La réforme pour demain, les emmerdes pour maintenant
L'édito du Mensuel des Maisons de Retraite 259
On savait qu’Emmanuel Macron se moquait un peu de la question du grand âge. On le savait depuis que, subrepticement, en 2021, il a totalement laissé tomber une réforme que sa propre majorité lui réclamait et que le Premier Ministre avait caractérisé comme le « marqueur social du quinquennat ». On en a eu une éclatante confirmation lorsque l’élection de 2022 joua le rôle d’ardoise magique. Vainqueur, E. Macron s’est entre temps délesté de cette trop lourde promesse : la loi Grand Âge a disparu des radars.
On a même entendu en juin dernier la porte-parole du Gouvernement expliquer que la réforme des retraites était indispensable … pour « financer de grandes priorités dont la question de l’autonomie et de la dépendance ». Et maintenant que la réforme des retraites est passée, évidemment plus aucune nouvelle de la réforme de la dépendance…
Ou plutôt si. Aux frustrés un peu obsessionnels qui n’ont que le mot de « loi Grand Âge » à la bouche, le Ministre Jean-Christophe Combe a promis beaucoup mieux : non pas une loi Grand Âge mais une « réforme du grand âge » ! Sauf que la première brique de cette réforme a pris dans un premier temps la forme d’une petite proposition de loi riquiqui de 14 articles. Évidemment, on nous a sorti la théorie des petits pas. Comment s’insurger de la mise en œuvre d’une carte facilitant le stationnement des auxiliaires de vie, nous dit-on. Mais comment penser régler le tsunami démographique de 2030 avec une carte de stationnement, a-t-on envie de répondre ? Dénuée de souffle et de vision, la première version de la PPL enquillait de surcroît des articles qui n’ont aucun sens (comme cette Conférence nationale de l’autonomie que personne à commencer par le Ministre lui-même n’a été capable d’expliquer ou de justifier ou l’instauration d’un droit de visite dans les Ehpad comme si celui-ci n’existait pas aujourd’hui.
Depuis, il faut reconnaître au Gouvernement d’avoir muscler le texte par ses propres amendements ou par ceux des députés : création du Service public territorial de l’autonomie, généralisation de l’outil Icope, principe d’une loi de programmation… Le Gouvernement est même allé jusqu’à contraindre les groupes privés commerciaux à affecter 10% de leurs bénéfices à des actions améliorant la vie des résidents. Mesure qui est apparue aux yeux des intéressés comme stigmatisante même si elle fait partie de la panoplie des mesures post-affaire Orpéa censées clore cette séquence.
Mais faute de temps les députés ont cessé l’examen de la PPL à l’article 6. Il en reste donc … une quarantaine. Pour les examiner et les adopter, il faudrait donc désormais que Matignon inscrive de nouveau la PPL à l’agenda du Parlement. Or, maintenant que le Président s’est lancé dans les « 100 jours », rien ne permet de dire qu’il considèrera que cette PPL mineure pour lui, poursuive son chemin législatif. SI ça se trouve, même cette petite PPL, devenue plus substantielle, n’ira même pas à son terme…
Au-delà de la PPL, c’est désormais la fameuse « feuille de route » du Ministre Combe, attendu pour le début juin, qui permettra de voir si l’ambition est au rendez-vous. En tout cas, le Ministre, lui, continue d’y croire. Même la question pourtant complexe de la fusion Soins-Dépendance semble redevenue d’actualité.
Mais en attendant des lendemains qui chantent, il faut se coltiner le présent. Or, le présent, c’est la circulaire budgétaire pour 2023 qui fixe un taux de revalorisation des forfaits soins de … + 2,06% quand à peu près partout la masse salariale a augmenté d’au moins 6-7% et que l’inflation dépassera largement les 5% en 2023. Tous les gestionnaires qu’ils soient publics, associatifs ou privés ont des sueurs froides à la perspective de boucler des budgets dans de telles conditions. On pensait que les ratios de personnel allaient pouvoir augmenter : la perte de pouvoir d’achat du forfait-soins risque d’avoir des conséquences inverses.
La réforme c’est donc (peut-être) pour demain. Mais les emmerdes, en revanche, c’est ici et maintenant !
Retour aux actualités