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© Patrick Dagonnot

9 février 2022

Défi psychiatrique en Ehpad : Entretien avec Isabelle Bilger

paru dans Le Journal des Soins en EHPAD

L’ARS Ile-de-France a débuté fin janvier une réflexion pour favoriser une meilleure prise en charge des résidents en Ehpad atteints de troubles psychiatriques. Directrice de l’autonomie au sein de l’agence, Isabelle Bilger nous en dit plus sur cette démarche.

Le Journal du médecin coordonnateur : Comment expliquer que, malgré l’ancienneté du phénomène, la prise en charge des résidents atteints de troubles psychiatriques reste dans l’angle mort des politiques publiques ?

“La prise en charge des troubles psychiatriques en Ehpad nécessite une réflexion globale…”

Isabelle Bilger : Pour mieux comprendre cette difficulté, il faut se référer à l’histoire du médico-social. Les différentes politiques de santé en gériatrie, en particulier dans le secteur médico-social, ont été centrées sur la prise en charge en Ehpad des personnes souffrant de maladie de type Alzheimer du fait de sa grande prévalence. Il faut rappeler en effet que cette pathologie touche environ 70 % des résidents. Plusieurs plans Alzheimer ont ainsi été adoptés en ce sens depuis 2000, de même que la Feuille de route Maladies neurodégénératives de 2021. Mais rien de cette ampleur n’a été fait concernant les maladies psychiatriques. Pourtant, depuis une bonne dizaine d’années, de plus en plus de résidents atteints de troubles psychiatriques chroniques sont accueillis en Ehpad, ou auraient besoin de l’être. Même si leur proportion en établissement est encore inconnue, il convient de réfléchir à des réponses spécifiques. Nous ne partons pas de rien puisque de nombreuses réponses ont déjà été élaborées à l’échelle des territoires, je pense en particulier aux équipes mobiles psychiatriques qui existent depuis 2007 ou encore aux conventions passées entre certains Ehpad et les hôpitaux psychiatriques, mais ces initiatives restent isolées. Elles doivent faire l’objet d’une réflexion plus globale pour permettre à tous les Ehpad d’accompagner ces résidents dans les meilleures conditions.

Le JMC : Justement, quelles sont les principales problématiques rencontrées par les professionnels en Ehpad pour accompagner ces résidents ?

IB : Ces résidents sont plus jeunes et ont généralement un parcours chaotique à cause de leur maladie. Ils ne sont pas dépendants, mais sont en même temps peu autonomes et ont besoin d’un cadre et de repères. Leur comportement atypique, parfois violent, est très perturbateur pour les équipes. Ces personnes sont impactées précocement par le vieillissement du fait de leurs poly pathologies et des difficultés pour suivre une bonne hygiène de vie. La population des patients psychiatriques âgés est souvent confondue avec celle des personnes souffrant d’une maladie neurodégénérative. Ces personnes sont alors orientées à tort dans les unités Alzheimer, un phénomène favorisant les événements indésirables. Et cette méconnaissance est entretenue par des confusions nosologiques. Il s’agit de psychiatrie du sujet âgé et non de géronto-psychiatrie ou de psychogériatrie.

Le JMC : La formation des personnels est très insuffisante sur le sujet. Quels sont les progrès à réaliser ?

IB : Jusqu’à présent, les formations dispensées aux professionnels des Ehpad ciblaient plus particulièrement la thématique Alzheimer. Les plans et programmes de formations doivent comporter un volet psychiatrique et être élaborés à partir de recommandations pour le projet de soin et le projet de vie de ces personnes. Ces formations doivent se concentrer sur la psychiatrie du sujet âgé et non la prise en charge générale des symptômes psycho-comportementaux. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue que l’expertise du psychiatre sera toujours nécessaire et ne pourra jamais être remplacée en Ehpad. Le binôme gériatre et psychiatre est indispensable pour le projet de soin. Ils doivent travailler de concert et se construire une acculturation mutuelle et un partenariat actif et installé.

Le JMC : l’accompagnement de ce type de résidents est extrêmement chronophage pour les personnels, sans pour autant que ce temps passé soit pris en compte par les outils de financements. Comment changer la donne ?

IB : De nombreux professionnels mettent en avant la complexité des prises en charge du fait du temps de « négociation » indispensable avant tout acte ou traitement. Les outils de calibrage financiers actuels ne permettent pas de valoriser les besoins psychiatriques des résidents. Plusieurs pistes peuvent être évoquées, et notamment repenser le modèle Pathos, en particulier le new Pathos, qui pourrait utilement intégrer les besoins de soins psychiatriques. Les ARS disposent également de crédits dits « financements complémentaires » permettant de compléter l’équation tarifaire pour des projets spécifiques, mais les actions à financer sur ces enveloppes sont nombreuses. Des crédits nationaux sur le volet sanitaire ont par ailleurs commencé à être identifiés (pour les équipes mobiles notamment). Un volet autonomie permettrait de conforter la prise en charge en Ehpad pour développer une réponse graduée et adaptée aux établissements.

