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19 février 2021

L’âge et la valeur de la vie

paru dans Le Journal du Domicile

La crise a d’abord, outre la stupeur, créé un formidable élan de solidarité envers les soignants, au sein des quartiers et entre les générations. Mais au-delà du premier confinement, les réflexions ont commencé à diverger. Non seulement sur la stratégie de gestion de crise, mais aussi sur qui « privilégier » et qui « sacrifier ». Peut-on éviter que le débat se pose en ces termes ?

« Je pense que cette épidémie a réveillé quelque chose dans la société : c’est la relation entre les générations ». Jusque-là, le propos de Martin Blachier, épidémiologiste médiatique, sur LCP le 28 octobre dernier ne faisait que traduire d’un point de vue sociétal une donnée statistique : plus de 95% des décès liés au Covid ont plus de 60 ans et près de 65% ont plus de 80 ans, selon les chiffres de Santé Publique France au 17 février 2021.

C’est la suite du propos de Martin Blachier qui a davantage interpellé « moi ce que j’ai vécu, c’est que la génération des gens entre 60 et 80 ans n’est pas prête à faire le moindre effort pour la génération des plus jeunes. Et j’avoue que je le vis mal […] quand je vois qu’il faut enfermer la jeunesse pour protéger les gens de 60 à 80 ans je me dis qu’il y a un vrai problème dans la société. Et il va falloir travailler là-dessus ».

Marginal et porteur d’un combat générationnel, l’épidémiologiste de 36 ans ? Ou bien affirmant tout haut ce que beaucoup pensent tout bas ? Le journaliste François de Closets, 87 ans, s’exprime quasiment dans les mêmes termes et depuis plusieurs mois « est-il normal de ficher en l’air la vie des futures générations pour les plus de 80 ans ? » déclarait-il sur RMC, fin janvier, à l’aube d’un potentiel troisième confinement, accompagné de cette réflexion cinglante « on est parti sur l’idée que la vie n’a pas de prix mais que toutes les vies ont le même prix. Moi, je vous dis que la vie a un prix et que toutes les vies n’ont pas le même prix ! »

Sauf que si le raisonnement se fait sur ces bases en temps de crise, il n’y a pas de raison qu’il en soit autrement en temps normal. C’est précisément un des enseignements du document-référence du philosophe Fabrice Gzil : il y a et il doit y avoir une permanence de l’éthique de l’accompagnement des personnes âgées. Donc, si l’on se met à considérer lors d’une crise, et dans une froid calcul mathématique, que la valeur d’une vie est décroissante avec le nombre des années, on se mettra alors à considérer comme structurellement faible la valeur de la vie d’une personne âgée.

Cela irait non seulement à l’encontre du changement de paradigme de l’action sociale depuis 20 ans, rendant la personne aidée et accompagnée (âgée ou non) pleinement actrice et citoyenne, et non plus sujette d’un système institutionnel prescripteur, mais cela irait aussi à rebours de tout ce que les sociétés, certaines récemment, d’autres de longue date, ont construit pour justement porter un regard différent, plus humain, sur l’avancée en âge.

Lors d’une table ronde qui a suivi la remise du document de Fabrice Gzil, Bernadette Aumont, de l’association Old’Up s’est exprimée dans ces termes : « je me suis posé la question moi-même du sens de ma vie à 95 ans et je me suis dit, et c’est ce qui m’aide à vivre, qu’au fond, la personne humaine est unique, et elle est unique jusqu’à la mort » en précisant que « c’est ce qu’il faudrait développer pour que les plus jeunes comprennent pourquoi on soutient en premier les personnes âgées ».

C’est peut-être ici que se résout l’équation de la solidarité intergénérationnelle. Comment permettre à nos jeunes de se projeter dans l’avenir tout en leur expliquant que dans cet avenir leur vie vaudra de moins en moins, jusqu’à être considérés comme des sacrifiables ? Est-ce comme cela que l’on donne des perspectives à notre jeunesse ou bien en leur expliquant qu’ils ont la vie devant eux, qu’ils peuvent se construire, progresser avec le temps, sous le regard bienveillant de leurs ainés, tout en sachant que leur vie saura aussi précieuse, jusqu’au dernier souffle ?

Patrick Haddad
Rédacteur du Journal du Domicile


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