Entretien avec Fabrice Gzil, chercheur au sein de l’Espace éthique d’Ile-de-France
Chercheur au sein de l’Espace éthique d’Ile-de-France, Fabrice Gzil insiste sur l’importance de l’éthique pour permettre aux médecins coordonnateurs et aux établissements de surmonter le dilemme du confinement des résidents en période de crise.
Le Journal du Médecin Coordonnateur : Alors que le virus circule de plus de plus activement dans notre pays, le gouvernement invite les Ehpad à protéger sans isoler. Comment atteindre cet objectif ?
Fabrice Gzil : Avant de répondre à votre question, je voudrais d’abord souligner l’immense courage dont ont fait preuve les professionnels et la très grande capacité d’adaptation des établissements au plus fort de la crise. Malgré les injonctions publiques, nombreuses, soudaines et parfois incohérentes, ils ont fait face avec presque rien, quitte parfois à prendre de la distance avec toutes ces recommandations. Les nombreuses enquêtes menées par l’Observatoire[1] que nous avons mis en place dès le mois de mars à l’Espace éthique nous montrent le sens des responsabilités dont ont fait preuve les équipes pour tenter de surmonter des situations qui apparaissaient comme des impasses. La nécessité de protéger les résidents devant le virus tout en maintenant les liens sociaux indispensables fait partie de ces dilemmes un peu inextricables. Dans ce cadre, deux écoles s’affrontent : celle qui a avant tout une lecture sanitaire de la crise et qui privilégie l’isolement pour éviter toute contamination et celle qui prend en compte le besoin fondamental de lien, de relation des résidents, quitte à prendre certains risques assumés. Bien évidemment, cette dichotomie peut varier en fonction de l’intensité de la crise, mais une chose est certaine : que l’on choisisse l’une ou l’autre de ces options, la situation est inconfortable et il reste une légitime inquiétude morale. Il faut accepter cette contradiction qui est dans une certaine mesure indépassable.
Le JMC : A quelles conditions le confinement des résidents doit-il être organisé pour s’inscrire dans une démarche éthique ?
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F.G. : Au regard de la circulation actuelle du virus, il est presque inévitable que des cas se déclarent dans les Ehpad et donc qu’il faille repasser par le reconfinement de certains établissements. Cette mesure doit être strictement encadrée sur le plan éthique. Comme toute restriction de liberté, elle ne peut être légitime que si elle est nécessaire, subsidiaire, c’est-à-dire qu’il n’y pas de possibilité d’apporter d’autres réponses. Les mesures prises devraient en outre être proportionnées au regard du risque encouru, individualisées et limitées dans le temps. Contrairement au mois de mars et d’avril, la possibilité désormais de procéder à des tests et une meilleure organisation devraient permettre de mieux respecter ces différents critères. Sauf situation exceptionnelle, il paraît par exemple désormais exclu de confiner les résidents seuls en chambre comme cela a été le cas auparavant.
Le JMC : Les établissements ont-ils aujourd’hui les moyens de respecter ces conditions au regard de la fatigue des personnels et des sous-effectifs ?
F.G. : C’est tout le problème qui se pose actuellement. Les conditions que je viens d’énoncer nécessitent une approche individualisée. Celle-ci prend du temps et suppose des effectifs suffisants et disponibles. Or les personnels sont aujourd’hui épuisés par une crise dont on ne voit pas le bout et les sous-effectifs sont toujours de mise. Dans ce contexte très contraint, le risque de perte de sens et de démotivation apparaît comme une menace majeure. C’est pourtant sur ces valeurs du soin qu’il faut s’appuyer pour traverser cette période incertaine et complexe.
Le JMC : Dans son avis du 2 avril, le CCNE avait recommandé qu’avant de prendre une mesure de confinement, le personnel soignant devrait prendre l’avis des résidents. Mais comment faire quand ces derniers ne peuvent pas exprimer leur consentement ?