Le JMC : La question de la coopération avec le secteur psychiatrique est absolument essentielle, mais l’offre de soins psychiatriques reste très inégale selon les territoires. Quelles sont les pistes d’amélioration ?

IB : Je souhaite souligner tout d’abord que nous ne partons pas de rien et de nombreuses initiatives existent dans les territoires pour favoriser cette coopération. D’autre part, il est important d’adapter la réponse en fonction de l’offre de soins en présence. Plusieurs pistes doivent être envisagées dans ce cadre. Tout d’abord, s’appuyer sur les nouvelles directives et notamment la mesure 7 issue des Assises de santé mentale et de la psychiatrie 2021, qui vise à augmenter le nombre d’équipes mobiles psychiatriques intervenant auprès des personnes âgées en Ehpad. Il semble aussi essentiel de travailler sur l’appropriation d’une culture commune entre les secteurs médico-social et psychiatrie, afin de co-construire et mettre en œuvre un projet de soin et un projet de vie commun spécifique à ces populations. Dans cette optique, il est intéressant de formaliser et systématiser les coopérations et partenariats. Il est aussi important de mettre en place une coordination du projet de soin psychiatrique de l’établissement par le médecin coordonnateur, l’IDEC et le personnel paramédical côté Ehpad d’une part, et par l’équipe du secteur « coordonnatrice » référente de l’établissement, d’autre part.

Le JMC : Faut-il à terme, faire évoluer les Ehpad pour prendre en compte les besoins en soins de ces résidents atteints de troubles psychiatriques ?

IB : Oui c’est une nécessité et cela peut passer par trois axes. L’appui d’experts de la psychiatrie auprès des équipes des Ehpad dans leur accompagnement des résidents. Les équipes mobiles sont à ce titre très pertinentes. Elles permettent de favoriser l’acculturation, la formation, et l’appropriation des projets de soin et projet de vie en établissement pour ce type de résidents. L’organisation en Ehpad peut, elle aussi, évoluer pour s’adapter aux besoins. Nous nous interrogeons sur la pertinence de créations d’unités spécifiques dédiées à ce public, qui seraient bien entendu ouvertes sur l’ensemble de l’établissement, mais permettraient de proposer un lieu protecteur. Il nous apparait également intéressant de développer des activités thérapeutiques adaptées, nous inspirant de l’organisation des PASA pour les personnes Alzheimer, mais adaptées aux besoins des personnes ayant des troubles psychiatriques, comprenant notamment une dimension de sorties vers l’extérieur, très bénéfiques. Ces projets s’appuieront nécessairement sur un cahier des charges comprenant la définition des critères d’éligibilité des admissions et la procédure pour valider l’admission de chacun des résidents, en articulation avec le secteur psychiatrique.

Le JMC : Quelles seront les suites de toutes ces propositions ?

IB : Nous avons sollicité plusieurs experts en Ile-de-France dans les domaines psychiatriques et gériatrique, ainsi que des gestionnaires d’Ehpad pour constituer des groupes de travail sur le sujet et expertiser ces premières hypothèses. Cette conduite de projet est commune au sein de l’ARS entre les responsables des sujets autonomie et psychiatrie, pour garantir et incarner cette réflexion intégrée. Les groupes se réuniront au cours du premier semestre 2022 et donneront lieu à des recommandations pour modéliser une meilleure prise en charge des résidents atteints de troubles psychiatriques. Le but est que nous commencions à mettre en œuvre ces recommandations à la rentrée 2022. J’espère également que notre démarche fera des émules et pourra inspirer d’autres territoires. Je sais d’ailleurs que plusieurs autres régions sont avancées dans ce domaine.


Pour débattre de ces enjeux,
Isabelle BILGER
sera présente aux assises des soins en Ehpad, aux côtés de :

  • Dr Thierry GALLARDA, chef du service de psychiatrie
    de l’adulte âgé de l’Hôpital Saint Anne ;
  • Dr Fariba KABIRIAN, directrice médicale de Korian France
  • Eliane ALLIROL, directrice de l’Ehpad Marie Pia (43), spécialisé sur la prise en charge psychiatrique

Le sujet vous intéresse ?
Nous en parlerons aux Assises des Soins en Ehpad :

 

Alors, n’attendez plus :
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