpad, médecine de ville et établissements de santé et créer au sein de chaque territoire une « astreinte sanitaire personnes âgées ». Pour Marc Bourquin, « dans la mesure où on va demander aux Ehpad de garder des cas lourds, y compris des cas de soins palliatifs, il faut assurer un minimum d’expertise. Il leur faut une hotline et il ne faut pas exclure que les Equipes Mobiles de Gériatrie se déplacent dans l’Ehpad ». Séverine Laboue, d’autant plus en phase avec la proposition d’astreinte gériatrique qu’elle a mise en place dans son secteur, précise aussi qu’elle a obtenu « des dérogations pour que les HAD et les équipes de soins palliatifs puissent être prescripteurs de certains médicaments, sans passer par le médecin traitant ».
Les Ehpad confrontés aux décès
Avant de savoir si, comme la Presse s’en fait souvent l’écho anticipateur, le Covid va créer une hécatombe dans les Ehpad, encore faut-il pouvoir recenser le nombre de décès ce qui n’était pas possible voici encore quelques jours. Maintenant que le Ministère a décidé que ces données devaient systématiquement lui remonter, nous devrions avoir droit plus régulièrement à un décompte un tantinet macabre. Un décompte qui nous revenait jusqu’ici sporadiquement à partir de quelques cas très emblématiques comme l’Ehpad de Cornimont dans les Vosges (20 décès), celui de Mauguio dans l’Hérault (12 décès) ou encore celui de Mougins dans les Alpes Maritimes (19 décès). Rappelons pour l’histoire qu’en 2003, sur les 15 000 morts de la canicule, 2 500 décès (seulement ?) étaient intervenus en Ehpad.
La question de la fin de vie se pose aussi pour les résidents qui éventuellement atteints du Covid-19 sont de toute façon devenus très faibles. Le courrier adressé par les fédérations au Ministre pose d’ailleurs clairement la question du Midazolam en cas de sédation profonde. Sujet qui pose comme on s’en doute des questions éthiques dont on se doute que ce sera souvent au médecin coordonnateur de les résoudre un peu seul…
Enfin, la nécessité, en raison de la contagion, de transférer la personne décédée au plus vite dans une housse puis dans le cercueil va inévitablement créer quelques situations complexes avec des familles qui, non seulement privées de leur parent pendant plusieurs semaines, n’auront pour certaines même pas l’occasion de le voir une dernière fois avant l’inhumation. Là encore, un sacré défi posé aux responsables d’Ehpad.
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