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15 juin 2021

Covid : au sortir de l’essoreuse…

Très actif sur les réseaux sociaux durant la crise sanitaire, Yann Reboulleau, président du groupe Philogeris, nous livre son point de vue sur la sortie de ce qu'il qualifie lui-même d'essoreuse.

Le sentiment dominant prend encore la forme de l’incrédulité. Il faut dire que les établissements pour personnes âgées et les équipes qui y œuvrent au quotidien sortent d’une année qui a pris toutes les apparences d’une essoreuse. Mais pourtant, malgré l’effet de focale résultant de la médiatisation, encore, de quelques situations de contamination, il n’y a pas eu de « troisième vague » de l’épidémie de Covid-19 dans nos établissements.

Les chiffres de Santé Publique France, pour autant que l’on s’y attarde avec objectivité, parlent d’eux-mêmes. Là où, au mois de novembre on enregistrait ces horribles clusters au rythme de plusieurs dizaines, où chaque semaine le nombre de cas – salariés et résidents inclus – se comptabilisait en dizaines de milliers, les contaminations dévoilent aujourd’hui un taux d’incidence inférieur de moitié à celui du « reste de la population ». Là où la mortalité de nos résidents pesait jusqu’à plus de 40 % dans le décompte macabre des conséquences de l’épidémie, les décès dans nos établissements sont revenus dans la – certes triste – normalité des scènes de la vie ordinaire.

On a beaucoup raillé, il y a quelques semaines encore, sur la lourdeur de la logistique qu’il nous a fallu mettre en œuvre pour réaliser la vaccination de nos résidents, désormais au-delà de cette fameuse immunité collective qui nous était ­vantée comme le graal libérateur dès les premières semaines de l’épidémie. On ne nous en croyait pas capables, nous l’avons fait, avec le soutien d’un appareil étatique dont il faut reconnaître que, sur ce point au moins, il ne nous a pas fait défaut.

Indépendamment des interrogations « paradigmiques » que cette crise a aiguisées, la nécessité d’une œuvre législative Grand Age, le déploiement de la Cinquième branche, l’invention de « l’EHPAD de demain », nous devons dans les prochains mois relever deux défis majeurs.

Premier défi : rétablir une image craquelée par la crise

Régulièrement écornée depuis l’origine des temps par la recherche, par une certaine presse, du sensationnel et du sentiment de culpabilisation d’un corps social qui remiserait ses « vieux » à l’abri suspect de nos murs, notre image, il faut avoir le courage de l’admettre, est sérieusement craquelée désormais par la double blessure d’un bilan humain tragique et d’une rigueur hygiéniste peu soucieuse du lien affectif.

Parce qu’il fallait protéger « quoi qu’il en coûte », entre protocoles nationaux et injonctions territorialisées, nous avons chahuté l’identité de nos résidents, nous avons laissé s’établir à leur encontre un état d’exception dans lequel leur citoyenneté a été reléguée au second plan. Pour revenir à la normale, certains voudraient une loi d’exception (un droit de visite opposable) alors que le législateur a déjà suffisamment inscrit dans le code de l’action sociale et des familles et le principe et les modalités d’exercice de droits qui sont finalement les mêmes que n’importe quel citoyen : liberté d’aller et venir, droit à l’intimité de la vie privée, pouvoir d’expression.

Investies au-delà du raisonnable d’un devoir de protection, dont il faut bien admettre qu’il n’a pas réussi à préserver nos résidents, beaucoup de nos équipes restent encore psychologiquement résistantes au ré-enchantement de la vie quotidienne dans nos établissements. Nous devons leur réapprendre à vivre, dans sa beauté ordinaire, notre métier d’accompagnement de la fin de vie. En qualité de directeurs, nous devons être les premiers à faire fi de nos peurs, et considérer que, sous sa forme endémique, ce virus continuera de nous accompagner longtemps encore, qu’il fera partie des paramètres d’exercice de notre métier, mais que sa létalité est désormais revenue à un niveau inférieur à toutes les autres raisons qui font que, malheureusement, lorsque l’on est vieux, le pronostic vital est engagé par définition à plus brève échéance que lorsque l’on est jeune et en bonne santé.

