Entretien avec Luc Carvounas,
président de l’Union Nationale des CCAS
Le 6e Président de l’UNCCAS depuis sa création en 1926 a accordé le 17 novembre un entretien au Mensuel des Maisons de Retraite, au moment même où l’Union présentait son livre blanc pour l’autonomie. Relations avec le gouvernement, avec les élus locaux, territorialisation de la politique de l’autonomie, cet entretien est l’occasion pour lui de dévoiler sa vision et les priorités qu’il a fixées pour sa présidence de 6 ans.
Le MMR : Vous venez coup sur coup de réagir vivement à la tribune signée dans Le Monde par Brigitte Bourguignon au moment de la Semaine bleue et d’envoyer au Premier Ministre un courrier de protestation à la désignation de la DIHAL[1] comme interlocuteur de l’UNCCAS, dans le cadre de sa convention avec l’Etat. Considérez-vous votre rôle, en qualité de Président de l’UNCCAS, de façon plus politique que le concevaient vos prédécesseurs ?
Luc Carvounas : Que ma prédécesseuse sûrement : question de caractère. Mais je crois que pendant 18 ans l’UNCCAS, sous la présidence de Patrick Kanner, a été écoutée par les pouvoirs publics quels qu’ils aient été.
Lorsque Brigitte Bourguignon m’a sollicité comme Président de l’UNCCAS pour signer la tribune, j’ai trouvé cela d’un cynisme sans nom au moment même où elle abandonnait la loi grand âge pour laquelle elle avait été nommée au gouvernement. En ce qui me concerne, je ne me prête pas à ces effets de manches et de communication, car ce sont des sujets sérieux. Et malheureusement, on ne prend pas au sérieux les acteurs du social dans les territoires, notamment l’UNCCAS.
Le MMR : Estimez-vous également que l’UNCCAS est toujours à la place qu’elle mérite dans les concertations menées par le gouvernement pour le secteur ?
L.C. : Nous avions jusqu’ici une convention avec l’Etat qui dépendait logiquement du ministère de la Santé et des Solidarités. Mais elle a récemment ripé vers le Ministère du Logement sous prétexte que nous nous occupons aussi du logement d’urgence. Du coup on a l’impression que, dans la tête de certains hauts fonctionnaires, les CCAS se résument à la question du logement d’urgence quand les CCAS s’occupent en réalité de toutes les politiques publiques. Le CCAS, c’est aujourd’hui un véritable couteau suisse ! On s’en est d’ailleurs bien rendu compte durant la crise sanitaire.
Pendant les six années de mon mandat, je souhaite remettre l’église au milieu du village. Les centres communaux d’action sociale et l’UNCCAS n’ont pas les mêmes missions qu’ATD Quart Monde ou que la Fondation Abbé Pierre. On est la plus vieille association de maires en France après l’Association des Maires de France et je veux qu’on nous respecte et qu’on respecte notre savoir-faire territorial. D’autant plus qu’avec la règle du non-cumul entre la fonction de député et de Maire, ceux qui fabriquent la loi ne possèdent pas forcément cette expérience territoriale.
Ces questions-là ne peuvent pas souffrir de politique politicienne, j’espère donc qu’on entrera dans une logique transpartisane, une logique qui est la nôtre au sein de l’UNCCAS. La présentation de notre Livre blanc est un acte politique qui illustre cet état d’esprit.
Le MMR : Vos deux prédécesseurs à la Présidence de l’UNCCAS étaient maires adjoints. Vous êtes depuis 2020 Maire d’Alfortville. Comment concevez-vous la relation de l’UNCCAS avec les maires de France ?
L.C. : Tous les maires sont Présidents de CCAS. Il y a un lien fusionnel entre les CCAS de France et les villes de France. J’ai voulu d’ailleurs qu’il y ait au moins 50 % de maires au sein du bureau. Le délégué général (NDLR : Benoît Calmels) me l’a rappelé, c’est la première fois depuis 17 ans qu’il y autant de maires dans un Bureau jusqu’ici composé essentiellement de maires-adjoints. Encore une fois, et je l’ai vu pendant trois ans à l’Assemblée nationale, le Parlement du non-cumul souffre d’un manque d’expérience territoriale pour la fabrication de la loi.
Le MMR : Les CCAS sont des organismes qui non seulement conçoivent des politiques publiques, mais gèrent aussi des équipements. Ce sont les gestionnaires de plus de 1 000 résidences autonomie et de plusieurs centaines d’Ehpad. Quelle orientation souhaitez-vous donner pour que l’équilibre demeure entre ces deux dimensions, d’un côté le CCAS concepteur et de l’autre le CCAS gestionnaire ?
L.C. : On ne peut pas avoir la même doctrine partout. Quand on dit CCAS, cela revêt de nombreuses réalités différentes. Un CCAS que tient un adjoint dans le bureau d’une mairie, ce n’est pas la même chose que des CCAS, comme dans ma commune, qui ont un bâtiment et un budget dédiés, avec une quarantaine de collaborateurs. Les choses sont ainsi.
