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9 mai 2019

Entretien avec Vincent CARADEC

Auteur de « Sociologie de la vieillesse et du vieillissement », Vincent Caradec, professeur à l’Université de Lille, apparaît aujourd’hui comme le sociologue de référence sur les questions de vieillissement. Cet homme, rare dans les médias, nous a accordé un entretien.

Le Mensuel des Maisons de ­Retraite  : Comment expliquez vous que les universitaires sociologues soient si peu en contact avec les professionnels du grand âge ?

Vincent Caradec : L’Université française fonctionne en vases clos, y compris par discipline. Ce qui constitue d’ailleurs un problème pour qu’émerge une vraie gérontologie, elle qui a besoin par définition de transversalité. Au Québec, il existe un organisme, le C3S (CSSS) qui permet aux labos de recherche d’être directement affiliés à des services sociaux de terrain. Des universitaires sont financés par le C3S tandis que des professionnels se mettent à faire de la recherche. Là bas, la porosité entre monde universitaire et professionnel est construite structurellement. Alors qu’en France, un universitaire vit d’abord de ses publications et de ses enseignements. Rien, dans ce système, ne l’encourage à aller parler devant des colloques de professionnels outre qu’il manque aussi de temps pour le faire. Des liens, heureusement, se tissent de plus en plus souvent sur le terrain. Et puis, il y a vingt ans, un docteur qui avait produit une bonne thèse avait l’assurance d’un poste à l’Université. Aujourd’hui, le faible nombre de places conduit nombre de docteurs à chercher un emploi dans le privé. Regardez Laetitia Ngatcha-Ribert et Anne-Bérénice Simzac à la Fondation Méderic-Alzheimer ou Agathe Gestin à la Fondation de France : elles continuent d’une autre manière leur travail de sociologue.

Le MMR  : Comment voyez vous la sociologie du vieillissement en France ?

V.C. : Dans les années 70-80, les sociologues du vieillissement étaient encore peu nombreux. Quelques noms à ce stade me paraissent importants à citer. Anne-Marie Guillemard évidemment, Claudine Attias-Donfut à la Cnav, Françoise Cribier et Xavier Gaullier du Cnrs ou encore Christian Lalive d’Epinay à Genève qui est une figure marquante du champ. Tous se sont plutôt consacrés à cette époque au passage à la retraite qui était alors un phénomène social nouveau.

Mais rapidement la sociologie du vieillissement a été traversée par les débats qui agitaient la sociologie française en général. Pierre Bourdieu a estimé que l’âge était « une donnée biologique socialement manipulée et manipulable », que « les divisions entre les âges (étaient) arbitraires » et que « la frontière entre la jeunesse et la vieillesse (était) dans toutes les sociétés un enjeu de luttes ». En 1984, il signe un article intitulé « La jeunesse n’est qu’un mot ». De la même façon, on peut soutenir que si, avec la retraite, la vieillesse est devenue une étape spécifique de la vie, elle n’en reste pas moins une catégorie très disparate marquée par de profondes inégalités sociales et culturelles. Au même moment, en 1967, un sociologue comme Edgar Morin dans son fameux ouvrage « La métamorphose de Plodémet » va poser les premiers jalons de la sociologie des âges et des rapports entre générations… Puis, à partir des années 2000, un réseau plus dense et nombreux de sociologues du vieillissement a émergé.

Le MMR  : Si vous aviez trois sujets qu’en qualité de sociologue vous auriez à privilégier aujourd’hui, quels seraient-ils ?

V.C. : Le premier sujet majeur, c’est l’âgisme. Je pense que notre société est plus âgiste aujourd’hui qu’elle ne l’était au début du XIXème siècle. L’âgisme c’est d’abord ce regard dépréciatif que nous portons sur les corps âgés dégradés et infirmes. Or, les travaux sur l’âgisme sont beaucoup plus développés en Belgique par exemple qu’en France.

Françoise Cribier a montré comment dans les années 70 les premières générations de retraités ont inventé la retraite. A nous aujourd’hui d’inventer la période du grand âge. C’est une période inédite caractérisée par un « vieillissement dans le vieillissement ». Quand la question dans les années 70 était de savoir comment les gens allaient occuper cette nouvelle période d’inactivité, celle des prochaines années consistera à savoir ce que nous voulons faire de l’allongement de la vie qui se présente à nous.

Le deuxième enjeu, c’est l’habitat intermédiaire. Nous sommes face à une tendance forte qui consiste à trouver des alternatives au domicile ou à l’Ehpad. Je pense notamment aux travaux de la sociologue Anne Labit sur les nouvelles formes d’habitat, participatives, solidaires ou auto-gérées.

Enfin, je considère l’intergénérationnel comme le troisième grand défi. Jamais nous n’aurons vécu dans une société où cohabitent des gens aussi différents en âge. Plus que l’intergénérationnel d’ailleurs, c’est d’une société plurigénérationnelle dont il faut parler qui doit amener à trouver un juste équilibre entre l’entre soi générationnel et l’ouverture intergénérationnelle.

Le MMR  : Au moment où les pouvoirs publics parlent de loi et de réformes, à quoi peuvent servir les sociologues pour aider à voir de quoi sera fait demain ?

V.C. : Je ne crois pas à la sociologie prospective. Les sociologues analysent la société présente ou la façon dont elle a évolué au cours des précédentes années. La sociologie que je pratique est du côté des gens, c’est une sociologie de l’expérience. Si nous avons quelque chose à apporter aux professionnels et aux politiques, c’est de leur donner à voir comment les personnes vivent les dispositifs qui leur sont proposés. Je plaide pour une sociologie compréhensive.

 


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