Infirmiers et aides-soignants :
pourquoi vous quittent-ils ?
Parmi les choses qui empêchent un directeur d’Ehpad de dormir, il y a la fidélisation de ses équipes. Pour relever ce défi colossal, il faut commencer par analyser les causes de leur départ.
C’est précisément ce qu’ont cherché à faire Cécile Martin et Mélina Ramos-Gorand, deux universitaires qui se sont intéressées aux déterminants des départs du personnel soignant à partir d’échantillons de 5 478 infirmiers et de 13 444 aides-soignants en contrat à durée indéterminée dans des Ehpad privés. Les résultats de leur étude ont été publiés cet été par l’Insee.
On n’apprendra rien à personne en disant que le secteur des Ehpad souffre d’un déficit d’attractivité et de fidélisation des professionnels soignants, qui touche plus fortement encore les établissements privés au sein desquels les taux de départ moyens des infirmiers diplômés d’État (IDE) et des aides-soignants (AS) s’élevaient respectivement à 61 % et 68 % en 2008 selon l’étude.
Cette rotation du personnel a bien évidemment des conséquences catastrophiques à la fois en termes économiques — puisqu’il génère des surcoûts de recrutement de personnel remplaçant et une réduction de la productivité, compte tenu du temps de formation du nouveau personnel mais également en termes de qualité de prise en charge des résidents — et sociales : fonctionnement temporaire en sous?effectif, interruption dans la continuité des soins et dans le relationnel entre résidents et soignants sont en effet autant de dérives impliquées par une forte rotation des équipes.
L’impact des conditions de travail sur la fidélisation du personnel soignant est évident mais varie selon la profession d’infirmier ou d’aide?soignant. Le niveau de rémunération par exemple influence significativement la fidélisation des AS (une hausse de 1 % du salaire net diminue la probabilité de départ de 1.2 à 1.3 %) mais très faiblement celle des IDE. Ces derniers ont un niveau de salaire en moyenne 40% plus élevé que celui des AS et sont donc sensibles à d’autres critères comme la qualité de l’accompagnement des personnes ou la charge de travail.
Ainsi, plus le ratio d’encadrement augmente, plus la probabilité de départ des infirmiers diminue. Une hausse de la proportion de résidents GIR 2 et 3, par rapport aux GIR 1, augmente quant à elle la probabilité de leur départ. L’étude explique cette donnée surprenante par le fait que les infirmiers préfèrent réaliser des soins techniques plutôt que de nursing et restent donc plus longtemps dans un Ehpad avec plus de GIR 1, auprès de qui ils mettent plus systématiquement en pratique leur savoir-faire.
Mais certaines caractéristiques personnelles des salariés peuvent elles aussi influencer leur fidélisation. Parmi ces facteurs, l’âge semble avoir peu d’impact. Seuls les AS de 45 à 50 ans ont une plus forte probabilité de départ (4 à 5 points de pourcentage) que les AS de moins de 35 ans. En revanche, la distance entre l’Ehpad et le domicile a, sans surprise, un impact fort : plus les aides?soignants habitent loin de leur Ehpad, plus ils ont tendance à partir. Cet effet est moindre pour les IDE : seuls ceux qui habitent à plus de 20 km ont une plus forte probabilité de départ.
L’étude met en évidence l’existence de difficultés locales de fidélisation du personnel soignant au sein des Ehpad privés. La présence proche d’un hôpital impacte significativement la probabilité de départ des professionnels, alors davantage incités à partir vers le sanitaire, qui propose plus de perspectives d’évolution. Pour les infirmiers, la présence de libéraux sur leur bassin de vie a également un impact sur leur probabilité de départ.
La variable de concentration a quant à elle un effet négatif important : une pénurie globale de personnel soignant et une pression concurrentielle accrue entre Ehpad dans les environs incitent les infirmiers et les aides soignants à quitter leur établissement. A l’inverse, bien évidemment, plus le marché est concentré en termes de postes et doté en AS et IDE, moins le personnel est incité à démissionner.
Sans surprise, cette étude, certes intéressante, ne révèle donc aucune solution miracle. Les principaux leviers dont disposent les directeurs pour fidéliser leur personnel soignant reposent sur une augmentation des salaires et un renforcement de l’encadrement en personnel… mesures qui ne sont bien évidemment pas de leur fait.
Anna Kuhn Lafont
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