La Défenseure des droits… des résidents d’Ehpad
Pour la première fois la Défenseure des Droits publie un rapport sur les résidents en Ehpad. Certes on y enfonce quelques portes ouvertes. Mais les Ehpad ont peut-être trouvé ici pour demain une de leurs meilleures alliées.
Constitutionnellement investi de la mission de veiller au respect des droits et libertés, le Défenseur des droits s’est saisi à son tour de la question des droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad. Dans son rapport publié le 4 mai, Claire Hédon, cette ancienne présidente d’ATD Quart Monde qui a eu la dure tâche de remplacer Jacques Toubon l’été dernier, dresse 61 recommandations dont certaines vont alimenter le débat.
Les professionnels des Ehpad pourraient en effet être circonspects devant le souhait de cette Autorité administrative indépendante de se pencher sur les Ehpad, dix ans après que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté – l’autorité qui en France contrôle… les prisons – ait réclamé que le secteur des Ehpad puisse rentrer dans le champ de ses compétences.
Seulement voilà, la crise sanitaire a exacerbé un phénomène croissant ces dernières années que le précédent Défenseur des droits, Jacques Toubon, soulignait lors de l’intervention qu’il prononça en mars 2019 lors des Assises Nationales des Ehpad organisées par notre journal : à savoir la hausse des saisines du Défenseur des droits en provenance des Ehpad. Le rapport sorti début mai nous apprend ainsi que le Défenseur des Droits a instruit en six ans plus de 900 « réclamations de personnes contestant les modalités de leur accompagnement médico-social ou celui de leurs proches », dont 80 % mettent en cause un Ehpad.
Dans ce contexte de tensions entre certains établissements et des familles, ce rapport dont l’approche juridique est centrée sur le respect des droits fondamentaux des personnes, constitue une étape importante. Même si on a parfois le sentiment que l’Autorité découvre à son tour le secteur et ses difficultés avec cette petite naïveté qui lui permet de souligner … le manque de moyens financiers et humains dans les Ehpad – elle réclame un ratio de 0,8 ETP – ou encore lorsqu’elle pointe le marquage des appareils (prothèses auditives, dentaires…) afin de limiter les pertes d’appareillages.
La perplexité pourra gagner le lecteur face à la mesure phare de ce rapport consistant en la désignation d’un « référent consentement », mesure aussitôt reprise par la Ministre Brigitte Bourguignon. Choisis parmi les membres volontaires des CVS, ces médiateurs seraient là pour garantir les droits des résidents et des familles et jouer un rôle de facilitateur « pour pouvoir reprendre le dialogue avec la direction de l’établissement lorsque celui-ci est rompu ». « Référent consentement » d’un côté, « médiateur direction-familles » de l’autre : à l’évidence, on ne parle pas de la même chose et ces questions, au-delà des effets d’annonce opportunistes, mériteront d’être discutées avec les fédérations avant de créer des dispositifs inutiles (on se rappelle de la liste des « personnalités qualifiées » de la loi 2002-02 qui devaient jouer le même rôle et dont il serait peut-être utile que la DGCS tire le bilan médiocre avant de prendre d’autres décisions).
En revanche, Claire Hédon fait également dans ce rapport des propositions qui convergent avec ce qu’on lit par ailleurs : faire de l’Ehpad un lieu de la « vie bonne » et pas seulement un lieu de soins (organisation de la vie privée et des liens familiaux, accès aux activités culturelles et de loisir, amélioration de l’alimentation…).
Évidemment, il y a ici de nombreuses consignes qu’on a entendu cent fois et que le Défenseur des Droits assène avec la sincérité du novice. Mais qu’une Autorité comme celle-ci se mêle des Ehpad et surtout qu’elle puisse demain exercer un droit de suite à ses propres préconisations peut se révéler prometteur : les Ehpad ont peut-être trouvé ici un de leurs meilleurs soutiens !
Plus largement, on ne peut que saluer l’investissement nouveau du Défenseur des droits pour le secteur qui s’inscrira dans la durée avec un « droit de suite » – autrement dit un suivi – de ce rapport. Cela permettra de mesurer l’évolution de la situation des droits fondamentaux pour lesquels sont engagés l’ensemble des acteurs du secteur.
par Robin Troutot
Entretien avec Claire Hédon
Défenseure des droits
Nommée Défenseure des Droits en juillet dernier, cette ancienne journaliste à France Info et France Bleu devenue présidente d’ATD Quart Monde en 2015, a accepté de nous livrer lors d’un Zoom ses impressions suite au rapport publié début mai.
Le MMR : En tant que Défenseure des droits, pouvez-vous nous parler de vos missions et moyens d’actions en faveur de l’égalité et l’accès aux droits notamment des personnes âgées en Ehpad ?
“En aucun cas, il ne s’agit de porter un jugement en direction des directeurs d’Ehpad.”
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Claire Hédon : La loi nous a donné deux moyens d’agir. D’une part, le traitement des demandes individuelles, nous sommes destinataires d’un certain nombre de réclamations : nous examinons les faits présentés auprès des deux parties selon le principe du contradictoire puis, nous émettons des recommandations. Nos analyses reposent sur le droit et notre décision se base sur l’étude de l’atteinte aux droits des personnes. D’autre part, nous avons la capacité de mener des actions de promotion de l’égalité d’accès aux droits auprès de différents publics. Faire connaître les droits pour mieux les faire appliquer et accompagner les acteurs constituent une part importante de notre mission.
