Les ARS ont-elles fait le job ?
En première ligne dans la gestion de l’épidémie, les Agences Régionales de Santé n’échappent pourtant pas à une forme d’ARS bashing depuis quelques semaines. Sont mises en accusation, en vrac, leur sens de la technocratie ou la lenteur de leur réaction. Et s’il s’agissait d’un vrai-faux procès ?
Bien malin, celui qui peut affirmer sans coup férir si les ARS ont, ou non, « fait le job » tant cette crise a pris de court tous les acteurs et tant la situation fut hétérogène d’une région, voire d’un département à l’autre. Au moment où, à l’Assemblée Nationale, les travaux de la Commission d’enquête sur la gestion de la crise du Covid ont débuté, nous sommes allés poser la question à plusieurs interlocuteurs : qu’ont fait les ARS ou, à l’inverse, que n’ont-elles pas fait ?
Un constat unanime : gros retard à l’allumage
A la fin du mois de février, alors que le virus devient un ennemi de plus en plus sérieux et que les établissements se préparent à la guerre, « les ARS sont non seulement absentes mais certaines vont jusqu’à dire aux établissements qu’ils vont trop loin lorsqu’ils appliquent les premières mesures barrière ». Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du SYNERPA, pose le décor : au début de la crise, les ARS ont un sérieux train de retard.
Un train qu’elles ne rattraperont pas tout de suite alors que le virus gagne rapidement du terrain. Alain Lion, gestionnaire de 3 Ehpad dans le Haut-Rhin très durement touchés par le Covid, raconte « Le 3 mars, dès que nous avons eu la confirmation que le virus était là, nous avons alerté l’ARS mais… Pas de son, pas d’image. Arrivé à la mi-mars, ça chauffait, le Synerpa est monté au créneau pour nous… mais nous n’avions toujours pas de nouvelles ».
Jusqu’au 15 mars, règne alors une incompréhension de la part des gestionnaires. Les premières batailles, pour trouver des masques, du gel, des surblouses, sont menées sans l’aide des ARS et parfois même « contre » elles, certains établissements se voyant confisquer leurs équipements pour servir… l’hôpital. Et c’est bien là le problème, comme le souligne Marc Bourquin, conseiller stratégique à la FHF : « Après la sidération collective face à ce qui se passait à l’étranger, la mobilisation générale s’est d’abord et surtout opérée sur la ligne hospitalière. Il a fallu un peu de temps pour comprendre que l’Ehpad était le premier front aussi ».
Un hospitalocentrisme, vécu par certains comme un abandon. Alain Lion ne décolère pas : « Les AS étaient devenues des croque-morts et les ARS ne donnaient pas signe de vie. Quand ils ont un signalement pour une raison quelconque, ils débarquent en 48h. Là, personne n’a mis les pieds dans l’établissement, pas même un médecin ». Qu’est-ce que le gestionnaire attendait de son ARS ? « Qu’ils me répondent et me disent « on arrive », qu’ils fassent acte de présence pour nous soutenir, qu’ils nous envoient leurs infirmiers hygiénistes, qu’ils prennent conscience de l’ampleur du désastre ».
La deuxième version de l’histoire
Un rendez-vous sérieusement raté donc… mais le contexte nécessite une remise en perspective. Car cette crise a surpris tout le monde, y compris les ARS qui « sont d’autant plus sous les projecteurs qu’elles sont en responsabilité d’énormément de choses, dont la majorité n’a rien à voir avec le pilotage du médico-social », souligne Marc Bourquin. Et celui-là même qui fut plusieurs années directeur de l’Autonomie de l’ARS Ile-de-France ne perd pas non plus l’occasion de rappeler le contexte marqué par une réduction de 15 à 20 % des effectifs de ces agences et la fusion (presque) récente de ces méga régions, dont la capacité d’encrage dans les territoires est nécessairement plus limitée.
Dans ce contexte, et au regard du travail abattu, les principaux intéressés ne rougissent d’ailleurs pas de ce qu’ils ont accompli. Lorsqu’ils prennent la parole, les responsables des ARS soulignent l’engagement de leurs équipes et racontent les batailles qu’ils ont menées pour faire au mieux, à l’image d’Aurélien Rousseau, DGARS d’Ile-de-France, dans son interview (p. 10) : « Nous nous sommes battus sur tous les terrains pour ne jamais laisser les EHPAD seuls. Avons-nous tout réussi ? Certainement pas, mais tous les jours nous avons inventé, nous sommes sortis de nos compétences traditionnelles, nous avons construit des coalitions d’acteurs, comme jamais auparavant ».
