Coronavirus : les Medco au cœur dela crise
Depuis le début de la crise sanitaire inédite qui frappe notre pays, les médecins coordonnateurs occupent une place centrale dans les établissements. Souvent touchés, jamais coulés, ces derniers nous racontent les nombreux défis qu’ils relèvent tous les jours à la vitesse de l’éclair, les évolutions de leurs missions, mais également leurs colères et leurs inquiétudes pour l’avenir…
Tsunami, catastrophe, grand saut dans l’inconnu… les qualificatifs ont été nombreux chez les médecins coordonnateurs pour qualifier l’épidémie qui déferle sur notre pays depuis presque deux mois. Certes, et c’est heureux, la vague est inégale, frappant de plein fouet, depuis plusieurs semaines, la région du Grand Est, de l’Ile-de-France et dans une moindre mesure, l’Auvergne Rhône-Alpes. Elle semble, pour l’instant, avoir épargné, si l’on peut dire, le reste du pays. Pourtant, en dépit des situations d’urgence plus ou moins aigues, les constats et les inquiétudes des médecins coordonnateurs ont été relativement similaires avec des phases très identifiables en fonction de l’avancée de la crise…
Tout a commencé avec les masques. Chaque médecin coordonnateur avec lequel nous avons pu échanger a spontanément évoqué cette pénurie générale de matériel de protection durant les premières semaines de la crise et les nombreux stratagèmes qu’ils ont employés pour se fournir… Une problématique qui n’est pas encore totalement résolue et qui suscitent beaucoup de colère dans la profession. Pour Emmanuel Deschamps, directrice médicale du Groupe SOS Seniors, l’approvisionnement en matériel de protection a été scandaleusement insuffisant, notamment dans l’Est, une partie du territoire particulièrement touchée par la vague épidémique et dans laquelle le groupe gère un cinquantaine d’établissements. « Trouvez-vous normal que les services chargés de récupérer les corps des résidents décédés bénéficient de tous les équipements nécessaires, tandis qu’au sein des Ehpad, les personnels chargés à l’époque de réaliser les toilettes mortuaires aient à peine deux masques chirurgicaux par jour et encore depuis peu de temps ? »
Un autre gros défi qu’ont dû relever les médecins coordonnateurs, dans les délais extrêmement brefs, est la mise en place d’une nouvelle organisation et dans certains cas, des pénuries très importantes de personnel, malgré le soutien, pas tout à fait optimal, de la Réserve sanitaire. Une situation qui a pris des tournants très problématiques dans certains établissements : « Les mises en place des mesures barrière et de la nouvelle organisation n’ont pas pu se faire dans de bonnes conditions, en particulier dans les établissements qui n’avaient pas de médecin coordonnateur », raconte Denis Craus, médecin coordonnateur au sein de l’Ehpad Sainte Sophie en Meurthe-et-Moselle.
Capitaine abandonné
De l’avis de tous, la nature de la maladie dont les formes cliniques du virus, totalement inconnues au début de la crise, a contribué à semer le trouble chez les médecins coordonnateurs avec parfois un certain sentiment d’impuissance : « Dès la fin du mois de mars, plusieurs cas se sont déclarés dans notre établissement et nous devons aujourd’hui déplorer plusieurs décès liés au COVID. C’est très déstabilisant car nous avions pris très tôt des mesures de protection. Sans doute que nous ne connaissons pas encore les conditions réelles de propagation du virus qui ont été plus précoces et plus insidieuses. En la matière, j’ai le sentiment d’avancer en marchant », reconnait Christian Méresse, médecin coordonnateur au sein de l’Ehpad de la Fondation Sainte-Marie à Douai dans le Nord. De la même manière, les recommandations publiques très nombreuses, parfois contradictoires ou inapplicables, ont renforcé cette confusion et un sentiment d’être seul capitaine à bord, comme le souligne Renaud Marin La Meslée, président du SNGIE et médecin coordonnateur sur la Côte basque : « Comment mettre en place un confinement dans les chambres quand la -moitié du personnel est absent ou encore, quand les résidents sont accueillis dans des chambres doubles ? Pendant longtemps, personne ne nous a apporté de réponses. »
Une autocensure dangereuse
Cette impression d’être seul au monde a été particulièrement ressenti par tous les médecins coordonnateurs qui ont fait face à une avalanche de décès, en particulier quand il s’est agi de solliciter des hôpitaux déjà complètement saturés. Nombre d’entre-eux ont ainsi vu leur demande d’hospitalisation refusée, sous prétexte que les résidents malades ne rentraient pas dans les critères de la réanimation. Un phénomène qui a conduit à ce que de nombreux médecins coordonnateurs s’autocensurent et renoncent à solliciter l’hôpital, malgré la gravité de l’état de certains résidents. « Ce qui est choquant, ce sont tous les décès qui auraient pu être évités avec une meilleure anticipation et gestion de cette crise… », regrette Gaël Durel co-président de MCOOR. Un constat amer, d’autant que plusieurs Ehpad visés ne sont pas encore armés, en raison du manque de matériel (Midazolam, anxiolytiques, oxygène), pour permettre aux résidents qu’ils accompagnent, une fin de vie digne.