Le MMR : Dans ce cadre, que préconisez-vous pour consolider et renouveler le modèle des résidences autonomie ?
L.C. : Je pense que les résidences autonomie ont vocation à disparaître. Cela peut prêter à un débat que je souhaite avoir avec les collègues au sein de l’UNCCAS. Je le vois même dans ma propre collectivité ! Un de mes prédécesseurs à la mairie d’Alfortville, Joseph Franceschi, a été le premier Secrétaire d’Etat en France en charge des personnes âgées, en 1981. Donc les questions qui nous animent aujourd’hui sont consubstantielles à l’ADN de la ville où je vis et où j’ai toujours vécu. Mais pour autant, nous avions historiquement six résidences autonomie et, au fil des décennies, nous n’en avons plus que trois car il y a moins de demande.
Les personnes âgées veulent une autre forme de logement, plus hybride, en mêlant des résidences autonomes et des Ehpad, ce qui rend les choses plus acceptables pour les familles. Je pense qu’il faut qu’on invente l’accueil et le logement de demain pour tous les seniors. Alfortville sera dans cette logique innovatrice car nous allons implanter bientôt un village sénior afin d’offrir toute la gamme de produits pour accompagner nos anciens, quel que soit leur pouvoir d’achat.
Le MMR : Le travail mené par Les Petits Frères des Pauvres, en particulier cette année avec la publication de deux études relatives à l’isolement des personnes âgées, a été un véritable électrochoc à la suite de la crise sanitaire liée à la Covid. Vous publiez ce mois-ci un Livre Blanc dédié à l’autonomie, quel serait la place des CCAS dans la lutte contre l’isolement ?
L.C. : Les CCAS doivent travailler avec l’écosystème à l’image des Petits Frères des Pauvres. On doit également les doter de moyens supplémentaires. Cela passe par une revalorisation par l’Etat avec des fonds de dotation plus significatifs qu’aujourd’hui.
Je le disais lors de la présentation du diagnostic territorial de santé de la commune dont je suis maire : il faut aider les aidants. Aujourd’hui on voit malheureusement monter des fragilités chez les aidants qui s’occupent d’enfants en situation de handicap, ou d’époux et d’épouses qui ont Alzheimer. Or, qu’est-ce que l’on fait pour eux ? On ne peut pas rester les bras ballants ! La puissance publique doit jouer son rôle là où personne d’autre n’intervient, grâce aux CCAS. Henri Emmanuelli, qui était à la pointe de ces questions, avait montré la voie en son temps en proposant des solutions de répit et de relayage il y a de ça plus de 10 ans.
Tous les maires qui siègent à l’UNCCAS, moi le premier, sont convaincus de la nécessité d’apporter cette vision politique des CCAS, sans vouloir distribuer les bons ou les mauvais points à qui que ce soit.
Le MMR : Vous appelez à une « dynamique gérontologique locale renouvelée et modernisée en EHPAD ». En quoi peut-elle consister ?
L.C. : Les maires ne constituent pas le lobby des Ehpad, des résidences autonomie ou des services d’aide à domicile. Notre problème c’est que nous avons été élus par une population, parmi lesquelles des personnes âgées, qui veulent qu’on leur apporte des solutions d’intérêt général et qu’on les aide à mieux vivre.
À l’UNCCAS on pense qu’il faut, lorsque le PLFSS [2] est conçu, se poser la question des moyens que l’on souhaite et que l’on donne à notre politique de l’autonomie. Il faut sortir du joug des fonctionnaires de Bercy qui calculent froidement le budget de la dépendance avec leurs tableaux Excel. Inversons les valeurs et ayons une approche pragmatique, plutôt que technocratique, du vieillissement. Rappelons-nous que la jeunesse est une maladie qui passe et qu’on sera tous un jour concernés.
Propos reccueillis par Robin Troutot
[1]. Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement.
[2]. Projet de loi de financement de la Sécurité Sociale
CV en flash
A seulement 50 ans, Luc Carvounas a déjà un édifiant parcours politique : adjoint au Maire d’Alfortville de 2001 à 2012, puis Maire de 2012 à 2017, puis de nouveau depuis 2020, conseiller général du Val de Marne de 2008 à 2011, sénateur de 2011 à 2017, député de 2017 à 2020, date à laquelle il choisit d’abandonner son mandat de député pour conserver son poste de Maire, ce même poste qui lui permet aujourd’hui d’être président de l’Union Nationale des CCAS et de faire partie désormais de l’équipe de David Lisnard, nouveau président de l’Association des Maires de France.
Luc Carvounas, de nationalité franco-grecque, est aussi connu pour avoir été le premier parlementaire français à s’être marié avec une personne du même sexe. C’était en 2015. Et l’heureux élu n’est autre que Stéphane Exposito, ancien chef de Cabinet de Pascale Boissard, secrétaire d’Etat aux personnes âgées de 2016 à 2017.
Un autre Maire d’Alfortville, Joseph Franceschi, fut le premier secrétaire d’Etat aux personnes âgées de la 5ème république. C’était en 1981.
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