La parole à Jean-Marc Borello, président du Groupe SOS
Alors que le monde des Ehpad vient d’être percuté par le Covid, celui qui secoue le secteur associatif depuis plusieurs années revient sur cette crise sans précédent, sa vision du secteur et l’urgence, selon lui, de sortir d’un certain ehpadocentrisme pour construire l’offre de demain.
Le MMR : Le GROUPE SOS Seniors est particulièrement implanté dans l’Est de la France, la région, avec l’Ile-de-France, qui a le plus souffert du COVID-19. Comment cette crise a-t-elle été vécue sur le terrain ?
Jean-Marc Borello : Ce que nous avons vécu, c’est la même crise que nos camarades partout en France, avec la particularité pour le GROUPE SOS que nous gérons également des hôpitaux privés à but non lucratif, des centres pour personnes en situation de handicap, des structures d’aide sociale à l’enfance, etc.
“La crise l’a bien montré : face à l’urgence, l’aspect sanitaire reprend le pouvoir.” |
Nos équipes ont été en première ligne dans la lutte contre la propagation du Covid-19 et ont accompli un travail remarquable, en montrant une ténacité ainsi qu’une capacité à innover pour s’adapter au contexte de crise hors du commun.
En ce qui concerne les Ehpad, on a découvert la crise dans l’Est, premier foyer d’infection pour nous. On a adapté au jour le jour les protocoles, les règles pour suivre au fil du temps l’évolution de l’épidémie, en se posant des nouvelles questions tous les jours. Pour cela une cellule de coordination était réunie tous les matins sous l’autorité d’un médecin du groupe et on réagissait en direct à ce qui se passait dans les Ehpad, en lien avec chaque directeur d’Ehpad.
On a vécu cette crise comme tout le monde, dans la difficulté, mais avec la volonté d’adapter l’ensemble des procédures en se disant que seule l’agilité permettrait de limiter la casse.
Et nous avons évidemment pu tirer profit de la taille et des moyens du GROUPE SOS. On a notamment pu commander des masques directement en Chine dès le début de l’épidémie pour équiper le personnel. Sur les équipes, certains établissements ont pu venir en renfort de ceux les plus en difficulté. On a bénéficié de la taille et de l’organisation de cette maison pour nous concentrer sur l’aspect sanitaire. La seule priorité était sanitaire.
On a senti aussi que devant la multitude de paramètres inconnus, il y avait une nécessité de communiquer clairement avec l’environnement. Dès le début, nous avons décidé de rendre compte aux élus des territoires dans lesquels nous étions implantés. Cela a renforcé les liens avec les élus et certaines mairies nous ont mis à disposition du personnel municipal pour donner un coup de main.
Nous avons également fait des points réguliers avec la presse locale, particulièrement Le Républicain Lorrain, avec un objectif clair : dire ce que l’on savait et ce que l’on ne savait pas. Nous avons communiqué semaine après semaine sur les difficultés, les décès, les questions qu’on se posait, avec ou sans réponse. Dans ces moments d’inquiétude il est essentiel de communiquer et d’être parfaitement transparent sur ce qui se passe dans les établissements. La presse s’est ainsi fait l’écho de manière assez objective et bienveillante de ce qu’il se passait en établissement.
Le MMR : Quel regard portez-vous sur la réaction des pouvoirs publics au plan national comme régional ?
J.M.B. : Durant cette crise, les directeurs des diverses unités du GROUPE SOS ont pris l’habitude d’être en contact direct avec les responsables ministériels et les ministres eux-mêmes sur le handicap, la ville, la jeunesse, une fois par semaine environ. Cette liaison directe a bien fonctionné.
Objectivement, le gouvernement a vécu les mêmes difficultés que nous. On a traversé les difficultés ensemble, en adaptant nos attitudes en fonction des moments et en fonction de l’évolution de la maladie.
Avec l’ARS Grand Est et son ancien directeur général, cela s’est extrêmement bien passé. C’est grâce aux transferts que l’ARS a organisé vers le Luxembourg, l’Allemagne ou Bordeaux que nos services de réa, qui avaient triplé de taille, ont pu tenir. Et les choses se sont bien passées, y compris avec l’ensemble des hôpitaux publics et des maisons de retraite, on a pu travailler de façon quotidienne avec l’ensemble des acteurs des territoires.
Ça s’est passé le mieux possible avec des difficultés qui étaient communes à l’ensemble des établissements et à l’ensemble des acteurs impliqués.
