Coronavirus en Ehpad :
où il est question de masques, d’école, de mort et de starts-up
Depuis nos précédents billets de vendredi et mercredi derniers, la situation n’a cessé d’évoluer. Résumé ici et témoignages de la situation.
Comme prévu, la question des masques a été au coeur de l’actualité depuis 48 heures, les cris d’alarme des soignants et des Ehpad venant de partout. Le Monde en a même fait sa « une » mercredi titrant « Pénurie de masques : les soignants exposés ».
Dans son article, Frank Nouchi, journaliste Santé du Monde, n’y va pas par quatre chemins : « Après nous avoir dit qu’il y aurait des masques pour tout le monde, on découvre aujourd’hui qu’il y a pénurie » écrit-il. Pour conclure, durement : « Plutôt que d’appliquer rigoureusement les règles essentielles de santé publique sur la base d’arguments épidémiologiques, on masque de graves insuffisances matérielles logistiques par de soi-disant arguments médico-scientifiques à géométrie variable ». En clair, la seule raison pour laquelle on explique depuis des semaines que les masques ne sont pas utiles pour tous les personnels soignants, c’est qu’il n’y en a pas en quantité suffisante. Car, au contraire, tous les directeurs savent bien aujourd’hui que seuls les masques portés à tout moment par les personnels d’Ehpad permettent d’éviter la propagation du virus.
Enfin, ce jeudi soir, la parole officielle a changé. Oui, on manque de masques ont reconnu avec clarté le ministre Olivier Véran et le Directeur Général de la Santé, le Pr Jérôme Salomon. La polémique a commencé à enfler avant qu’Olivier Véran y mette un terme en rappelant que la politique consistant à cesser d’accumuler des stocks de masques datait de 2011 et 2013. Un coup pour la droite, un coup pour la gauche…
En effet, au début de la décennie, la France comptait un stock de 1 milliard de masques chirurgicaux. Il a été décidé alors, puis confirmé depuis, que la politique de la France consisterait à faire fabriquer ces masques en Chine en cas de crise plutôt que d’accumuler des stocks inutiles et périssables. Seulement voilà : avec le Coronavirus, la crise a commencé… en Chine.
Pour l’heure, il faut rattraper le retard : c’est la seule chose qui compte. Sur le stock d’Etat que le Ministre évalue à 150 millions de masques chirurgicaux, il a annoncé à l’Assemblée Nationale jeudi que 12,3 millions avaient été livrés aux pharmacies les 17 et 18 mars à l’attention des professionnels de santé. Et que 17 millions de masques supplémentaires étaient en cours de livraison entre mercredi soir et aujourd’hui vendredi pour les hôpitaux, les GHT, les Ehpad et les ambulanciers. Bref : en trois jours, ce sont 30 millions de masques qui ont été dispatchés sur le territoire.
De ce que l’on en sait aujourd’hui, les Ehpad (comme les MAS et les FAM dans le secteur du handicap) seraient censés aller chercher leur quota de masques auprès du Groupement Hospitalier de Territoire le plus proche de chez eux.
Télécharger ici la fiche pratique du Ministère
Car au-delà de la crise en Ehpad, les services d’aide et de soins à domicile (SAAD, SSIAD) sont aussi demandeurs de masques supplémentaires. Un protocole édité par le Ministère ce vendredi a donné quelques critères pour prioriser la distribution de masques aux SAAD dans les 28 départements prioritaires où l’épidémie est la plus avancée.
Ils ne seront légitimes que dans les cas d’interventions prioritaires. On pense ici aux personnes seules, sans famille et/ou malades qui nécessitent une ou des visites quotidiennes. On oublie donc tout ce qui est simples prestations d’accompagnement et de ménage, exclues du présent dispositif. Un intervenant à domicile aurait donc droit selon ce texte à 9 masques pour une semaine. Sauf que dès vendredi matin, les réponses apportées par les pharmacies censées délivrer les masques aux professionnels de l’aide à domicile étaient très erratiques. Ici, on répondait qu’on ne les avait pas reçues ; là qu’on les réservait aux médecins libéraux ; là encore qu’on avait déjà tout distribué en quelques heures…
Autre sujet à gérer : la garde d’enfants des personnels des Ehpad dans les écoles ouvertes à cet effet. On avait déjà signalé dans notre Newsletter n°2 les problèmes qui pouvaient se poser sur le terrain. Le Ministre de la Santé ne cesse jour après jour de faire remonter les « bugs » au Ministère de l’Education. Entre une école qui refuse un gamin sous prétexte que les deux parents ne sont pas soignants, une autre qui prend prétexte que le soignant ne travaille pas dans le secteur public ou encore qu’un directeur d’Ehpad… n’est pas un soignant, le système connaît encore quelques imperfections même si, rappelons-le tout de même, cette solution soulage énormément les personnels des Ehpad.
