Entretien avec Joël Belmin, professeur de gériatrie à l’Université La Sorbonne
Professeur de gériatrie à l’Université La Sorbonne, chef du service de Gériatrie au groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière-Charles Foix, Joël Belmin a récemment réalisé une étude sur l’impact du confinement des personnels sur la circulation du Covid-19. Publiée le 13 août dernier dans une revue du groupe Journal of the American Medical Association (Jama), elle prouve scientifiquement l’intérêt d’une telle démarche.
Joël Belmin : Lors de la crise du mois de mars et d’avril, j’ai eu connaissance que des membres du personnel de plusieurs établissements avaient décidé de se confiner avec leurs résidents 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, pour éviter l’entrée et la diffusion du virus. Je pensais ces expériences relativement exceptionnelles, mais en creusant un peu, je me suis aperçu que cette pratique avait concerné 17 établissements partout en France. Ces initiatives étaient suffisamment nombreuses pour être analysées. J’ai donc décidé de réaliser une étude sur le sujet, à la fois pour comprendre les ressorts et les modalités d’une telle démarche, mais également pour évaluer l’impact de celle-ci sur la propagation du virus, alors que celui-ci connaissait un véritable pic. A partir du mois de mai, avec mon équipe, nous avons contacté les directions de ces établissements pour mener des entretiens qualitatifs. Au total, nous les avons appelés chacun deux à trois fois notamment pour avoir les détails chiffrés de cette expérience.
Le JMC: A-t-on une idée de la durée moyenne durant laquelle les personnels se sont confinés ?
J.B. : Dans les Ehpad que nous avons contactés, les personnels se sont confinés sept jours ou plus, sur la base du volontariat bien sûr. La durée constatée des périodes de confinement a varié entre une et trois semaines selon les établissements. Certains d’entre-eux ont réalisé une seconde période de confinement avec les résidents juste à la fin de la première période, avec du personnel en partie renouvelé.
Le JMC: Quel a été l’impact de ce confinement sur la propagation du virus chez les personnels et les résidents ?
“Le confinement des personnels avec les résidents a constitué une véritable digue face au virus… ” |
J.B. : Nous avons comparé les données relatives aux cas possibles, aux cas confirmés et aux décès des résidents liés au Covid, avec le reste des Ehpad dans notre pays. Sur les 794 membres du personnel et 1250 résidents relevant des structures ayant réalisé un confinement de ses professionnels, seulement cinq décès ont été recensés (0,4 %) entre le 1er mars et le 11 mai contre 12 516 au national (1,8 %). Les résultats sont également impressionnants si l’on s’intéresse au taux de positivité qui est très faible avec cinq cas confirmés contre 30 569 sur l’ensemble du territoire, soit une prévalence onze fois inférieure et un nombre de décès cinq fois moindre. Le confinement des personnels a donc constitué une véritable digue face au virus.
Le JMC: Au-delà de la limitation de la propagation de la maladie. Que retiennent les personnels de cette expérience ?
J.B. : Nos entretiens ont montré qu’au-delà de la protection des résidents, ces expériences ont été un véritable facteur de cohésion des équipes, générateur de nombreuses solidarités, que ce soit du côté des salariés qui n’ont pas participé au confinement pour des raisons personnelles et qui n’ont pas cessé de soutenir leurs collègues, mais aussi des familles des résidents qui ont toutes salué cette initiative. Parfois, cette solidarité s’est étendue à l’ensemble de l’environnement de l’établissement, chacun contribuant à son échelle à soutenir cette initiative en apportant de la nourriture ou du matériel. Cette expérience, même si l’éloignement n’a pas toujours été facile à vivre, a été pour l’ensemble des salariés qui ont participé un grand motif de fierté, contribuant à redonner beaucoup de sens à leur profession.
Le JMC: D’après ce que vous avez pu observer, quelles sont les conditions pour que ce confinement des personnels puisse fonctionner ?
