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16 avril 2020

Des parlementaires en blouses blanches

Ils sont député-e-s. Confinés comme tous les autres citoyens, avec une Assemblée Nationale qui tourne au ralenti, ils sont condamnés à rester chez eux. Sauf certains qui, professionnels du soin, ont décidé de se retrousser les manches. Trois exemples ici.

Caroline Fiat, l’aide-soignante

Une aide-soignante devenue députée : l’affaire était suffisamment peu banale pour que l’élection de Caroline Fiat comme députée La France Insoumise de Meurthe-et-Moselle soit remarquée en juin 2017. Son expérience comme aide-soignante à l’hôpital puis dans un Ehpad du groupe ­Korian, Caroline Fiat l’a depuis mise à profit en co-produisant avec Monique Iborra au printemps 2018 un rapport parlementaire sur les Ehpad. Et elle, qui ne connaissait rien des codes habituels de la politique et a fortiori de la mécanique parlementaire, a acquis, en près de trois ans, grâce à son travail, une légitimité qui vient d’être de nouveau reconnue puisqu’elle co-présidera le groupe de travail « médico-social » récemment mis en place à l’Assemblée Nationale pour suivre l’exécution des récentes ordonnances.

Difficile dès lors pour cette femme engagée, de regarder passer le train de la crise sans monter dans un wagon. « Je n’en pouvais plus de voir les soignants submergés, à bout, alors que je tournais chez moi comme un lion en cage. J’ai choisi un travail de nuit pour pouvoir assurer mes obligations de parlementaire l’après-midi », a-t-elle déclaré dans l’Est Républicain. Pour s’entretenir avec elle, il a donc fallu l’appeler vers midi. Le matin, elle dort un peu puisque, depuis le début mars, elle travaille la nuit dans un service du CHU de Nancy entre 19h00 et 7h00 du matin avant de consacrer ses après-midis à sa fonction de parlementaire.

Pourquoi s’est-elle ainsi engagée ? « Je recevais beaucoup de témoignages de collègues qui étaient débordés par la crise. J’ai pu contacter les responsables de l’hôpital pour reprendre du service comme aide-soignante. Je me suis donc inscrite à la réserve sanitaire avant d’occuper ce poste de nuit. Mais je note un vrai paradoxe : beaucoup de soignants sont frustrés de ne pas pouvoir servir. Le site de la réserve sanitaire a enregistré 32.000 inscriptions en un week-end ce qui a d’ailleurs provoquer un bug du site de Santé Publique France. Pendant qu’Amazon est capable de traiter des millions de connexions, le site de la réserve sanitaire est tombé en panne parce que des milliers de volontaires ont voulu s’inscrire en quelques jours… Il y a plein de bonnes volontés qui sont vite découragées soit parce qu’elles ne peuvent pas répondre à des annonces qui les conduiraient trop loin de chez elles, soit parce que certaines missions ne durent qu’une semaine : à peine le temps de prendre ses marques et il faut déjà partir. »

Des Inrocks au Mensuel des Maisons de Retraite

Et de retirer de cette expérience, une conclusion : « En tout cas, et moi je n’en ai jamais douté, ces 32.000 inscriptions montrent que notre pays compte des ressources infinies en matière de solidarité » juge la députée de Pont-à-Mousson.

Depuis quelques jours, son expérience a intéressé la presse au point que l’Est Républicain, Libération, les Inrocks et… le Mensuel des Maisons de Retraite ont écrit sur elle, intrigués par cette députée qui officie la nuit auprès de patients hospitalisés. « Moi je ne voulais pas étaler sur la place publique que j’avais décidé de reprendre du service dans un hôpital, explique t-elle,  c’est le préfet de mon département qui a vendu la mèche. J’ai du coup été obligé de confirmer tout en expliquant à la presse que je m’exprimerai plus longuement sur le sujet une fois la crise terminée ».

Un engagement sincère qui ne lui a pas évité certaines réactions d’une débilité crasse à l’image de cette interpellation sur Twitter : « Elle ne sauve pas des vies, elle change les couches des mémés la nuit. Et elle ne le fait que par démagogie, justement pour faire parler d’elle. Mais elle a raison elle y est sûrement beaucoup plus utile ». Ce à quoi elle a répondu : « Autant de mépris pour ma profession je ne m’y habituerai jamais ! Sachez qu’en changeant une protection vous pouvez sauver une vie, en évitant une infection, une escarre, changer une protection c’est aussi surveiller en parallèle les paramètres de la personne ! Et tant d’autres choses ! ».

« Ils vont rencontrer une nouvelle Caroline »

Mais Caroline Fiat n’oublie pas qu’elle est originaire d’une famille communiste, cégétiste et qu’elle est désormais une « insoumise ». Quand on lui demande quelle attitude cette parlementaire d’opposition compte adopter une fois la crise sanitaire terminée, elle parle cash : « Il y aura un avant et un après a dit Macron. En tout cas, je peux vous dire qu’ils vont rencontrer une nouvelle Caroline ! » avertit-elle. Car l’insoumise en a gros sur la patate. Plutôt enjouée et dynamique tout au long de cet entretien, on sent là la gorge se nouer. « Vous savez, c’est dur de voir des gens mourir en se demandant si, comme députée, on a suffisamment alerter l’opinion. Quand vous sortez de l’hôpital, que vous entrez dans votre voiture et que vous vous mettez à pleurer, qu’est-ce que vous vous dites comme députée : est-ce que j’ai pris les bonnes décisions ? Peut-être n’ai pas été bonne. J’ai fait le job mais je n’ai pas réussi à faire prendre conscience des retards qui étaient les nôtres », confesse t-elle.