Il est indispensable que, collectivement, nous fassions ce grand saut, qui n’est pas un saut dans l’inconnu puisque précisément il consiste en un retour à nos valeurs et à notre expertise professionnelle acquis.

Second défi : rétablir l’activité de nos établissements

Le second défi opérationnel auquel nous sommes confrontés, en notre qualité de gestionnaires, est celui d’une situation inédite de faible niveau d’activité de nos établissements. Il faut être capable de renoncer à cette pudeur inutile, qui confinerait à l’aveuglement, consistant à nier l’évidence de l’impact purement quantitatif de l’épidémie, alors que cet impact est généralisé.

Le système d’information de l’assurance maladie observait en octobre 2020 que l’activité des EHPAD et des USLD était en recul de plus de 7 % par rapport à la moyenne des deux précédentes années. Nous n’étions encore à l’époque qu’au début de la « deuxième vague », et cela représentait déjà une contraction de l’ordre de 40.000 résidents. La mortalité liée à l’épidémie de Covid-19 jouait évidemment un rôle significatif dans cette baisse du nombre de résidents, mais avec un dénombrement qui était à l’époque de 16.000 décès, elle ne peut en être considérée comme la cause exclusive.

La deuxième période de forte intensité de l’épidémie (de novembre 2020 à janvier 2021), même si son effet n’a pas encore donné lieu à la communication de données définitives, a nécessairement accentué cette contraction. Il faut rappeler qu’avec un total de plus de 20.000 décès pendant cette période en EHPAD, cette deuxième vague a été plus meurtrière que la première. Il ne serait pas surprenant, lorsque les données seront communiquées par l’assurance maladie, que l’on observe un niveau d’occupation moyen dans les établissements inférieur à 85 %. C’est en tous cas la réalité à laquelle nous étions confrontés, dans plusieurs réseaux d’établissements, à la fin du premier trimestre 2021.

En situation « ordinaire », entre 170.000 et 180.000 personnes décèdent chaque année dans les EHPAD, ce qui représente une rotation de près de 30 %. Ces décès ont continué à intervenir depuis un an alors que le flux d’admission de nouveaux résidents a été considérablement perturbé pendant cette période. Les admissions ont été suspendues pour tous les établissements au printemps 2020, elles continuaient de rester impossibles chaque fois qu’un établissement était touché par un cluster épidémique. A l’effet de la mortalité est donc venu s’ajouter une situation de « non remplacement » des résidents décédés pour d’autres raisons que l’épidémie.

L’image négative évoquée plus haut a très probablement provoqué par ailleurs un phénomène d’abstention, les résidents potentiels et leurs proches privilégiant la prolongation du maintien à domicile, même si c’était souvent dans des conditions difficiles. Enfin, et nous en revenons à des aspects quantitatifs, la surmortalité observée chez les personnes âgées non encore accueillies en EHPAD produit une contraction de la file active des établissements.

Quel que soit le statut du gestionnaire, le modèle économique des EHPAD est construit sur un niveau de taux d’occupation élevé, dépassant les 95 %. Lorsque l’activité se contracte en dessous de 90 % comme c’est le cas aujourd’hui, elle génère une situation déficitaire qui, si elle devient chronique, met en péril les équilibres budgétaires. Or une part significative de l’offre est aujourd’hui opérée par des gestionnaires publics (plus de 50 %) ou associatifs (25 %). Ces catégories d’opérateurs ne disposent souvent pas de fonds propres ou d’une capacité d’autofinancement leur permettant de faire face à une période prolongée de flux de trésorerie négatifs. C’est évidemment le cas aussi pour les opérateurs sous statut commercial lorsque la baisse d’activité induit des marges négatives.

Nier cette réalité qui va probablement durer de longs mois, indépendamment de la circulation endémique du virus, ne pas vouloir l’affronter collectivement constituerait une erreur majeure.


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