Christophe Lannelongue, encore directeur général de l’ARS Grand Est au début de la crise confiait, quant à lui, dans un article du Monde daté du 5 juin combien les ARS aussi avaient pu se sentir seules : « Non, on ne s’est pas comportés comme des technocrates qui attendaient les ordres de l’autorité centrale qui d’ailleurs ne venaient pas. On était livrés à nous-mêmes. On avait l’impression de crier dans le désert. On a été aidés très peu, très tard. On a organisé tout seul l’essentiel de l’effort. Je passe une commande de 5 millions de masques de ma propre initiative, malgré l’interdiction de l’Etat. (…) J’ai dû initier moi-même des transferts vers l’Allemagne, la Suisse ou le Luxembourg. Il y avait des pertes humaines effroyables ». Une liberté de ton retrouvée après que le Gouvernement l’ait limogé en plein cœur de la crise pour une interview un tantinet maladroite donnée à la presse locale. Car, et c’est un autre sujet : si on interrogeait les ARS sur la façon dont l’Etat les a soutenues, peut-être aurait on droit de leur part à des réponses aussi franches que celles délivrées par Christophe Lannelongue…
Damien Patriat, directeur de l’autonomie à l’ARS Bourgogne Franche-Comté complète : « Je ne sais pas si nous avons répondu aux attentes des opérateurs mais on a essayé de le faire avec les possibilités dont nous disposions à chaque moment, à chaque étape de connaissance du virus, en fonction des mesures mises en place ».
Mieux vaut tard que jamais ?
Avec le petit recul dont les acteurs disposent aujourd’hui, le bilan est plus positif pour certains, moins négatif pour d’autres qu’il ne l’était au début de la crise : une fois lancée, la machine a fait ses preuves, à commencer par une reconnexion avec les établissements. A défaut de se rendre sur le terrain, les ARS ont mis en place des points avec les établissements, groupés pour certains, individuels pour d’autres, selon les régions et selon la situation des établissements. Pour Vianney Troadec, directeur des opérations du groupe STEVA, « Alors qu’elles étaient aux abonnés absents au démarrage, les ARS ont bien été présentes au pic de la crise. Tout ce qui était individuel pour nos maisons a été plutôt bien traité. Il faut saluer l’écosystème qu’ils ont mis en place en un temps record autour de nos Ehpad ».
Un constat partagé par l’ensemble du secteur. Pour Florence Arnaiz Maumé, « il y a un avant et un après 20 mars ». Jusqu’à cette date, c’est le Ministre Olivier Véran qui bat la mesure pour le confinement, puis les masques, puis les tests, et enfin les remontées statistiques. Autour du 20 mars, il ordonne la création de filières gériatriques dans toutes les régions. 3 jours après, ces filières sont actives et une alliance se crée entre ARS et établissements : « Ça y est, le secteur médico-social n’est plus le mouton noir qu’on laisse dépérir dans un coin », se félicite la déléguée générale du SYNERPA. A partir de là, les ARS se révèlent très réactives, aidantes, flexibles. Tout le monde semble alors mobilisé pour sauver les Ehpad de l’effondrement.
“On ne s’est pas comportés comme des technocrates qui attendaient les ordres de l’autorité centrale qui d’ailleurs ne venaient pas.”Christophe Lannelongue, |
Au sein des ARS, les cellules de crise carburent alors 7 jours sur 7 pour accompagner les Ehpad qui sont frappés de plein fouet. En Bourgogne Franche-Comté, « durant le premier mois du confinement, les services se réorganisaient toutes les semaines. Nous avons appris à être souples, pour nous adapter au virus et aux besoins des établissements. Nous avons rapidement mis en place un dispositif efficace notamment autour des filières gériatriques et avec notre réseau qualité. Au quotidien, nous ne pouvions peut-être pas répondre à tout mais nous proposions un suivi chaque jour à tous les établissements qui déclaraient un cas suspect ou avéré », décrit Damien Patriat.
Sandrine Courtois, co-responsable du pôle autonomie de la FHF, connait bien le sujet puisqu’au pic de la crise, elle était à la tête du département personnes âgées de l’ARS Ile-de-France. Elle témoigne : « chacun est sorti de son métier au sein des ARS pour prêter main forte sur l’ensemble des sujets urgents. Toutes les missions classiques se sont interrompues ». Benjamin Caniard, à la tête du pôle autonomie de la FHF avec elle, attire quant à lui l’attention sur le rôle facilitateur des ARS et le rôle majeur qu’ont joué les délégations territoriales sur la mise en place des gardes d’enfants. « C’est quelque chose de peu visible mais qui a apporté une aide extrêmement précieuse et concrète au début du confinement ».