Car Caroline Fiat est l’auteure d’un rapport parlementaire sur les Ehpad sorti au printemps 2018, soit un an avant le Rapport Libault. Un rapport qui dénonçait les sous-effectifs en Ehpad et qui proposait que la loi fixe un ratio minimum de personnel pour tous les Ehpad.

« J’interdis de dire que nous avons pris de retard a affirmé récemment Edouard ­Philippe. Mais moi je le lui dis tout de même : vous n’avez rien fait pendant deux ans et vous ne m’interdirez pas de dire que, oui, vous avez pris du retard. L’union nationale, je suis pour, mais faut pas pousser », conclut-elle. Car un récent épisode lui reste en travers de la gorge. Le 18 février dernier, lors des questions au gouvernement, Caroline Fiat décide d’intervenir sur le meurtre d’une infirmière poignardée quelques jours avant par un patient dans un hôpital des Deux-Sèvres. Comme la minute de silence lui est refusée, elle décide de l’inclure dans son temps de parole… avant que Richard Ferrand interrompe cette minute de silence en indiquant que telle n’était pas la coutume dans l’hémicycle. « Et maintenant, il explique que c’est formidable d’applaudir les soignants à 20h00 ? Mais il devrait plutôt creuser un trou et s’y terrer ou mieux, s’excuser ». Bref, Caroline Fiat est ­survoltée… Voilà en tout cas une parlementaire qu’on ne pourra pas accuser quand elle reviendra à l’Assemblée Nationale gonflée à bloc de ne pas comprendre le terrain…

Entretien terminé ? Non pas tout à fait. « Bon je sais que ce n’est pas l’habitude mais je peux vous demander d’ajouter une phrase dans l’interview ? » se risque t-elle. « Oui, si vous voulez », lui répond-on. « Non parce que franchement je voulais dire un mot de félicitations à tous ces Ehpad qui ont fait dans l’originalité. Qui ont trouvé en pleine crise le temps de faire des vidéos, des photos envoyées aux familles ou postés sur les réseaux sociaux. Franchement, avec tout le boulot qu’ils ont, je ne sais pas comment ils font. » Ben voilà. C’est dit.


Agnès Firmin-Bodo,
la pharmacienne

Un jour et demi : c’est à peu près le temps que consacrait chaque semaine à sa pharmacie, Agnès Firmin Le Bodo, élue députée en 2017. Certes, le cumul de son activité de pharmacienne et d’un investissement politique n’est pas nouveau pour celle qui fut successivement 1ère vice-présidente du Conseil Départemental de Seine-Maritime ou maire-adjointe du Havre. Mais le job de députée est suffisamment prenant pour qu’elle ait dû réduire drastiquement depuis trois ans son temps de présence dans l’officine havraise de la rue du Bois au Coq. Sauf que, depuis le début du confinement, plus d’activité au Palais Bourbon, les réunions de commission n’ayant plus lieu qu’en visio-conférence. Retour donc à plein temps ou presque à la pharmacie où elle rencontre tout à la fois ses « patients » et ses « administrés ». Et où elle va jusqu’à livrer les médicaments au domicile des personnes âgées qu’elle connaît.


Philippe Chalumeau,
le médecin coordonnateur en Ehpad

Philippe Chalumeau était médecin avant son élection en 2017 comme député LREM de Tours. Médecin généraliste en secteur 1 dans un cabinet de 5 médecins libéraux, médecin dans un service de HAD, il était aussi depuis 2009 médecin coordonnateur de l’Ehpad Le Plessis, un établissement en banlieue de Tours géré par le groupe Korian. Après avoir réduit la voilure depuis son élection en juin 2017, il a repris du service depuis le début mars. Tout azimut !

D’abord en officiant une à deux après-midis par semaine dans un centre de consultation avancée spécialisée dans le Covid mis en place par la CPTS de Tours. Ensuite en assurant deux matinées par semaine comme régulateur au 15. « Avant la crise, j’assurais cette permanence un dimanche par mois. Depuis, je me suis porté volontaire pour assurer deux matinées par semaine sachant que nous recevons plus de 1400 appels par jour » raconte le député. Enfin, il continue d’officier dans son Ehpad où en l’absence d’allées et venues des médecins libéraux, il assure l’essentiel des ordonnances, gère la formation des personnels de l’Ehpad et gère la pharmacie d’urgence. Mais alors que son Ehpad n’a pas connu pour l’heure de cas de Covid, il n’en est pas allé autrement dans un établissement voisin où la directrice a été touchée, où il n’y avait pas de médecin coordonnateur et où 3 résidents avaient été déclarés Covid. Philippe Chalumeau est donc venu porter secours à cet Ehpad en entreprenant dès la semaine dernière un vaste dépistage de tous les résidents grâce au concours d’un laboratoire privé de Tours.

Et sa fonction de député dans tout ça ? « Mon équipe parlementaire travaille et moi j’ai été sollicitée par les entreprises du secteur ou bien par des tourangeaux qui, à l’étranger, voulaient être rapatriés d’urgence en France » explique t-il. « Et comme je m’occupe en ce moment d’un groupe parlementaire sur la grande précarité, on a des calls réguliers avec la secrétaire d’Etat Christelle Dubos ». Et comme il a trouvé du temps pour répondre aux questions du Mensuel un lundi de Pâques à 22h00, on imagine que les nuits doivent être courtes… 


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