Culture professionnelle en Ehpad : après la crise, le temps du changement
La crise sanitaire du Covid-19 a conduit tout le monde, au premier sens du terme, à modifier brutalement son organisation. Les établissements sanitaires et médico-sociaux ont été en première ligne et ont dû rapidement et de façon drastique s’adapter face au risque. Comment tirer bénéfice de cette expérience pour créer une culture professionnelle au sein des Ehpad ?
Le retour « à la normale » conduit petit à petit les soignants à retirer leurs habits de héros. C’est évidemment fatigués et soulagés qu’ils sortent du pic de cette crise, mais ils doivent accepter de perdre un bénéfice caché. Tous les soirs à 20 H pendants 8 semaines les soignants ont été applaudis. Leur travail, leur dévouement ont été l’objet de nombreuses marques de reconnaissance dans la rue, dans la presse et sur les réseaux sociaux. Alors quand tout s’arrête, quand tout redevient normal, c’est un nouveau risque qui apparaît, un risque psychologique d’effondrement.
Ce risque ne peut en aucun cas être négligé et doit être accompagné par les équipes de direction mais ce « lendemain de crise » doit également être perçu comme une opportunité. Les managers des structures et notamment les directeurs ont ici l’occasion de conduire un changement qui jusque-là semblait impossible. Pourquoi et comment ?
La culture professionnelle en EHPAD
Selon le sociologue Claude Dubar, les groupes de professionnels sont des lieux où les professionnels développent leur propre représentation du monde. La culture professionnelle est alors liée à une expérience sociale construite sur des savoirs appris et organisée comme un système de signes socialement partagé qui permet de se comporter et d’agir de manière adaptée dans le groupe social.
« En quoi la crise du covid-19 est-elle une opportunité ? Parce qu’elle permet un « recadrage. »” |
En ce sens, la culture professionnelle des EHPAD est en évolution constante depuis 20 ans. Plus qu’une évolution, c’est même une culture professionnelle nouvelle qui se construit pour une activité nouvelle : l’EHPAD. La transformation des maisons de retraite en EHPAD a entrainé en effet, ces 20 dernières années, une augmentation du nombre de professionnels de santé devenus majoritaires dans les effectifs, et issus de formations essentiellement réalisées dans le secteur sanitaire (IDE, AS, ergothérapeute, psychothérapeute, etc.). Quant aux professionnels non soignants (agents hôteliers, cuisiniers, animateurs, agents administratifs, agents techniques, etc.) ils sont issus de secteurs d’activités et de formations très variés.
L’EHPAD est donc un nouveau lieu de travail où les différentes catégories de professionnels exercent leur métier à partir d’un savoir appris dans un autre type d’établissement, avec une autre culture professionnelle. Dès lors, on comprend que les équipes en EHPAD rencontrent des difficultés à fonctionner comme des lieux dans lesquels ils développent leur propre représentation du monde. Ce qui est commun pour le plus grand nombre c’est le soin, au sens technique. C’est la culture sanitaire et surtout sa technicité qui est le socle commun aux soignants. En revanche, ce même soin technique n’est pas le centre du projet de vie en gérontologie.
L’enjeu du directeur d’EHPAD est donc de proposer et de diffuser par son management un autre cadre de référence, un autre paradigme aux équipes interprofessionnelles fondé sur une culture professionnelle gérontologique. C’est là que l’expérience de la crise du Covid-19 peut être une opportunité.
L’expérience du changement…
La gestion du risque infectieux a conduit l’ensemble des EHPAD à mettre en place des mesures strictes d’isolement des résidents entre eux et avec l’extérieur de l’établissement. Les règles d’isolement mais également d’hygiène mises en place et issues du monde sanitaire ont été vécues de manière violente par les résidents, mais aussi par les professionnels.
La réduction du lien social avec l’extérieur et à l’intérieur de l’établissement, a permis d’en mesurer l’importance. Le lien social c’est ce rapport à l’autre, entre soignants, entre résidents, entre soignants et résidents, et pour les soignants et les résidents, avec les acteurs du tissu social local. Ce qui était connu et su est devenu une conviction : le lien social est indispensable aux résidents.
En quoi la crise du Covid-19 est-elle une opportunité ? Parce qu’elle permet un recadrage. « Re-cadrer » signifie « modifier le contenu conceptuel et/ou émotionnel d’une situation, ou le point de vue selon lequel elle est vécue, en la plaçant dans un autre cadre, qui correspond aussi bien, ou même mieux aux faits de cette situation concrète dont le sens, par conséquent, change complètement » .
Le confinement a ainsi permis l’expérience commune « du changement de cadre » dans les établissements. La relation, le lien social à l’intérieur et avec l’extérieur de l’établissement ont été perçus et vécus de manière totalement différente. Ce recadrage apporte une vision nouvelle aux équipes qui peut servir le développement d’une culture professionnelle gérontologique commune. C’est ici que réside l’opportunité.
… rend possible la conduite du changement
Ce qui peut changer dans les EHPAD ne peut être développé ici avec précision. L’axe de changement précis est propre à chaque structure, à sa situation avant la pandémie et à l’expérience vécue durant la crise.
Pour mieux vous éclairer, toutefois, nous pouvons citer quelques illustrations de ce que l’organisation pendant la crise a pu permettre. Premier exemple : l’accompagnement individuel des résidents avec des soignants affectés à des étages ou dans des services. Certes les temps de solitude dans la chambre ont été plus nombreux pour les résidents, mais les temps d’accompagnements par les professionnels ont été très individualisés. Ceci d’une part parce que jamais noyés dans un groupe de résidents et d’autre part du fait de la stabilité des équipes affectées à chaque service.
Un autre exemple relatif à la proposition d’accompagnement des résidents : on a vu dans la majorité des EHPAD le développement de l’utilisation du numérique, de la visio pour maintenir le lien avec l’extérieur, modifiant ainsi les modalités de relation avec les familles et le rôle de l’équipe dans le maintien de ce lien.
Enfin, troisième exemple plus général : la cohésion de l’équipe et le lien plus fort entre les équipes et l’encadrement ont fait bouger les représentations. Face à la difficulté et au stress, les relations ont évolué, la dynamique de groupe, la confiance ont pu être renforcées. Tous ces changements seront le terreau d’une nouvelle culture professionnelle commune à tous les membres de l’équipe.
Un changement, mais comment ?
Pour identifier ces axes de changement, les travailler et les pérenniser, le rôle de l’encadrement est fondamental. Recueillir la parole des professionnels de façon individuelle et collective, mais aussi celle des résidents et des familles est essentiel. Un bilan de la manière dont la crise a été vécue dans l’établissement par les résidents, le personnel, les familles et l’encadrement doit être dressé. Ce bilan doit prendre la forme d’un écrit permettant de synthétiser à la fois ce qui est apparu durant le confinement comme un « manque » par rapport au fonctionnement antérieur mais aussi ce qui est apparu comme un « possible » naturel ou réalisable durant cette période et qui semblait auparavant irréalisable ou inimaginable.
De nombreuses initiatives ont été prises et sont visibles sur les réseaux sociaux. Il appartient à chaque équipe de capter dans cette galaxie de possibles, ce qui est important et faisable dans la structure. Il appartient aux instances, notamment au CVS, de donner leur avis. Il appartient au directeur de décider et à l’encadrement d’accompagner ces changements avec détermination et bienveillance.
par Laurent Viale
Consultant, fondateur de LV Conseils
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