Le MMR : Plus globalement, quelle est votre lecture de la crise que nous venons de vivre ? Pensez-vous qu’elle va profondément et durablement changer nos repères ?
J.M.B. : Globalement, je vais attendre la fin du match pour commenter les résultats mais nous espérons que nous saurons tirer les enseignements sur ce qui vient de se passer.
“Sortir de l’ehpadocentrisme, ça veut dire utiliser l’Ehpad comme une plateforme de services.” |
La crise a mis en évidence un certain nombre d’interrogations dont nous savions qu’il fallait les traiter mais qui n’étaient jamais prioritaires. Comment traiter la fin de vie en Ehpad ? Quel rapport entre Ehpad et hôpital ? Comment arbitrer entre permettre la fin de vie en Ehpad ou hospitaliser ? Comment anticiper l’Ehpad du futur ? N’oublions pas que certains de nos résidents de 98 ans sont revenus de l’hôpital soignés et guéris. Il faut donc être extrêmement humble car il n’y a pas de règle générale. Globalement, l’éthique en tant de crise est un vrai sujet qui doit nous permettre de réfléchir demain.
Une réflexion plus globale sur l’organisation des soins est elle aussi bien évidemment nécessaire. Cela passera par la réforme de la dépendance et la réforme des hôpitaux. Il est impératif de retrouver une agilité que des systèmes de type bureaucratiques ont mis à mal depuis quelques années. La crise l’a bien montré : face à l’urgence, l’aspect sanitaire reprend le pouvoir, y compris dans certains hôpitaux. Sans doute qu’oublier un peu la bureaucratie administrative est aussi un enseignement pour l’avenir.
La gouvernance est elle aussi un grand chantier. Au cœur de la crise, elle a mieux fonctionné dans des établissements comme les nôtres car l’avantage du privé non lucratif c’est qu’il est plutôt très associé à la gouvernance, contrairement à d’autres dispositifs. Cela permet de réagir plus vite, d’adapter les règles. C’est là aussi peut-être un enseignement utile pour la période post-crise.
Le MMR : Les Ehpad ont été sévèrement remis en cause durant cette crise, non pas en raison du dévouement de leurs personnels mais en raison même de leur modèle. Pensez-vous ce modèle définitivement dévalué ?
J.M.B. : La réalité, c’est que la grande majorité des personnes qui sont en Ehpad ne pourraient pas être ailleurs. Je pense que ce qu’il faut remettre en question c’est la place de l’Ehpad dans le dispositif d’accompagnement des seniors. Il faut sortir de l’ehpadocentrisme comme il faut sortir de l’hospitalocentrisme.
Pour nous, l’Ehpad doit être la plateforme logistique qui sert le territoire dans lequel elle est installée. On doit pouvoir abattre les barrières entre l’Ehpad et l’aide à domicile. On a mené une série d’expériences sur les services qu’un Ehpad peut rendre à son territoire : avec « Senior Connect » par exemple, des seniors qui ne résident pas en Ehpad peuvent profiter des ressources de l’établissement de leur territoire. L’Ehpad peut et doit s’ouvrir sur l’extérieur en amenant des services vers le domicile et en permettant à des personnes qui ne sont pas hébergées d’y entrer. Dans un certain nombre de lieux, notamment en zones rurales, l’Ehpad reste un lieu de vie, il n’y a aucune raison que le coiffeur ou les activités d’éveil ne soient pas ouverts au village. Cela permet de rendre l’Ehpad plus ouvert sur la population et cela permet à ceux qui n’ont pas besoin de l’Ehpad mais qui ne tarderont pas de s’en rapprocher, d’apprendre à connaitre le personnel, les activités etc. Pour moi, tout cela est évident.
Si on continue avec le modèle actuel, nous aurons d’un côté des Ehpad publics et associatifs pour les seniors disposant de peu de moyens, et de l’autre des Ehpad privés lucratifs coûteux. Une troisième voie permet de proposer le même type d’établissements à des prix différents pour permettre une vraie mixité sociale.
Le choix qu’a fait le GROUPE SOS et qu’on a mis en œuvre dans plus de 40 établissements avec l’accord des Conseils départementaux et des ARS, est d’appliquer un « surloyer solidaire ». Nous sommes les seuls à le faire mais ce n’est pas une innovation, c’est ce qui est mis en place dans l’ensemble des HLM de France. Nous y croyons beaucoup, cela nous parait être le projet politique le plus important : offrir une fin de vie digne aux gens quel que soit leur niveau économique. C’est la philosophie du GROUPE SOS dans son ensemble.
