Les « deux CNSA »
Y a-t-il désormais 2 CNSA ? L’une représentée par sa présidente, l’autre par sa direction générale ? C’est le sentiment vécu par un nombre croissant d’interlocuteurs qui s’interrogent sur la stratégie actuelle de Marie-Anne Montchamp.
Dans les couloirs, tout le monde en parle. Mais la tension qui règne aujourd’hui au sein de la CNSA ou entre la présidente de la CNSA et le Ministère demeure une question taboue sur laquelle personne ne veut s’exprimer autrement qu’en « off ». Pourtant, le problème est là. Évident.
Montchamp, quasi-secrétaire d’Etat aux personnes âgées
Entre 2017 et 2019, alors que la direction générale de la Caisse est assurée par la discrète et fébrile Anne Burstin, c’est Marie-Anne Montchamp, élue présidente, qui prend toute la lumière, renversant ainsi une logique institutionnelle où auparavant le directeur général prévalait politiquement et médiatiquement sur le président. Même la charismatique Paulette Guinchard entre 2013 et 2017 avait organisé une présidence consensuelle mais discrète.
Le choix de Marie-Anne Montchamp a été tout autre. Et après tout pourquoi pas ? Ancienne ministre sous Jacques Chirac puis sous Nicolas Sarkozy, convertie au macronisme à quelques semaines de l’élection présidentielle de 2017, Marie-Anne Montchamp a des idées et des convictions. Elle sait les exprimer avec brio et s’attirer grâce à elles la bienveillance des fédérations du secteur qui apprécient sa façon de gérer le Conseil de la CNSA. Elle a du coup donné immédiatement à sa présidence un autre style : présente partout, dans les inaugurations, dans les visites de terrain comme dans les médias, sollicitée par tous les organisateurs de colloques, elle a fait de sa présidence une véritable tribune l’assimilant quasiment à une sorte de Secrétaire d’Etat aux personnes âgées. Quand Agnès Buzyn était accaparée par les hôpitaux, la bioéthique ou les retraites, « MAM », elle, était présente pour incarner la politique « personnes âgées » de l’Etat. Et tout le monde s’en félicitait.
Puis, subrepticement, à la faveur de la constitution du duo Magnant-Corbin à la tête opérationnelle de la CNSA, le fossé a commencé à se creuser entre direction opérationnelle et présidence, les messages des uns et des autres n’étant pas toujours en phase. Au Ministère, une source évidemment anonyme – puisque tout le monde en parle à condition de ne pas être cité – évoque ces « frottements incessants » qui deviennent gênants entre Marie-Anne Montchamp et le Ministère mais aussi entre les messages émis d’une part par la présidente et d’autre part par la CNSA « canal officiel ».
Une comm’ déroutante
Car ce qui est peut-être le plus déroutant en terme institutionnel, c’est la double communication qui s’est progressivement mise en place. Celle de la CNSA avec papier en tête et logo et celle, personnelle, de la présidente de la CNSA. Depuis près de deux ans en effet, la presse médico-sociale est régulièrement invitée à des points de presse informels. Non pas au siège de la CNSA mais dans des troquets parisiens où Marie-Anne Montchamp offre cafés et croissants. Non sur invitation de la présidente de la CNSA mais au moyen d’un papier en tête sans logo de la CNSA sobrement orné d’un « Cabinet de Mme Montchamp, ancien ministre ». Non par la direction de la communication de la CNSA mais par un cabinet privé de communication, Bazaille Consulting, du nom de Guillaume Bazaille, ancien chef du service de presse de l’UMP et ancien proche de Jean-François Copé. Les journalistes se rendent donc à ces rendez-vous pour recueillir les propos et avis de la présidente de la CNSA sans être convoqués par la présidente de la CNSA…
A cette bizarrerie institutionnelle s’est ajouté un hiatus plus politique. L’ancienne députée du Val-de-Marne a de plus en plus de mal à cacher le désarroi dans lequel la plonge certains aspects de la politique gouvernementale. En juin 2019, elle émettait des bémols sur la pertinence du décret sur l’habitat inclusif. En octobre dernier, elle critique de front le montant trop faible, selon elle, consacré dans le PLFSS 2020 à l’aide à domicile. Puis mercredi dernier, devant le Sénat, elle a carrément « regretté que le gouvernement ait priorisé la réforme des retraites sur la réforme de la dépendance » ce qui a eu selon elle « des conséquences sur la crise actuelle avec des retards qui auraient pu être évités dans la prise de certaines mesures en Ehpad ». L’après-midi même, elle publiait un communiqué exhortant le gouvernement à attribuer « la même prime aux professionnels de l’aide et de l’accompagnement à domicile et aux personnels des Ehpad » que celle versée aux soignants. Autant de sorties qui lui attirent les bonnes grâces des fédérations membres de son Conseil. Mais qui commencent à agacer de plus en plus dans l’entourage du ministre Olivier Véran. Qui a, certes, on en conviendra, d’autres sujets un peu plus urgents à traiter en ce moment.
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