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28 janvier 2021

EHESP : c’est quoi être D3S ?

paru dans Le Mensuel des Maisons de Retraite

On l’a déjà écrit dans ces colonnes : les nouvelles générations de directeurs d’établissement sanitaire, social et médico-social (“D3S”) sorties de l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (EHESP) sont constituées de celles et ceux sur lesquels il faut compter pour donner un avenir au secteur public. D’où viennent ces jeunes diplômés ? Quelles sont leurs motivations ? Comment sont-ils formés ? Enquête au cœur de l’école de Rennes avec, comme guides, Hugo, Dina, Pierre, Aude.

A 30 ans, Hugo Vidal Rosset est issu de la promotion 2016-2017. Son parcours ? Une licence de droit, un master de relations internationales, une prép’ENA avant de passer le concours D3S. Sa conviction ? « J’avais envie de travailler dans la fonction publique pour le bien commun ». Originaire de Bourgogne, c’est dans sa région qu’il occupe son premier poste : directeur de l’Ehpad Résidence St Julien du Sault dans l’Yonne. « Je ne cherchais pas forcément à retourner sur mon lieu d’origine » mais il voulait toutefois rester dans l’Est de la France. Cet Ehpad constituait son 1er choix, ils n’étaient que 2 postulants. Il a été choisi.

Dina Rousseau a 29 ans. Elle aussi a eu un parcours somme toute assez classique : « je suis allé à l’université après le bac, j’ai fait médecine sans trop de succès. Je me suis orientée sur le droit au départ sans grande conviction jusqu’à ce que je découvre les concours de la Fonction Publique Hospitalière. Je me suis orientée alors en M1 droit public puis en M2 en Droit des établissements publics de santé où j’ai fait un stage en hôpital psychiatrique ». Après deux ans passés à Rennes, elle dirige désormais deux Ehpad autonomes dans le Vaucluse, l’Ehpad Christian Gonnet à Beaumes-de-Venise et Le Soleil Comtadin à Aubignan.

Formation à Paris Dauphine en économie et gestion, entrée à l’Ehesp, Aude Personnic, 26 ans, va commencer sa carrière là où elle vient de faire son stage de huit mois : aux Hôpitaux Champagne Sud à Troyes, plus précisément cette fois au sein de l’Etablissement public de santé mentale de l’Aube. Pourtant durant deux ans, elle est passée par la DGCS, le Think Tank Matières Grises puis par KPMG où elle a travaillé sur les Cpom.

Lui, si vous lisez attentivement le MMR (où il a déjà eu droit à son portrait) et les réseaux sociaux (où il est particulièrement actif, vous le connaissez. Pierre Gouabault, c’est ce directeur du Loir-et-Cher qui a reçu Emmanuel Macron dans son Ehpad le 22 septembre dernier. A 38 ans, il est déjà d’une autre génération que les bambins de 26 ans. Secrétaire médical, infirmier pendant 4 ans puis cadre de santé durant 5 ans, il intègre l’Ehesp via le concours interne. A la sortie, il va diriger un Ehpad, puis deux et « aujourd’hui, je suis administrateur adjoint d’un groupement de 15 Ehpad. C’est une énorme chance et une belle carrière pour moi » ­avoue-t-il. Son Ecole il l’aime. « J’étais boursier à taux plein quand j’étais étudiant. Oui, c’est une belle école, qui a donné sa chance à un mec comme moi ».

“C’est une école où on apprend le top management mais pas l’opérationnel.”

Pierre Gouabault, directeur de 3 Ehpad publics dans le Loir-et-Cher

Qu’est-ce que ces quatre-là pensent de leur scolarité ?

Hugo Vidal Rosset, lui, a trouvé utiles « les cours de comptabilité, d’analyse financière et ceux relatifs aux éléments budgétaires et financiers ». « Les “RH” c’est autre chose : il y a tellement de cas particuliers et le domaine est si immense qu’on nous apprend plutôt à aller chercher l’information que d’accumuler les connaissances » analyse-t-il.

Pour Dina Rousseau, « c’est tout l’ensemble qui m’a été utile à l’EHESP : le réseau, les stages, les cours techniques, un contexte global qui permet d’avoir accès a autant de professionnels de santé, à autant d’anecdotes. On construit notre parcours autour de ça ». Elle se rappelle encore de cette directrice venue leur raconter son quotidien et notamment … le suicide d’un agent sur son site. « C’est très formateur et ça nous permet de nous projeter ».