J.B. : La première des conditions est bien évidemment que les personnels soient volontaires. Si ce n’est pas le cas, l’expérience devient très rapidement génératrice de tensions. L’autre condition est l’extrême vigilance qu’il faut accorder à la santé des salariés qui participent à l’expérience. Si l’un d’entre eux, même asymptomatique, est porteur du virus, cela peut être dévastateur. Cette vigilance passe par des tests réguliers à l’entrée et lors des phases de roulement lorsqu’il y a lieu et par le maintien des gestes barrières à l’intérieur de l’établissement. Enfin, ce type d’expérience doit être forcément limité dans le temps.
Le JMC: Comprenez-vous les critiques de certaines autorités de tutelle devant ce type d’initiatives ?
“Cette expérience a été pour l’ensemble des salariés qui ont participé un grand motif de fierté, contribuant à redonner beaucoup de sens à leur profession.” |
J.B. : Il est vrai que certaines agences régionales n’ont pas vraiment été soutenantes devant ce type d’initiative (voir encadré), mais notre étude qui, je le rappelle, est à valeur scientifique, montre bien qu’il s’agit d’une option crédible. Etant donné que cette expérience repose sur le dévouement des équipes on ne peut pas faire de celle-ci un modèle, car il faut tenir compte des règles du droit du travail, mais aussi des conséquences sur la vie de famille des professionnels, en particulier quand la démarche dure. Pour autant, si un établissement décide de s’inscrire dans cette voie aujourd’hui, alors que le virus circule de plus en plus activement dans notre pays, il convient que les autorités ne le découragent pas et facilitent au contraire la vie des volontaires afin que cette expérience produise tous ses effets sur la santé des résidents.
Alors que Valérie Martin, directrice de l’Ehpad Vilanova à Corbas dans le Rhône, a fait des 47 jours de confinement des personnels avec les résidents un véritable étendard, au point de raconter cette aventure dans un ouvrage à paraître début septembre et sombrement intitulé « Moi, Villanova », cette expérience est loin de faire l’unanimité, en particulier du côté des pouvoirs publics. On se souvient en effet durant la crise, du manque d’enthousiasme de l’Agence régionale de santé d’Aquitaine devant l’initiative de l’Ehpad Bergeron-Grenier à Mansle en Charente, dont une partie du personnel s’était confinée à partir du 24 mars. Après avoir demandé le soutien de l’ARS pour tester une équipe relais visant à assurer un renouvellement de personnel, le directeur s’est heurté à une fin de non-recevoir, l’Agence l’appelant à prendre ses responsabilités. Le déconfinement a donc pris fin le 14 avril.
Et les médecins coordonnateurs ? Eux non plus ne sautent pas vraiment au plafond. Selon Anne-David Bréard, présidente du Syndicat national de gérontologie clinique, le confinement des personnels avec les résidents ne doit pas être découragé car il est l’expression d’un grand dévouement, mais cette formule peut conduire à de nombreuses complications et ne saurait être encouragée. « Je me souviens d’avoir participé à une expérience similaire il y a quelques années. Les équipes avaient amené les résidents durant plusieurs semaines dans un centre de vacances. Au retour nous avons fait le bilan des heures supplémentaires à payer aux salariés et cela a été un véritable gouffre financier. »
Une vision que partage Gaël Durel, co-président de MCOOR qui se montre même un peu plus radical. Selon lui, cette option reste difficilement tenable sur la durée. « Au-delà de trois semaines ensemble, les risques de tensions sont trop nombreux. On ne peut pas demander aux personnels d’être professionnels 24h sur 24h, sans quoi cela génère de la souffrance ». Gaël Durel rappelle enfin que cette formule contrevient totalement aux règles du droit du travail. Bref, si toutes ces expériences du confinement sont apparues comme une option crédible durant la crise du printemps, il est très peu probable qu’elles soient un jour érigées au rang de modèle….
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