Les personnes âgées en Ehpad sont un public particulièrement vulnérable. Or, elles ont les mêmes droits que toutes les autres : le droit à la dignité, le droit au respect de la vie privée, le droit au maintien des liens familiaux, à la liberté d’aller et venir… Ce qui suppose une vigilance particulière.
Le MMR : Pouvez-vous nous expliquer comment est né ce rapport très complet sur les droits des personnes âgées en EHPAD ?
C.H. : En 6 ans, nous avons reçu près de 900 réclamations venant de personnes âgées en Ehpad dont 200 depuis le début de la crise sanitaire il y a un an. Face à cette nette évolution – et c’est ainsi que nous fonctionnons quand une problématique prend de l’ampleur – nous avons décidé de réaliser un rapport. Nous nous sommes appuyés sur ces réclamations et nous avons mené des entretiens auprès d’un large panel d’acteurs du secteur médico-social : associations, syndicats, fédérations… Les Ehpad publics et privés ont été entendus ainsi que les ARS ou le comité d’entente sur l’avancée en âge qui existe au sein de notre institution.
Je tiens à dire que la grande majorité des professionnels ont fait de leur mieux pendant cette crise avec une mobilisation et un engagement que je salue. Notre rapport n’est absolument pas une critique générale de l’ensemble des Ehpad. Il pointe les endroits où certaines difficultés persistent encore aujourd’hui.
La crise a exacerbé des problèmes qui étaient déjà identifiés et qui avaient déjà fait l’objet de remontées auparavant, comme par exemple, le non-respect du consentement. Des atteintes aux droits, des difficultés à maintenir des liens familiaux et des entraves à la liberté d’aller et venir ont été très largement signalés pendant cette période. Par exemple, des résidents vaccinés devaient à leur retour dans l’établissement rester confinés dans leur chambre ou ne pouvaient voir leurs proches plus d’une heure par semaine.
Le MMR : Quelles sont les recommandations que vous estimez prioritaires à mettre en œuvre ?
C.H. : Un ratio de personnel de 0,80 nous parait être un minimum. Je sais que cela a un coût. Cela nécessite de se poser la question des moyens que notre société est prête à consacrer pour le respect de la dignité et des droits des personnes âgées.
Cette recommandation est cruciale selon moi car elle est intrinsèquement liée avec d’autres, comme par exemple celle de la revalorisation des diplômes et des parcours professionnels. Il faut rendre obligatoire les formations initiale et continue sur la bientraitance et la lutte contre la maltraitance mais il est également nécessaire de se questionner sur l’organisation mise en place qui peut entraîner de la maltraitance.
La question de la médiation auprès des familles et des résidents est toute aussi importante. Il peut évidemment y avoir des malentendus, des situations complexes avec des personnes en souffrance mais il est important de maintenir la communication. L’intervention d’un médiateur peut être bénéfique pour restaurer ce lien.
Autre mesure essentielle, l’accompagnement aux soins palliatifs. Il est indispensable que le personnel soit mieux formé ou que soit organisée entre plusieurs établissements une permanence infirmière de nuit pour limiter le recours aux urgences.
Le MMR : Vous avez listé une série de recommandations qui convergent avec celles émises par des experts du secteur dans différents rapports, alors que votre institution n’est pas habituée à intervenir dans ce secteur, qu’en pensez-vous ?
C.H. : Je trouve intéressant que nous puissions rejoindre des recommandations qui ont déjà fait l’objet de publications. La différence par rapport aux autres rapports c’est que nous nous situons en droit. Lorsque nous recevons des réclamations, nous cherchons avant toute chose à savoir si ces droits ont été respectés.
Le MMR : Sur la question du recueil du consentement, comment avez-vous appréhendé l’accès aux droits des personnes dont l’état cognitif est altéré ?
C.H. : La question du consentement est compliquée car un certain nombre de personnes en Ehpad ont perdu une partie de leurs facultés cognitives, ce qui rend le consentement difficile à recueillir. A certains moments on ne sait pas quelle est la part de compréhension de la personne âgée mais c’est souvent un peu plus que ce que nous pouvons penser.
La rédaction des directives anticipées et la désignation d’une personne de confiance permettent à la personne qui n’a plus la capacité d’exprimer ce qu’elle désire de le faire à travers la personne de confiance qui aura pu, avant son déclin, recueillir ses souhaits.
Le MMR : Vos travaux mettent en avant le fait que les droits des personnes âgées ne sont pas suffisamment respectés, pourtant les directeurs qui nous lisent rêvent eux aussi d’avoir plus de personnel et mieux formé, comprenez-vous qu’ils puissent ressentir une forme d’incompréhension voire d’agression ?
C.H. : En aucun cas, il ne s’agit de porter un jugement en direction des directeurs d’Ehpad. Nos recommandations s’adressent autant aux ministères, aux ARS, aux conseils départementaux… qu’à tous ceux qui encadrent les Ehpad.
Le MMR : Ce rapport est-il un « one shot » ou allez-vous exercer une forme de droit de suite ?
C.H. : Nous comptons bien en effet assurer un suivi du rapport et de nos recommandations et procéder le moment venu à un bilan, l’intérêt étant de voir si le respect des droits fondamentaux des personnes âgées en Ehpad s’améliore avec le temps.
Propos reccueillis par
Christelle Mallet et Luc Broussy
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