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2 octobre 2020

Entretien avec Anne-Julie Vaillant-Ciszewicz, gérontopsychologue au CHU de Nice

Gérontopsychologue au CHU de Nice et membre du conseil scientifique de la Société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG), Anne-Julie Vaillant-Ciszewicz revient sur l’importance de prendre en compte les troubles de stress post-traumatique (TSPT) parmi les facteurs de fragilité du sujet âgé.

Le Journal du Médecin Coordonnateur : Comment définir le trouble de stress post-traumatique (TSPT) ?

Anne-Julie Vaillant-Ciszewicz : Le psycho-traumatisme est défini par les critères du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), la bible en matière de pathologies mentales, comme un ensemble de symptômes survenus après exposition à un évènement traumatique. Il peut s’agir d’une exposition à la mort ou à la menace de mort, à des blessures graves ou des violences sexuelles. Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) peut survenir à n’importe quel âge à partir d’un an. Notons que les personnes âgées sont citées plusieurs fois dans le DSM mais il n’existe pas de classification de symptômes de TSPT propres à la personne âgée qui par conséquent, appartiennent à la catégorie adulte.

Le JMC : Comment se manifeste-t-il chez la personne âgée ?

“Il ne serait pas improbable que le confinement dans la durée ait favorisé l’apparition de ce type de troubles (TSPT) et renvoyé à des traumatismes anciens comme la guerre.”

AJVC : Le diagnostic de TSPT repose sur plusieurs éléments tout à fait caractérisés comme la présence de souvenirs répétitifs involontaires, de flash-back, de détresse et de réactions physiologiques intenses lors d’évènements qui rappellent l’évènement traumatique. Il peut aussi s’agir d’un évitement des situations évocatrices, de troubles de l’humeur et de la cognition. Pourtant, il faut souligner que les symptômes de reviviscence traumatique sont assez rares chez des patients âgés, tandis que les stratégies d’évitement ou d’hyper vigilance sont de plus en plus fréquentes après l’âge de 70 ans.

Le JMC : Quelles sont les formes de TSPT propres aux personnes âgées ?

AJVC : Ces formes sont assez diverses. Elles résultent de la littérature scientifique et des observations des professionnels et chercheurs de gériatrie et gérontologie. En résumé, les personnes âgées sont citées (une ou deux fois) mais il n’existe pas de classification de symptômes de TSPT propres à la personne âgée. Il peut s’agir du TSPT de novo ou traumatisme psychique aigu vécu après 65 ans, du TSPT chronique dont les symptômes traumatiques perdurent plus de trois mois, du TSPT tardif : dans ce cas précis, les symptômes apparaissent après une phase de « latence » initiale de plus de 6 mois. Enfin, le TSPT complexe est constitué de la répétition d’événements traumatiques subis initialement dès l’enfance ou avant les stades de la puberté et cumulés tout au long de la vie. Il peut s’accompagner de troubles du comportement et d’une difficulté importante à gérer les émotions.

Le JMC : Quels sont les conséquences de ce type de trouble chez la personne âgée ?

AJVC : Les études sont rares sur le sujet en dehors de celles menées sur les vétérans de guerre, mais il semble que le TSPT soit à l’origine d’une certaine forme d’isolement social. On peut également observer des symptômes anxio-dépressifs et une perte d’autonomie. Le TSPT peut conduire également à une forme de repli sur soi, une perte d’élan vital, allant parfois jusqu’au syndrome de déconditionnement (auparavant nommé syndrome de glissement). Il pourrait exister des liens entre le TSPT et les maladies neuro-dégénératives mais les études existantes sont parfois contradictoires sur le sujet.

Le JMC : Quels sont les événements qui peuvent déclencher ces TSPT ?

AJVC : Ils sont nombreux bien évidemment. Chez les personnes âgées il peut s’agir d’évènements survenus dans un temps récent, des traumatismes du quotidien comme les cambriolages, la maltraitance, les agressions, … Il faut également tenir compte de deuils, de l’isolement ou même d’une brusque perte de repères comme une entrée en Ehpad par exemple. Tous ces éléments sont comme autant de facteurs qui peuvent favoriser la survenue ou la réactivation de TSPT et auxquels il faudra donc être attentif.