Et si c’était à refaire ?
Si c’était à refaire, pourrions-nous réellement faire autrement ? Certainement oui, avec moins d’hospitalocentrisme, plus d’anticipation et plus de préparation. Avant le printemps 2020, aucune ARS n’avait reçu de formation « gestion de crise sanitaire en cas de pandémie mondiale ». Aujourd’hui, plus qu’une formation, toutes ont pu expérimenter leur modèle, leur organisation et leurs dispositifs. En cas de nouvelle crise, elles n’auront plus d’excuse.
« Cette crise, ils ne l’ont pas vécue, ils n’ont vécu que des statistiques alors que nous, nous avions en face de nous des résidents et des familles.”Alain Lion, |
Damien Patriat explique d’ailleurs combien l’ARS Bourgogne Franche-Comté est mobilisée sur l’hypothèse d’une nouvelle vague ou d’une nouvelle crise de cette ampleur. « Avec l’arrivée de la canicule et les incertitudes encore présentes, nous y travaillons fermement, avec les Conseils départementaux notamment. C’est une priorité. ».
Mais au-delà de la stratégie et de l’anticipation, les ARS sont-elles réellement en mesure d’accompagner les acteurs de terrain ? Pour Alain Lion, la réponse est claire : « Ce sont des administrateurs hors pair quand vous négociez votre coupe Pathos mais en réalité, ils ne savent pas de quoi ils parlent. Cette crise, ils ne l’ont pas vécue, ils n’ont vécu que des statistiques alors que nous, nous avions en face de nous des résidents et des familles ». Pour lui, les ARS ont perdu toute crédibilité… et toute légitimité pour la gouvernance de demain.
Si certains partagent ce point de vue, il est loin d’être unanime. Pour la FHF comme la Fehap, la crise a renforcé l’évidence à désigner l’ARS comme pilote de la gouvernance médico-sociale. Antoine Perrin, directeur général de la FEHAP précise : « La dimension régionale pour l’organisation de la santé est la bonne, à la condition d’avoir plus de souplesse dans l’organisation et la prise de décision et une meilleure articulation avec l’échelon départemental. Plus globalement, on a vu pendant la crise qu’il était important que les ARS aient des marges de manœuvre, le pilotage de la santé doit donc être au niveau régional, pas national ».
Plus concrètement, deux autres enseignements ressortent de cette crise. Le premier a été soufflé par Jean-Marc Borello, dans son interview (p. 14) : « La crise l’a bien montré : face à l’urgence, l’aspect sanitaire reprend le pouvoir, y compris dans certains hôpitaux. Sans doute qu’oublier un peu la bureaucratie administrative est aussi un enseignement pour l’avenir ».
Le second est omniprésent dans cette crise : lorsqu’ils ont plus de marge de manœuvre, les professionnels font des merveilles. Pour Antoine Perrin, c’est évident et central : « cette crise a permis de créer un lien plus précis entre les autorités et les acteurs, qui ont été plus autonomisés ». Serait-ce là l’occasion de créer enfin cette relation plus partenariale entre Ehpad, ARS et Départements, loin des principes de tutelle qui datent d’un autre siècle ?
Anna Kuhn-Lafont
Une fois que la machine ARS s’est mise en marche, plus rien ne l’arrête… à en juger notamment par la boîte de réception des directeurs d’Ehpad.
Protocoles, doctrines, process, recommandations… Au plus haut de la crise, les établissements recevaient un ou plusieurs documents de ce type par jour, certains venant contredire celui reçu la veille.
Pour Vianney Troadec, en charge de l’exploitation du groupe STEVA, « cette intensité est particulièrement dure à gérer dans le cadre du déconfinement où personne ne va au même rythme ». Selon lui, le problème réside en partie dans la méconnaissance du terrain des rédacteurs de ces documents : « Parfois, c’est à se demander s’ils connaissent nos maisons, je serais curieux par exemple de savoir combien d’Ehpad ont mis en place la double circulation ? » … mais également le sens dans lequel s’opère la communication ; « le gouvernement n’annonce pas “on a un plan” mais “il y a eu une annonce, il faut faire le plan qui va avec”… même si sur le terrain, ça contredit d’autres plans. » !
Et ces contradictions ont par ailleurs un impact fort pour les familles, comme le souligne Mme Edith Werrn, en charge de l’exploitation des établissements gérés par Alain Lion : « Quand on envoie des messages contradictoires aux familles, elles ont l’impression qu’on est dans l’improvisation totale, qu’on leur cache des choses ».
Retour aux actualités