Pierre Gouabault, lui, pointe du doigt deux déficits : « Ce n’est pas une école de management opérationnel, c’est une école où on apprend le top management mais pas l’opérationnel. On manque aussi de cours sur le fonctionnement d’une collectivité territoriale. Or, c’est une hérésie pour un D3S de ne pas savoir comment fonctionne un département ». En revanche, il conserve un souvenir marquant à l’évocation de Jean-Marc Leroux, « un professeur incroyable qui a su faire de la finance non pas un outil technique mais un outil stratégique » ou de Karine Lefeuvre et du séminaire qu’elle avait organisé sur les usagers.

Avec le recul, Dina Rousseau, elle, considère « qu’on manque cruellement de formation managériale et psychologique alors que c’est la seule chose sur laquelle on devrait s’appuyer. Si on avait cette formation en management, en communication, en psychologie, on aurait peut-être moins d’agents en souffrance. Je pense que certains directeurs sont en difficultés fautes de techniques de management » estime-t-elle.

Dans leur scolarité, les stages ont à l’évidence un rôle essentiel. « Durant la première année on découvre beaucoup de choses » indique Hugo Vidal Rosset. Il a en effet enquillé les stages dans le secteur du handicap, en IME et ITEP, dans un Ehpad privé congréganiste puis dans un Ehpad public autonome. Pierre Gouabault a, quant à lui, varié les plaisirs autant que les climats puisqu’il a effectué ses stages en Seine-Maritime au sein des Ehpad de Buchy, Gaillefontaine et d’Aumale avant d’aller faire son stage extérieur… au CHU Mohammed VI de Marrakech !

Tous restent très marqués par la session inter-écoles ou par les moments plus conviviaux comme les Olympiades de l’EHESP. « L’Ehesp c’est aussi un esprit de corps » explique Hugo Vidal Rosset qui se souvient d’un tournoi de tennis. « Cet esprit de corps, assez précieux pour la suite, passe par des choses assez informelles, par des rencontres dans les couloirs, des discussions dans un café… ».

Avoir l’esprit de corps

Dina Rousseau, elle, a été marquée par les… pompiers. « Je suis allée à l’école des pompiers à Aix en Provence pour suivre des cours sur la gestion de crise. Un cours de gestion de crise par un pompier c’est très pertinent ». Et d’ajouter : « et c’est un format un peu moins austère que l’amphi de l’école à Rennes ». Tu m’étonnes… Même souvenir pour Aude Personnic : ­l’ENSOSP ! L’Ecole Nationale Supérieure des Officiers Sapeurs-Pompiers. « Le but, se souvient-elle, c’était d’avoir des thématiques en lien avec nos formations, pour moi c’était donc le risque incendie en établissement ». Le souvenir de Pierre Gouabault est plus sobre : lui c’est un séminaire en Corse sur la question de la territorialité qui l’a marqué « car tous les grands corps d’Etat étaient là ». Corps de pompier ou corps de l’Etat, choisis ton camp, camarade.

Aude Personnic se remémore aussi le « MIP », le module interprofessionnel, moment ou quasiment toutes les filières de l’Ehesp se rencontrent autour d’un projet.  « On a une thématique de mémoire qui est déterminée par des chercheurs et on va avoir 3 semaines pour produire et répondre collectivement à cette problématique. On passe devant un jury et si on fait une bonne prestation, les MIP sont publiés sur la BDSP ». La BDSP pour les ignorants, c’est la Banque de Données en Santé Publique, vaste bibliothèque et véritable mine d’or de l’Ehesp.

“Quand on sort de l’école, la première année de prise de poste est un peu chaotique…”

Dina Rousseau, , directrice de deux Ehpad autonomes dans le Vaucluse, l’Ehpad Christian Gonnet à Beaumes-de-Venise et Le Soleil Comtadin à Aubignan

Adopter la posture du directeur

Lâchés dans la nature, les élèves devenus directeurs peuvent avoir leur moment de flottement. « La 1ere année est souvent très dure quand on sort de l’école » se souvient Hugo. « On a encore beaucoup à apprendre donc de pouvoir se projeter sur du temps long permet au bout quelques mois/années d’être à l’aise sur son poste ». Même impression pour Dina : « quand on sort de l’école, la première année de prise de poste est un peu chaotique, la 2ème ça va mieux et à la 3ème on commence vraiment à monter des projets » explique-t-elle. Certes, Pierre avait lui plus de bouteille quand il est arrivé dans le Loir-et-Cher. « Mais, avertit-il, il faut savoir qu’on est très vite seul en zone rurale. Pour des cadres de 25 ans aujourd’hui qui sortent de l’école, c’est difficile d’aller bosser au fin fond de la pampa ».