Le JMC : La crise sanitaire aigue que nous venons de traverser dans les Ehpad peut-elle être à l’origine d’une augmentation des TSPT chez les résidents ?

AJVC : C’est très difficile à dire car nous manquons de recul pour objectiver cette tendance, mais il ne serait pas improbable que le confinement dans la durée ait favorisé l’apparition de ce type de troubles et renvoyé à des traumatismes anciens comme la guerre. De la même manière, dans les Ehpad où les décès ont été nombreux, la crise a pu constituer une expérience traumatisante pour les résidents les plus proches. Il n’est pas impossible donc, qu’à moyen terme, cette vague épidémique très brutale ait été à l’origine de nombreux troubles dépressifs et anxieux dont le TSPT.

Le JMC : Comment traiter et prendre en charge ces troubles ?

AJVC : Ces troubles ne sont pas toujours facilement repérables car les personnes âgées se confient très rarement sur leurs traumatismes lors d’une consultation gériatrique. C’est la raison pour laquelle, lorsque qu’un résident entre en établissement, une période souvent délicate pour lui, il convient de laisser passer un peu de temps pour lui permettre de raconter, au travers de rendez-vous réguliers ou de moments informels, ce qu’a été sa vie. Il existe par ailleurs plusieurs méthodes qui permettent de traiter ce type de troubles. C’est le cas notamment de la psychothérapie EMDR (Eye movement Desenzitisation and Reprocessing) qui reste cependant difficilement utilisable pour des sujets ayant des troubles cognitifs, de l’hypnose ou encore de la thérapie cognitivo-comportementale. A noter que l’usage de ces différentes méthodes nécessite une formation qui intègre la gériatrie, en psychiatrie et en psychologie. Les progrès pour mieux connaître ces TSPT et mieux accompagner et soigner les personnes âgées subissant ces troubles, sont encore nombreux. C’est la raison pour laquelle la SFGG vient récemment de créer un groupe de travail sur sujet.

Pour en savoir plus sur les TSPT, retrouvez la thèse d’Anne-Julie Vaillant-Ciszewicz :

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02902678


Après la crise, un nouvel élan pour la gériatrie ?

La crise du Covid a incontestablement placé la médecine du vieillissement au premier plan. Les principales associations d’internes en gériatrie et d’enseignants d’ailleurs espèrent que ce coup de projecteur aura un impact sur les choix de rentrée des étudiants en médecine. Selon Arnaud Caupenne, porte-parole de l’association des jeunes gériatres, cette discipline assez jeune est encore méconnue et souffre d’une image erronée. « Dès que les étudiants ont l’occasion de faire un stage dans un service gériatrique, ils sont très intéressés et souhaitent s’y investir. C’est la raison pour laquelle nous militons pour que chaque étudiant en médecine réalise obligatoirement un stage en gériatrie lors du second cycle. Cette proposition est présente dans de nombreux rapports notamment dans celui de Dominique Libault ou dans le manifeste des gériatres porté par le CNP de gériatrie. Elle doit maintenant devenir réalité. »

Car pour Arnaud Caupenne, il ne fait aucun doute que cette spécialité présente de nombreux intérêts sur le plan de la médecine, comme celui de porter un regard global sur le patient et non pas simplement s’intéresser à un organe, à un type de pathologie ou encore celui de travailler en équipe dans un cadre pluridisciplinaire. « Si le gériatre le souhaite, il peut se sur-spécialiser et ainsi acquérir des connaissances plus techniques et pointues dans certains domaines (neuro-gériatrie, cardio-gériatrie, onco-gériatrie, ortho-gériatrie…) ». A noter également que la gériatrie peut se pratiquer de multiples façons : à l’hôpital, en soins de suite, en équipe mobile intra ou extrahospitalière ou en Ehpad, sans compter le rôle du gériatre en matière de prévention de la perte d’autonomie, un secteur d’avenir…

Bref une discipline très riche qui pourrait bien faire des émules dans les années à venir. « Durant la crise du printemps, il y a eu une vraie prise de conscience de tous les apports de cette spécialité. En effet, de nombreux secteurs sanitaires et Ehpad ont fait appel à des étudiants en médecine pour renforcer leurs équipes. J’espère que ces nombreuses expériences créeront des vocations… »


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