Et si l’HAS était HS ?
Attendu depuis plus d’un an, le référentiel de la Haute Autorité de Santé déçoit. Peu ambitieux, il témoigne surtout de l’incapacité de l’État aujourd’hui à savoir ce qu’il veut vraiment.
Un référentiel unique, le bon goût de penser à des déclinaisons pour l’adapter à chaque catégorie d’établissement ou service, la politesse de penser à associer les acteurs. La méthodologie était posée, carrée, presque enthousiasmante. L’absorption de l’ANESM au sein de l’HAS semblait porter ses fruits.
Et puis bim badaboum… Non seulement la crise sanitaire a légitimement ralenti le processus mais la présidente de la commission de l’évaluation sociale et médico-sociale de la HAS, Anne-Marie Armenteras de Saxcé, a choisi de devenir conseillère santé à l’Elysée et a donc quitté un poste où elle semblait pourtant avoir lancé le tempo. A sa place, l’Etat a choisi Christian Saout. Ancien président de l’association de lutte contre le sida Aides puis responsable du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss), un collectif qui regroupe les associations de malades, il n’est en rien un spécialiste du médico-social même s’il est en revanche un véritable militant des droits des patients.
Un gars « qui s’écoute parler et fait de la provocation à deux balles » selon une des voix du secteur public des Ehpad, un type « qui semble plutôt bien » contre-balance un acteur du secteur privé. Un troisième acteur à qui nous demandions ce qu’il pensait de Christian Saout, nous a répondu : « Christian qui ? »… Le fait est qu’il lui reste donc encore un peu à s’imposer.
Alors, en ce mois de janvier 2021, la Haute Autorité de Santé a publié une première version de ce nouveau référentiel d’évaluation. Une version qui sonne comme une épreuve du feu pour une institution qui était censée être bien plus efficace que l’ancienne Agence nationale de l’évaluation sociale et médico-sociale (Anesms). Or, ce n’est pas gagné.
La première ébauche du référentiel compte 3 chapitres (la personne, les professionnels, l’établissement), 13 thématiques, 38 objectifs et 189 critères. C’est à la fois beaucoup et peu. Beaucoup d’items pour peu de renouveau estiment nombre d’acteurs dont la déception est palpable.
”Cela est très inspiré du secteur sanitaire. Pas sûr que cela parle d’emblée aux Ehpad et encore moins aux résidences Autonomie.”
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Cruel, Didier Sapy n’en est pas moins drôle : « C’est une V Zéro et le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle porte bien son nom » assène t-il. Car à l’évidence, ce référentiel V0 laisse les acteurs du secteur sur leur faim. « Un travail qui nous ramène 20 ans en arrière » juge sévèrement le directeur de la Fnaqpa qui estime qu’entre ce travail et le cahier des charges de 1999 il n’y a aucune avancée conceptuelle. Pour preuve, la plupart des items ne sont qu’un rappel de la loi ou d’éléments qui font partie intégrante de la culture générale des Ehpad depuis des années et des années.
La dirigeante d’un cabinet d’évaluation externe s’interroge aussi : « pour chacun des critères, quels sont les éléments de preuve attendus ? Comment évaluer chaque critère ? Un système de cotation est-il envisageable ? Et quelles sont les adaptations possibles par type d’établissement ? ». Tous, des éléments méthodologiques qui, pour l’heure, ne sont pas au rendez-vous. Et d’ajouter : « on peut apprécier l’évolution des méthodes d’évaluation par l’approche du résident traceur. Mais cela est très inspiré du secteur sanitaire. Pas sûr que cela parle d’emblée aux Ehpad et encore moins aux résidences Autonomie ».
« On est en train de passer d’une culture de l’évaluation à une culture de l’accréditation » explique aussi un autre acteur qui a assisté aux groupes de travail. Un signe va dans ce sens : le projet de demander désormais à tous les évaluateurs externes de passer par les fourches caudines de la COFRAC, cet organisme qui est chargé de délivrer les accréditations aux organismes intervenant dans l’évaluation. De quoi, selon un observateur, tuer tous les petits cabinets au profit des grands cabinets d’audit.
L’HAS reconnait d’ailleurs elle-même que le travail n’est pas abouti, malgré la mobilisation de 154 personnes réparties pendant un an en 9 groupes de travail. Dans son langage inimitable, l’Agence explique que « les méthodes d’évaluation seront définies en lien avec le groupe de travail transversal, qui va décliner les critères dans des grilles d’évaluation, à partir de la version consolidée du référentiel à l’issue de la concertation publique ». Car, la « V0 » a en effet fait l’objet d’une large concertation puisqu’en janvier et février, les professionnels comme le grand public étaient censés déposer leurs remarques sur un site dédié. Mais au final, « la procédure d’évaluation et le guide de l’évaluation viendront compléter le référentiel et constitueront l’ensemble du dispositif d’évaluation issu de la loi de 2019 ».
Mais en attendant, et au-delà du référentiel lui-même, rien sur l’obligation de formation des évaluateurs, rien sur l’évolution du lien de contractualisation avec le client évalué, rien non plus sur le projet de modifier le rythme des évaluations externes pour le ramener à 5 ans.
Pendant ce temps, c’est la cacophonie dans les établissements. La plupart de ceux qui ont réalisé une évaluation externe en 2014 (conformément aux obligations du premier calendrier) considèrent que 7 ans après, il est temps de la renouveler. Mais sur quelle base ? Un courrier du Ministère en date du 16 décembre dernier, largement relayé auprès des établissements, n’a pas aidé à clarifier les choses : les évaluations prévues avant le 31 décembre 2020 peuvent être reportées jusqu’en octobre 2021. Celles programmées cette année sont carrément sous moratoire jusqu’en novembre, date annoncée pour la parution du nouveau référentiel. Avancer ? Attendre ? On pensait que le passage de l’Anesms à la HAS créerait un électrochoc. Ce n’est, à l’évidence, pas le cas.
Mais il serait injuste de ne pas cibler ici la responsabilité de l’Etat. Un Etat qui ne pense plus rien sur le sujet depuis 20 ans. Un Etat qui s’est délesté de sa responsabilité pendant 10 ans sur l’Anesms et qui fait désormais de même avec la HAS. Or, en 1999, d’Angelique au cahier des charges des conventions tripartites, c’est bien la Direction de l’Action Sociale qui avait mené le bal et qui avait fixé les orientations. Mais aujourd’hui, entre une DGCS qui ne pense plus et un Ministère obsédé par le court terme, il faut bien s’en remettre à la HAS. Avec ses faiblesses, ses lenteurs et, au final, avec son manque d’ambition.
Katy Giraud et Luc Broussy
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