Des fédérations « entre deux eaux »
« Entre deux eaux », cette expression de la déléguée générale du Synerpa, Florence Arnaiz-Maumé, lorsque nous l’avons interrogée, résume bien l’état d’esprit des fédérations à l'heure de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2022. « Entre deux eaux » parce que les fédérations sont sur une ligne de crête, ballotées entre la reconnaissance de certaines avancées et la déception face au caractère cruellement banal du dernier exercice budgétaire du quinquennat.
C’est par un tweet posté le 7 septembre par la Ministre chargée de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon, que tout commença. Il s’agissait d’une vidéo du Premier Ministre Jean Castex annonçant à des parlementaires échaudés par l’abandon de la loi grand âge « des mesures sociales nouvelles » dans le champ de l’autonomie. Elle fit rapidement le tour des acteurs du secteur qui se demandaient alors de quelle nature seraient ces « progrès tangibles ». Le 23 septembre, le Premier Ministre, en déplacement en Saône-et-Loire, a annoncé enfin la couleur. Au-delà de l’instauration d’un tarif socle minimal dans le secteur de l’aide à domicile, mesure attendue depuis longtemps, le gouvernement a annoncé, pour les Ehpad, la possibilité de devenir des centres de ressources territoriaux, la généralisation en 2023 des astreintes d’infirmières de nuit, l’augmentation du temps de présence minimale de médecin coordonnateur ou encore le recrutement de 10 000 salariés dans les Ehpad d’ici 2025.
Des avancées importantes mais un contenu qui n’est pas à la hauteur des enjeux
Deux mesures recueillent un assentiment assez général : l’article 32 qui crée un tarif horaire socle à 22€/heure pour les services d’aide à domicile ; et l’article 33 qui propose que des Ehpad deviennent des « centres de ressources territoriaux ».
Pour Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Synerpa, « la création des articles 32 et 33 est un point de satisfaction majeur. Ce sont deux articles structurant pour l’offre de demain » estime t-elle. Antoine Perrin, directeur général de la FEHAP, abonde : « On ne va pas désespérer de l’absence de la loi grand âge, l’important étant le contenu. Et il y en a ! Sur le domicile comme pour les Ehpad, c’est une bonne chose et on s’en réjouit ».
Annabelle Vêques, directrice générale de la Fnadepa, a, elle, senti de la colère chez ses adhérents : « la communication qui a été faite en amont par le gouvernement, en disant qu’il y aurait des mesures fortes pour l’autonomie, a produit un effet d’attente, notamment pour le champ des Ehpad. S’en est suivie une incompréhension voire de la colère chez nos adhérents, dont certains nous ont dit se sentir trahis ». Car le « bug » est là. En réalité, beaucoup s’attendait à un PLFSS de consolation voire de compensation. Le gouvernement avait manqué à sa parole en abandonnant la loi Grand Âge ? Au moins allait-il sortir un PLFSS de combat… Que nenni.
Car la généralisation des astreintes d’infirmières de nuit d’ici 2023 ou l’augmentation du temps de médecin coordonnateur ont été perçus comme une manœuvre. Pour Annabelle Vêques, « si la généralisation des IDE de nuit est une bonne mesure, on la retrouve déjà dans le PLFSS 2019 ! ». De l’art du recyclage. « Puis, sur les temps de médecin coordonnateur, nous avons déjà ces niveaux dans nos Ehpad, à l’exception de ceux de moins de 44 places. Tout ceci est bien travaillé en termes de communication mais doit être précisé ». Le volet RH du texte est en effet celui qui concentre toutes les critiques. Antoine Perrin pense que le compte n’y est pas : « 10 000 postes pour les Ehpad, ce n’est pas suffisant. Il faut au contraire un plan d’ensemble ». Pour Clémence Lacour, directrice des affaires publiques de la Fnaqpa, cette annonce constitue une « grosse déception » qui est « détachée des réalités du terrain, où la pénurie de personnel et le défaut d’attractivité est un réel problème ». Et Annabelle Vêques de rebondir : « tout le monde connaît les besoins du secteur, le rapport El Khomri les évalue à 350 000 sur 4 ans, dont 92 000 créations de postes, alors que le gouvernement n’en propose que 10 000 sur la même échéance ».
De nombreuses mesures étaient attendues : sur la gouvernance territoriale (mais aucune négociation sérieuse n’a jamais eu lieu avec l’ADF depuis 4 ans), sur la nécessaire rénovation des résidences autonomie (décidément toujours oubliées par le Ministère) ou encore sur la réouverture massive du tarif global pour mieux financer la médicalisation des Ehpad (là, clairement, le Ministère n’en veut pas. Trop coûteux).
Même sur l’approche domiciliaire, Clémence Lacour voit un hic. « Nous sommes inquiets, explique t-elle, de la philosophie de la réforme qui se dessine dans le PLFSS 2022 en matière d’approche domiciliaire. La personne âgée doit se sentir chez elle et être libre de ses choix en tous lieux. Or le PLFSS semble dresser le constat que l’Ehpad est trop institutionnel et trop peu attractif pour les personnes accueillies comme pour les personnels qui y travaillent alors qu’il doit justement participer de cette logique domiciliaire ».
La nécessité de trouver des financements pérennes pour la branche
Mais au final c’est bien l’évolution budgétaire qui fait l’objet des plus grandes inquiétudes. Pour Florence Arnaiz-Maumé, « la trajectoire financière pour 2022, et pour chaque année jusqu’en 2024, n’est pas claire. On attend beaucoup plus d’éclaircissements sur les données financières ». Marc Bourquin, conseiller à la FHF, met de son côté les pieds dans le plat : « Ce qui manque, c’est une loi de programmation afin d’objectiver les moyens qu’on se donne pour transformer l’offre et créer une offre nouvelle . Les faits sont têtus, poursuit-il, car chaque année d’ici 2035, 30 000 nouvelles personnes vont arriver à plus de 75 ans. Il faudra donc poser la question des ressources de la branche, de la même manière qu’on a une loi de programmation militaire ou de la justice ». De son côté, Véronique Besse, vice-Présidente de l’UNCASS et ancienne députée de la commission des Affaires sociales estime qu’on « doit se mettre autour de la table afin de trouver des financements pérennes. Nous ne sommes jamais allés jusqu’au bout de la réflexion sur ce sujet ».
Bref, les fédés sont au moins toutes d’accord sur un point : elles comptent sur les débats de l’élection présidentielle de 2022 pour mettre ces questions au cœur du débat public. Mais même là, c’est pas gagné puisqu’il n’aura échappé à personne que le gouvernement a abandonné la loi Grand Âge sine die sans même user du prétexte qu’elle devait constituer une des grandes réformes du prochain quinquennat.
par Robin Troutot
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