Pourtant, en dépit de toutes ces difficultés, le constat est unanime. Cette crise a révélé l’importance capitale de la fonction de médecin coordonnateur en Ehpad même si au quotidien, cette montée en charge est parfois lourde à porter, comme le rapporte Christian Méresse : « Depuis le début de la crise, au-delà de mes missions habituelles de coordination, de prévention, de formation et d’information, je dois m’impliquer dans les soins aux résidents qui ne cessent de prendre de l’ampleur. Il faut également suivre les nombreuses recommandations publiques, prendre connaissance des publications médicales, et dans le cas de résident malade, prendre très rapidement, même sans l’avis préalable du médecin traitant, de nombreuses décisions médicales. C’est un peu épuisant, mais aussi passionnant. »
Pour la profession, un avant et un après COVID-19
Cette montée en puissance des médecins coordonnateurs dans le domaine de la prescription fait d’ailleurs dire à certains que pour la profession, il y aura bien un avant et un après COVID-19. C’est le cas d’Emmanuelle Deschamps : « Cette crise nous apprend que la présence d’un médecin prescripteur au sein de l’établissement est essentielle. Il ne s’agit pas d’abandonner les missions de coordination, mais bien de donner à l’avenir au médecin coordonnateur la possibilité de coordonner et de prescrire. » Bien évidemment, tout le monde ne l’entend pas de cette oreille et le débat devrait sans doute s’animer une fois la crise finie. Pour Nathalie Maubourguet, présidente de la FFAMCO, cela ne fait aucun doute, le médecin coordonnateur ne prescrit à l’heure actuelle qu’en cas d’urgence et il serait très dangereux, une fois le retour à la -normale, de leur permettre de prescrire en toutes circonstances car cela mettrait fin à l’apport essentiel des médecins généralistes en Ehpad. « En revanche, il faudra tenir compte de leur temps de présence et de leur engagement dans leur rémunération. J’espère aussi que ces derniers seront concernés par les primes exceptionnelles que le gouvernement envisage de verser aux soignants… »
Mais revenons au présent. Même si la crise est un peu moins forte aujourd’hui dans les régions les plus touchées, de nombreuses inquiétudes demeurent. Certains établissements doivent à l’heure où nous écrivons, gérer de nombreux décès de patients infectés et déjà se profile la nécessité d’anticiper les conséquences délétères d’un confinement qui durent depuis six semaines et dont la date d’achèvement est encore inconnue. « Nous commençons à observer une baisse d’appétit des résidents, ce qui évoque un état de dépression. L’autre problématique concerne les résidents atteints de troubles psychiques qui supportent très mal l’enfermement et à qui il faut donner des anxiolytiques ou des neuroleptiques pour les aider à passer cette épreuve, mais cette démarche n’est pas sans risque », rappelle Christian Méresse.
