Entretien avec Laurent Viale, consultant et fondateur de LV conseil
Consultant et fondateur de LV conseil, Laurent Viale revient sur les grandes mutations issues de la crise en matière de management. Il invite les établissements à tirer tous les bénéfices de cette expérience pour les mois et les années à venir.
Le Journal du Médecin Coordonnateur : Quel a été l’impact de la crise sanitaire que nous avons traversée en mars et en avril sur le management des équipes ?
Laurent Viale : Ce qui a radicalement changé pendant la période du confinement, c’est que les équipes au sein des établissements ont travaillé autour d’un objectif commun et celui-ci est apparu comme une évidence. Avant cette crise, les équipes pluridisciplinaires au sein des Ehpad avaient des objectifs différents, voire parfois divergents. Les Idec, par exemple, se trouvent bien souvent en situation normale dans la nécessité de tenir compte d’aspirations individuelles très diverses. Là, ce n’était plus le cas. L’objectif de tous était clair : faire face à ce risque infectieux et dans un deuxième temps maintenir le lien des résidents avec leurs familles. Cela change beaucoup de choses en termes de management. Cette crise a également conduit à une forme d’horizontalité entre les cadres qui travaillent sur le quotidien, mais aussi sur des projets à plus long terme, et les personnels soignants. Avec cette crise, tous ces projets d’avenir ont été abandonnés. Il fallait faire face ensemble à une crise sans précédent. Ce phénomène a contribué à créer beaucoup de cohésion entre les équipes.
Le JMC : Tout au long de cette période, les équipes dans les Ehpad, notamment les Idec, ont dû faire face en s’adaptant en permanence, mais aussi en innovant. Quelles ont été les conséquences de ce phénomène en termes de management ?
L.V. : Cette crise était totalement imprévisible. Même le plus élaboré des plans bleus n’aurait pu anticiper ce qui allait se passer. La plupart des établissements ont fait preuve d’une incroyable capacité d’adaptation et dans bien des cas, ce qui semblait impossible avant la crise est devenu possible. La première grande leçon de cette expérience, c’est qu’en termes d’organisation, il vaut mieux éviter de s’arrêter à « ce n’est pas possible » en se projetant toujours vers des solutions nouvelles. La crise a également fait exploser les sectorisations professionnelles et c’est sans doute une bonne nouvelle. S’il faut bien se garder de basculer dans le glissement de tâche et respecter les identités des métiers, il n’est sans doute pas inutile de réfléchir à une plus grande souplesse car une sectorisation trop marquée est évidemment un frein à l’action.
Le JMC : Durant la crise, plusieurs établissements se sont confinés avec leur personnel. Que pensez-vous de cette formule ?
L.V. : Si le confinement des salariés a pu apporter la preuve de son efficacité, il a avant tout été réalisé dans le feu de l’action pour faire face à une situation inédite. Il s’agit d’une expérience qui ne peut s’inscrire dans la durée au risque d’être à la source de tensions. Cette formule a pu présenter un intérêt à une certaine période, mais en aucun cas ne peut être généralisée.
Le JMC : Durant la crise, les personnels ont manqué et de nombreux renforts nouveaux sont venus étoffer les équipes (CDD en remplacement, Réserve sanitaire, étudiants, bénévoles). Comment ce turn-over a-t-il été abordé en termes de management ?
L.V. : Si ce phénomène a été sans doute exacerbé durant la crise, il n’est pas nouveau. Les établissements doivent depuis bien longtemps faire face à un turn-over incessant de leurs équipes. La gestion prévisionnelle des compétences est le point faible des Ehpad et il n’est pas rare que des Idec sans aucune formation préalable au management, aient à gérer plus d’une trentaine d’ETP avec des profils dont les compétences professionnelles sont parfois discutables, tant le secteur peine à recruter. Sur ce point, la crise n’a pas changé grand-chose et une réflexion s’impose sans doute dans les années à venir pour progresser sur le sujet. Le secteur s’est beaucoup professionnalisé ces 20 dernières années et cette professionnalisation s’est opérée par le recrutement de personnel qualifié. La qualification par le diplôme valide une connaissance. La compétence c’est autre chose : c’est la capacité à utiliser un savoir, une connaissance dans une situation donnée. C’est ici que se situe l’axe de progrès.
Le JMC : Que faudra-t-il garder de toutes ces innovations managériales, alors que nous abordons sans doute une deuxième vague de l’épidémie ?
L.V. : Je crois qu’il faut tenter de surfer sur ce qu’il s’est passé dans les établissements durant ces trois mois de confinement, en faisant en sorte que certaines pratiques persistent. Premier élément : il convient sans doute de faire en sorte que l’objectif de l’établissement prime toujours sur les objectifs individuels des salariés. De la même manière, il faut sans doute faire en sorte que des mesures qui auparavant relevaient de l’exceptionnel comme le port du masque par exemple, deviennent la norme. Autrement dit, il faut, aux yeux des personnels, que l’extraordinaire devienne ordinaire. Dans la même optique et c’est une des grandes vertus de cette crise, il faut maintenir une certaine souplesse dans les fonctionnements pour que ce qui était auparavant inenvisageable reste possible, afin de toujours être prêt à faire face à l’imprévu. Enfin, il semble très important de maintenir ce lien de proximité qui a été très fort durant la crise entre les Idec et le personnel soignant, car il est une véritable garanti du bon fonctionnement de l’établissement dans les situations les plus critiques. A chaque établissement de faire son bilan de la période et capitaliser sur ce qui peut l’être.
En première ligne, on le sait, tout au long de la crise du printemps, les Idec ont dû adapter leur manière de manager les équipes. Elles notent de nombreuses mutations, conséquences directes de cette période exceptionnelle. « Lors de cette crise, il y eut un vrai rapprochement entre les équipes soignantes et le personnel administratif, qui nous a apporté une aide très précieuse, notamment pour organiser les plannings. Tout ceci nous a permis de nous concentrer sur les soins, l’accompagnement des équipes. Tout le monde était sur le pont. Il faut garder cette dynamique », raconte Anne-Hélène Decosne, présidente de la FFIDEC. Si les réorganisations ont été nombreuses en plein cœur de l’épidémie, de même que la formation des personnels pour intégrer les nouveaux protocoles, les Idec se sentent prêtes aujourd’hui à affronter un rebond du virus.
Celles-ci notent cependant avec une certaine inquiétude, l’usure profonde des personnels, tant sur le plan physique, que psychologique. « Se mobiliser à l’extrême, c’est bien, mais cela ne peut pas durer indéfiniment, d’autant que les crises n’ont pas cessé de se multiplier ces derniers mois entre le Covid, la canicule et maintenant la perspective de la grippe. Certains personnels ont souhaité démissionner et nous avons toujours autant de mal à recruter, ce qui nous conduit à faire toujours plus avec moins. Cela nous contraint à ne pas céder au découragement, mais à se renouveler sans cesse en faisant preuve d’initiatives managériales. »
Une autre grande leçon de la crise est la prise de conscience de l’importance extrême du management de proximité et du trinôme médecin coordonnateur, directeur, Idec. « Dans tous les établissements où l’entente était bonne, les décisions ont été bien plus rapides, plus efficaces et l’organisation plus fluide, générant des contaminations plus circonscrites. » Anne-Hélène Decosne note également que pour favoriser l’accompagnement des équipes, la place du psychologue, dont les temps de présence sont très disparates selon les régions, mériteraient d’être renforcés. Bref, de nombreux chantiers à ouvrir au plus vite, alors que la deuxième vague se profile…
Retour aux actualités