Le MMR : Quel regard portez-vous sur l’équilibre actuel entre secteurs lucratifs et non lucratifs en France ?
J.M.B. : De manière générale j’ai toujours préféré comparer les pratiques plutôt que les statuts. Les statuts ne font pas la vertu et l’efficacité dépend de l’analyse des pratiques. Celles-ci doivent être analysées de manière claire et je continue à penser que le sujet n’est pas de faire des Ehpad trop riches et des Ehpad trop pauvres. L’adaptation du prix en fonction du revenu des gens permet de répondre à cette question. Si nous ne parvenons pas à mettre en place ce type de dispositif, on sera face à un problème : l’ensemble de la population n’aura pas accès au privé lucratif en raison des prix trop élevés et on ne peut pas reprocher au privé lucratif d’avoir pour objectif de faire des résultats. Fondamentalement, à la fin de l’histoire, je reste persuadé que la vieillesse ou la santé n’est pas un marché mais une mission d’intérêt public. Je crois que quels que soient ses revenus, une personne peut accéder à une fin de vie digne.
Le MMR : Selon vous, une généralisation du « surloyer solidaire » doit être à l’ordre du jour de la future Loi Grand âge ?
J.M.B. : La généralisation du surloyer solidaire est une revendication du GROUPE SOS. Maryse Duval, Directrice générale GROUPE SOS Seniors, a porté cette proposition dans notre plaidoyer sur les défis du grand âge. En ce qui concerne ma position de citoyen, je pense que le surloyer solidaire doit être facilité pour tous ceux qui veulent le faire également. Tous ceux qui ont à la fois une mission d’intérêt général et d’équilibre économique doivent pouvoir appliquer un dispositif de ce type-là plus facilement. Le GROUPE SOS a pu le faire car on a une condition d’innovation, une taille critique qui nous permet d’être innovant par rapport à de plus petites structures.
Je pense que le problème est devant nous et que la solution est là aussi. Sortir de l’ehpadocentrisme, ça veut dire utiliser l’Ehpad comme une plateforme de services. Sortir d’un dispositif de ségrégation sociale ça veut dire permettre que pour les mêmes services les personnes âgées de ce pays puissent accéder à des niveaux de qualité.
J’ai aussi travaillé avec Myriam El Khomri et je pense qu’il faut rendre plus souple le statut des professionnels : il faut donner une perspective aux personnes qui travaillent dans les Ehpad, faciliter la formation, l’acquisition de compétences. Je crois savoir que Rachida Dati et Olivier Veran ont été aides-soignants dans les Ehpad à une époque de leur vie.
Le problème n’est pas seulement un problème de rémunération mais aussi d’attractivité de la profession. Dans un certain nombre de nos Ehpad, en particulier en zones frontalières, nous sommes confrontés à une réalité : si un infirmier va au Luxembourg, il ou elle gagnera 2,5 fois le salaire qu’il peut espérer en France. C’est pareil pour les aides-soignants.
Le GROUPE SOS réfléchit en ce moment à comment participer à la relance des activités, et en particulier à créer des emplois après le Covid. On réfléchit à un programme de 1.000 apprentis sur l’ensemble du groupe qui permettra à des jeunes sans formation d’apprendre le métier et de démarrer une activité, que ce soit dans un Ehpad, un hôpital, etc. Offrir des possibilités de carrière dans ces métiers est sans doute un des moyens de régler les problèmes de personnel.
Le MMR : Un mot pour conclure ?
J.M.B. : Un mot de la fin, ce sera mon infini respect pour les directeurs et directrices, les aides-soignants, les médecins, les infirmières et l’ensemble des agents qui travaillent dans les Ehpad, en grande majorité des femmes. S’il fallait finir sur un mot c’est : Respect.
ERRATUM
Dans la version papier de ce numéro du Mensuel des Maisons de Retraite, une erreur s’est malencontreusement glissée au sein de cette interview. Dans la réponse de M. Borello à la première question, vous l’aviez compris, il faut bien lire que le GROUPE SOS gère des hôpitaux privés à but non lucratif. Toutes nos excuses donc au GROUPE SOS pour cette erreur maintenant réparée.
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