Certes, la multiplication des tests, à l’œuvre depuis le 6 avril, va permettre aux établissements d’avoir une vision plus claire de l’épidémie et d’aménager le confinement, en adoptant une organisation différente, mais quel sera le prix à payer pour les personnels déjà épuisés et en sous-effectif dans bien des structures ? Pour l’instant c’est un mystère…
En plus de l’urgence à gérer dans de nombreux établissements, les médecins coordonnateurs doivent avaler et digérer tous les jours un nombre incalculables d’informations et de recommandations parfois contradictoires, de quoi perdre la tête. Alors parfois, cela fait du bien d’avoir quelques repères et le guide intitulé « Stratégies d’endiguement et de prise en charge du COVID-19 en Ehpad » pourrait vous les donner. Créé à l’initiative de Xavier Gervais, vice-président de la FFAMCO, et alimenté par de nombreux contributeurs, ce document, en ligne depuis le 27 mars, est régulièrement réactualisé en fonction de l’avancée de la crise ce qui en fait tout son intérêt. Selon son principal initiateur, il ne s’agit pas de proposer une analyse scientifique pointue, mais bien de compiler les documents les plus importants et quelques éléments « clés ». Bref, de quoi avancer avec un peu plus de sérénité.
Pour accéder au guide :
https://1drv.ms/b/s!AhdV7nsY_P0ng79QnTSuzAXIQydNGA?e=6qaPxh
On l’oublierait presque : le fait d’intervenir en Ehpad, en pleine épidémie, n’est pas sans danger et les médecins coordonnateurs ne sont évidemment pas épargnés. C’est ainsi que le Groupe LNA Santé a annoncé, le 11 avril, le décès du médecin coordonnateur de la résidence La Villa d’Epidaure, à la Celle-Saint-Cloud dans les Yvelines, survenu dans la nuit du 10 au 11 avril. Cette médecin, âgée de 61 ans, mère de deux enfants, était atteinte du COVID-19 et hospitalisée depuis près d’un mois. Elle était en poste depuis 8 ans. Contacté par le JMC, le groupe signale qu’il a mis en place une cellule de soutien psychologique pour les équipes de la résidence très touchées par cette disparition. L’ensemble de ses confrères et des salariés du groupe LNA Santé lui rendent hommage.
Dans le droit fil du discours du chef de l’Etat, le Premier ministre a présenté le 15 avril son plan d’urgence économique pour faire face à la crise. Parmi les nombreuses mesures, une prime de 1500 euros pour les soignants pour avoir affronté l’épidémie et 500 euros pour les autres, ainsi qu’une majoration à 50 % des heures supplémentaires effectuées. Le gouvernement souhaite également qu’une prime soit versée « aux personnels qui remplissent une mission décisive au sein des Ehpad et des services à domicile du secteur médico-social ». Petit bémol cependant, « nous devons en la matière échanger avec les collectivités locales, en particulier avec les départements, qui en sont souvent les financeurs, pour déterminer les conditions de financement de cette prime », affirme le Premier ministre. Ce fameux échange rend-il cette prime incertaine, notamment pour les médecins coordonnateurs ? Il serait hasardeux d’en douter, mais on peut s’étonner tout de même qu’après la fourniture tardive des matériels de protection et la prise en compte retardée du nombre de morts dans les établissements, les Ehpad passent une nouvelle fois après l’hôpital pour l’attribution de cette fameuse prime…
Vocations
Mais si toutes ces démarches volontaires sont louables, elles ne suffisent sans doute pas à combler tous les manques. Conscient de la problématique, le gouvernement propose, depuis le 9 avril, une doctrine pour cadrer l’intervention des médecins généralistes faisant fonction de médecins coordonnateurs avec des grilles de salaires précises, ainsi que les conditions de réalisation d’une éventuelle réquisition. Pour autant cette démarche doit être soutenue : « Les professionnels visés sont jeunes, prêts à se mobiliser, mais il faut les accompagner car la coordination, cela ne s’improvise pas », rappelle Nathalie Maubourguet, présidente de la FFAMCO. Ainsi, dans plusieurs territoires des dispositifs de médecins coordonnateurs « référents » ont été mis en place pour répondre à toutes leurs questions. De la même manière, des « kits de médecin référent Covid » sont en cours d’élaboration pour les aider à assumer au mieux leurs nouvelles fonctions. En choyant tous ces nouveaux venus dans le monde des Ehpad, les fédérations nationales et les associations locales de médecins coordonnateurs espèrent faire d’une pierre deux coups : répondre à l’urgence, mais aussi pourquoi pas, susciter de nouvelles vocations…
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