F.G. : Pour mettre en œuvre les différentes recommandations publiques les concernant, que celles-ci émanent du ministère ou des agences régionales de santé, les établissements doivent tenir compte du contexte spécifique qui est le leur, mais également des aspirations des personnes accueillies. En théorie donc, toute mesure de confinement, qui est une restriction de liberté, doit être consentie par le résident. Bien évidemment, la réalité de l’épidémie peut dicter de prendre des mesures collectives qui s’imposent à tous et certains résidents peuvent avoir des difficultés pour appréhender la situation, d’où l’importance de s’appuyer sur les familles qui apparaissent souvent comme de vraies alliées pour les décisions qui concernent leur proche et qui méritent d’être régulièrement consultées. De la même manière, le conseil de vie sociale est un espace d’échange qui peut permettre de mobiliser résidents et familles autour de la gestion de la crise. Continuer de faire vivre ces instances démocratiques pendant une pandémie constitue bien sûr une gageure. Mais il est possible de les réunir à distance. Des mesures qui ont été collectivement discutées sont mieux comprises et donc, mieux acceptées.
Le JMC : Tout au long de la première vague, les établissements ont fait preuve d’une grande capacité d’innovation, précédant bien souvent les pouvoirs publics. Aujourd’hui encore, ils jouissent d’une certaine liberté pour agir. En quoi une démarche éthique est-elle particulièrement importante dans ce contexte ?
F.G. : Il faut souligner qu’un certain nombre d’établissements n’ont pas attendu les recommandations publiques pour agir. Et il faut le dire : le fait que les directeurs aient pris leurs responsabilités a très certainement permis de sauver de nombreuses vies. Cette démarche est courageuse mais pas toujours simple, compte tenu de la pression exercée par les médias et par certaines familles. Je crois que l’une des meilleures options pour faire des choix cohérents donc justifiables est de s’appuyer sur la collégialité, en favorisant une approche pluridisciplinaire, en mobilisant toutes les catégories de personnel au sein des Ehpad, et en impliquant au maximum les résidents et les familles. Le deuxième postulat, je le répète, est de rechercher des solutions en s’appuyant sur les principes éthiques de l’accompagnement et du prendre soin. C’est l’attention au sens que l’on donne à son action et le fait de ne pas perdre de vue les valeurs fondamentales du soin, de l’attention aux plus vulnérables, qui permettront de surmonter cette crise durable dans les meilleures conditions.
[1]. Retrouvez l’ensemble de ses travaux sur le site : www.espace-ethique.org
Dans un document transmis fin août à la DGCS, la FFAMCO formule plusieurs propositions pour sortir de l’impasse dans laquelle se trouve de nombreux établissements lorsqu’il s’agit d’éviter que les résidents soient contaminés, sans pour autant que lien social ne soit sacrifié. Premier constat de la fédération de médecins coordonnateurs : le port du masque par les résidents est souvent mal utilisé et de fait, totalement inefficace voir dangereux. Dès lors, il est prôné de supprimer le port du masque obligatoire entre résidents dans les Ehpad estimés Covid-négatifs. Cette décision appartiendrait au directeur sur avis du médecin coordonnateur. Elle serait révisable en cas d’apparition de cas. Selon la FFAMCO, le personnel vit également très mal le fait d’empêcher les résidents de se retrouver entre eux dans des espaces communs ou dans leurs chambres. Pour les mêmes raisons que celles concernant le port obligatoire du masque, elle est donc favorable à la suppression de la distanciation sociale entre résidents à l’intérieur de l’Ehpad ou de l’unité Covid-négatif. Une décision également modifiable en situation d’urgence.
La FFAMCO considère enfin que le non-respect des mesures barrière par les intervenants extérieurs ou les visiteurs constitue le plus fort risque d’intrusion du virus dans les établissements. « Alors que les établissements ont fait l’effort de mettre en place un signalétique informative et claire à l’entrée des Ehpad, les personnes externes aux équipes ont tendance à ne pas respecter les mesures barrière, que ce soit dans les parties communes ou dans les chambres des résidents », détaille la fédération. Dès lors, elle demande à ce que les chefs d’établissements aient la possibilité d’interdire, au moins temporairement et de manière ciblée, l’accès aux Ehpad à ces personnes après rappel des directives, fût-ce en ayant recours aux forces de l’ordre. Autant de mesures pour le moins radicales qui ne manqueront pas de susciter le débat dans la profession.
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