Trouver son affectation

Mais avant d’arriver en poste, encore faut-il avoir trouvé son « affectation ». Lors de la seconde année, vers la fin août, une liste de postes est publiée et c’est l’heure des choix. « Ce qui est intéressant, estime Hugo, c’est que ce système d’affectation fonctionne « comme dans la vraie vie : on envoie une lettre de motivation, on passe des entretiens, on est recruté ». « Honnêtement, le système d’affectation n’est pas parfait mais je ne vois pas comment mieux faire. L’important au final c’est que personne ne sorte sans rien à l’issue du cursus », estime Dina, « même si, explique Hugo, ce système engendre une concurrence entre élèves. Ça peut créer des périodes de tension au sein d’un groupe d’élèves qui ne sont pas toujours faciles à vivre ». Certains savent depuis longtemps ce qu’ils veulent. Certains changent parfois complètement d’orientation à leur issue. « Finalement, je n’y avais pas pensé, mais le handicap de l’enfant, c’est là-dedans que je veux ­travailler » explique Aude.

Les élèves sont à la fois « chassés » et en en quête du bon poste. « C’est à la fois nous qui cherchons un poste et eux qui nous sélectionnent. Certains établissements vont être dans une approche de séduction pour vendre leur poste. Certains vont recevoir 15 candidatures et d’autres n’auront qu’une seule personne candidate », explique Aude Personnic.

Il faut ensuite en passer, pour un poste de chefferie, par le système du double avis du maire, généralement président du conseil d’administration de l’Ehpad puis de l’ARS. « Je trouve que ça a du sens qu’il y ait deux avis différents, deux perspectives différentes », estime Hugo. Dina aussi préfère ce double entretien plutôt qu’une affectation qui se ferait en fonction du classement d’entrée. Et elle a un bon argument pour cela : « ça m’arrange car j’étais la dernière admise de la promo… ».

Aimer son métier

Une fois sur le terrain, cette génération de D3S en a fini de faire un complexe… Hugo Vidal Rosset le dit clairement : « les D3S doivent assumer pleinement ce qu’ils sont et aimer leur métier sans se positionner en infériorité par rapport au milieu sanitaire ». Certes, beaucoup d’étudiants D3S ont aussi passé le concours de Directeur d’Hôpital et auraient préféré suivre cette filière. Mais souvent, au moment du stage, leur regard change et certains se découvrent une vraie vocation pour le médico-social. Seul problème toutefois : l’écart de rémunération très conséquent avec les Directeurs d’Hôpitaux, qui, selon Pierre Gouabault « ne se justifie pas aujourd’hui. Mais le CNG ne veut rien entendre… » s’agace-t-il.

Hugo Vidal Rosset considère toutefois que ce n’est pas le même métier. Le directeur d’Ehpad c’est plutôt un directeur « couteau suisse. La spécificité du D3S, ­explique-t-il, c’est que si tout d’un coup il n’y a plus d’agent de maintenance et qu’il faut réparer une fuite, beaucoup d’entre nous iront prendre les outils et essaieront de la réparer eux-mêmes ».

Longtemps vue comme la 5ème roue du carrosse, la gériatrie retrouve aujourd’hui ses lettres de noblesse en raison notamment du développement des GCSMS. « On a créé un GCSMS avec l’ensemble des Ehpad publics de l’Yonne » explique Hugo. « On mutualise les formations, les achats, on fait beaucoup de réunions entre nous. C’est hyper stimulant de partager ensemble une même vision des choses ». Même sentiment pour Pierre Gouabault : « Je crois beaucoup, non pas à l’adhésion des Ehpad aux GHT qui technocratiserait la gestion de nos établissements, mais aux GCSMS qui créent un fort sentiment d’attachement à son établissement et en même temps qui permettent des logiques de coopération quotidienne ». Du coup, dans le Loir-et-Cher, sur 15 Ehpad autonomes, il y avait à l’époque 15 directeurs. Aujourd’hui il n’y en a plus que 7.

Avec de plus amples responsabilités qu’avant, les jeunes générations sont aussi convaincues du bien-fondé de leur mission de service public. « On ne doit jamais oublier que les solidarités sont une mission de service public » estime Pierre Gouabault. Or aujourd’hui « qui est capable de définir ce qu’est une mission d’intérêt général de solidarité et de l’autonomie ? » s’interroge-t-il. Tiens, en voilà un beau sujet de mémoire pour la promotion 2021-2022 qui arrive !


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