Sauf que… les vacances scolaires approchent. Oui, certes, un tel constat apparaît ubuesque en ces temps agités. Mais les personnels de l’Education Nationale seront pourtant bien en vacances à partir du 4 avril en Région parisienne. Resteront-elles exceptionnellement ouvertes ? Peu probable. On évoque alors la mobilisation des centres de loisirs des Mairies : de l’Etat, la « patate chaude » passerait donc aux Maires. Vous savez ? Ceux qui ne savent pas encore, pour beaucoup d’entre eux, s’ils seront ou non réélus le 21 juin prochain…
Nous avons là un nouveau front ouvert qui nécessitera une réponse d’ici 15 jours.
Pour l’heure, même si aucun chiffre officiel sur le nombre de morts du virus en Ehpad ne circule, le tour de piste auquel nous avons procédé auprès des fédérations ou des directeurs médicaux de grands groupes montre que les Ehpad semblent encore relativement épargnés.
Enfin, un dernier sujet monte de plus en plus même s’il n’est encore à ce stade majeur : ce sont les conditions de décès des morts du Coronavirus.
On sait en effet qu’une personne décédée suite à un Coronavirus continue d’être contagieuse. Autant dire que la consigne consiste au plus vite après le décès à mettre la personne dans un sac et à procéder à l’inhumation ou à la crémation dans de brefs délais. Des directeurs d’Ehpad commencent à imaginer le drame qui pourra être vécu par des familles qui, non seulement privées de visites en Ehpad pendant plusieurs semaines, pourraient de surcroît ne plus voir leur parent ou leur conjoint avant inhumation. Une inhumation à laquelle ne pourront pas assister, rappelons-le, plus de 5 personnes. Si quelques cas mineurs sont à gérer, ce sera déjà compliqué. Si le virus provoque des milliers voire des dizaines de milliers de décès, cet élément risque de provoquer partout dans le pays et notamment dans les Ehpad des drames humains et psychologiques qu’on aura du mal à maîtriser.
Une question qui a fait son entrée dans l’actualité via la députée LREM des Hauts de Seine Bénédicte Pételle qui a vu son père décéder du Coronavirus à la Pitié-Salpétrière pendant que dans le même temps sa mère était sous assistance respiratoire à Bichat. Un drame que, soyons lucides, pourraient vivre nombre de familles dans les semaines à venir puisque, rappelons-le, si les plus de 75 ans représentent 20% des contaminés, ils représentent en revanche 80% des décès.
En attendant, la vie continue en Ehpad. Fleurissent sur les réseaux sociaux toutes sortes d’initiatives prises par les Ehpad pour animer la vie sociale. De l’atelier… « masques en tissus » aux séances Skype, tout est fait pour multiplier les activités. Un contexte qui permet aussi aux entreprises spécialisées dans les nouvelles technologies d’être entendues avec plus d’intérêt qu’avant.
La start-up Familéo, déjà présente dans nombre d’Ehpad, a vu ses commandes se multiplier depuis 15 jours. Armel de Lesquen, le jeune entrepreneur qui a fondé cet outil qui permet d’éditer un journal sur la base des photos et légendes envoyées par la famille à son parent connaît un regain d’intérêt. Et des groupes qui possédaient déjà cette prestation ont demandé à ce que la fréquence des « journaux » soit quotidienne au lieu d’hebdomadaire.
FamilyLink, autre start-up qui propose des écrans 4G où les résidents peuvent visionner les photos et messages adressés par les familles et les proches, a proposé de prêter gracieusement les 100 appareils qu’elle avait en stock aux Ehpad qui le demandaient. S’il en reste, n’hésitez pas (@familylink sur Twitter).
Enfin, Familizz, application web/mobile, fait aussi partie de ces outils que certains Ehpad se mettent à découvrir au coeur de la crise.
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