Foucherans :
radioscopie d’un psychodrame estival
En plein été, le journal Le Monde décide de faire sa « une » sur la grève qui agite un Ehpad privé du Jura. L’article, signé de Florence Aubenas fait le « buzz ». Le Mensuel des Maisons de Retraite revient sur les méandres de cet épisode qui a débouché sur une mission parlementaire ... « flash » !
« On ne les met pas au lit, on les jette » : il était difficile pour le quotidien Le Monde d’étaler en « une » un titre plus outrancier et spectaculaire que celui-ci. L’enquête est d’autant plus mise en exergue par le journal qu’elle est signée par la célèbre reporter Florence Aubenas, journaliste habituée à pourfendre les injustices.
Le reportage du Monde se limite en réalité à un « verbatim » des récriminations des salariés grévistes d’un Ehpad privé du Jura. Florence Aubenas les a écoutés et a retranscrit leur propos. Y compris quand ceux-ci étaient manifestement caricaturaux. Aucune parole contradictoire n’a été recueillie. En expliquant que « c’est le système entier qui génère des formes de maltraitance », l’inévitable Pascal Champvert livre un peu d’eau au moulin de la journaliste qui a de toute façon choisi son parti-pris : ces salariés, en faisant grève, dénoncent une situation scandaleuse et moi, Florence Aubenas, journaliste courageuse et incorruptible, je vais dénoncer cet omerta.
Maintenant rembobinons le film. Nous sommes au printemps 2017. Deux salariés, dont l’une a été embauchée en CDI quelques jours avant, se mettent en grève. Elles réclament des moyens supplémentaires. Le nombre de grévistes atteint rapidement une dizaine de personnes qui s’installent sur le parking en face de l’établissement où elles reçoivent des marques de sympathie des habitants du coin. Le coin ? Foucherans, bourg de 2.000 habitants situé à quelques kilomètres de Dôle dans le Jura. L’établissement ? Un Ehpad récent, ouvert en 2012, appartenant au groupe privé SGMR-Les Opalines qui gère une cinquantaine d’Ehpad en France.
La grève n’est suivie que par 12 salariées mais elle dure. Fin avril, en pleine campagne présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, de passage dans la région, fait acclamer les grévistes lors d’un meeting. Elles mènent ensuite plusieurs actions devant le siège de l’ARS ou devant le siège du groupe à Beaune. Au bout de quelques semaines toutefois, l’Agence Régionale de Santé s’en mêle. En mai, le préfet rassemble les parties autour de la table : ARS, salariés, direction. Des propositions concrètes sont alors formulées par le groupe SGMR : au recrutement de 2 aides-soignantes supplémentaires, le groupe propose un accord qui se solde par le versement d’une prime de 600 € bruts. Les responsables du mouvement refusent et demandent 600 €… nets. Fin juin, les grévistes ne sont plus que 6, certains salariés refusant le jusqu’au-boutisme des deux leaders de la grève.
Il faut dire qu’entre temps d’autres acteurs se sont invités dans le conflit : les journalistes de l’émission de France 3, « Pièces à conviction » se sont mis à enquêter sur le monde des Ehpad. Et notamment évidemment sur les Ehpad privés commerciaux. Or, ces journalistes se sont rapprochés des grévistes de Foucherans au point que certains émettent le soupçon que les grévistes servent assez largement à alimenter le reportage que France 3 est censé diffuser à l’automne. Certains pensent par exemple que la délégation de grévistes reçus à l’ARS en juin était munie de caméras et micros cachés. On devrait avoir une réponse à ces doutes… lorsque le reportage sera diffusé sur France 3, normalement en novembre.
En juillet, le conflit s’enlise quand bien même il n’est plus suivi que par 6 salariés. C’est le moment que choisit alors François Ruffin, le médiatique député de la France Insoumise – et réalisateur du fameux documentaire « Merci Patron ! » – pour poser une question à l’Assemblée nationale sur ce conflit et indiquer qu’il se rendra sur place la semaine suivante. En effet, le mardi 25 juillet, le député se rend à Foucherans et organise une réunion avec les grévistes relayée par un « Facebook live » qui permettra à chacun de suivre en direct un dialogue de plus d’une heure où les salariés expliquent à Ruffin ce qu’il était venu entendre.
Paradoxalement, ce « happening » sera aussi le dernier événement de ce long conflit. Aussitôt, SGMR nomme (enfin, à t-on envie de dire) un médiateur en la personne de Vincent Chagué, consultant et universitaire, bien connu pour résoudre ce type de conflits sociaux. En quelques jours, il obtiendra la fin de la grève, les tous derniers grévistes acceptant finalement fin juillet les propositions qu’il leur avait faites… fin mai.
Mais du coup, puisque la dénonciation du manque de personnel en Ehpad semble avoir un certain succès dans les médias, pourquoi ne pas en profiter ? La CGT lance alors une pétition, cette fois dans un établissement public, celui de Paimboeuf en Loire-Atlantique appelant aussi à une manifestation le 1er août afin de dénoncer une prise en charge « humiliante et dégradante ». La presse se fait quand à elle le relais du malaise de résidents qui expliquent prendre des douches « toutes les 3 semaines ». Relayé par certains titres de la presse nationale, le conflit fera long feu car, ici, la grève n’aura pas duré plus d’une journée. Le directeur, Thierry Fillaut, a eu le temps d’expliquer à nos confrères de Gerontonews qu’il avait pris la mesure des défis depuis bien longtemps en améliorant progressivement la prise en charge même si son établissement allait forcément être impacté par la réforme de la tarification.
Fin juillet, on apprenait que, en réaction à cette actualité qui mettait les Ehpad sous pression, l’Assemblée Nationale nommait la députée LREM de Haute Garonne, Monique Iborra, responsable d’une mission « flash » sur les Ehpad.
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