Convention collective des entreprises de SAP : la décision du Conseil d’État bouscule les entreprises
La décision du Conseil d’Etat du 12 mai dernier a résonné comme un coup de tonnerre pour les entreprises du secteur. Répondant à une requête de la CGT vieille de près de 3 ans, demandant l’annulation pure et simple de l’arrêté ministériel d’extension de la CCNESAP du 3 avril 2014, le Conseil d’Etat a finalement annulé quatre dispositions du texte conventionnel. Elles sont relatives au barème de remboursement des indemnités kilométriques, au travail de nuit, au temps partiel et aux forfaits jours. Autant dire que la décision n’a pas fait sauter de joie les entreprises et les organisations patronales.
« Nous avons accueilli cette décision avec stupeur et avec une réelle inquiétude pour nos structures adhérentes et pour l’ensemble des entreprises de service à la personne. Elles ont appliqué en toute bonne foi cette convention collective et un jour, elles apprennent que c’est comme si certaines dispositions n’avaient jamais existé et qu’elles sont donc dans l’illégalité, alors même que le Ministère avait validé cette convention collective » déplore Amir Reza-Tofighi, président de la FEDESAP, avec tout de même un petit motif de satisfaction en creux. « La bonne nouvelle, c’est que le Conseil d’Etat n’a pas annulé la totalité de la convention collective, comme le demandait la CGT, ce qui revient à reconnaitre officiellement l’existence de la branche. ». Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Synerpa, en passe d’obtenir son arrêté de représentativité pour la branche des services à la personne, ne cache pas son mécontentement : « nous sommes très surpris de cette décision, d’autant plus que nous ignorions le dépôt de cette requête auprès du Conseil d’Etat par la CGT, alors que nous échangeons régulièrement avec les autres fédérations patronales et que ce sujet n’a jamais été abordé. »
Quels risques pour les entreprises ?
La situation plonge les entreprises de la branche dans une insécurité juridique puisqu’elles utilisent très largement ces dispositions, sauf celles qui ont signé un accord d’entreprise définissant avec leurs représentants du personnel leur propre cadre. Toutes les autres doivent revoir leurs pratiques.
Le remboursement des frais kilométriques, que le Conseil d’Etat a considéré comme trop faible sur la base de 12 cts / km n’a a priori pas d’incidence puisque l’accord de branche du 21 mars 2016 avait prévu que cette indemnité minimale soit finalement de 20 cts / km. En revanche, la présence nocturne et son indemnisation vont devoir être revues en requestionnant la notion de travail de nuit et ses conditions d’exercice. Idem, côté salariés à temps partiel, il n’est plus possible d’aller jusqu’à 33% de la durée contractuelle pour les heures complémentaires, retour donc à un seuil de 10%. Le délai de prévenance en cas de modification d’horaires passe de 3 à 7 jours, sauf situations d’urgence. Enfin, la disposition relative aux forfaits jours est elle aussi annulée car la convention collective n’a pas fixé les caractéristiques principales des conventions individuelles de forfait.
En résumé, sur tous ces points, en attendant un accord de branche, il faut soit passer par un accord d’entreprise, soit obtenir une dérogation. Plus inquiétant encore pour les entreprises de SAP, la décision est rétroactive, puisque juridiquement, l’annulation de ces stipulations revient à dire qu’elles n’ont juridiquement jamais été valables. D’où la mobilisation des fédérations à plusieurs niveaux pour accompagner leurs adhérents.
Une action des fédérations à plusieurs niveaux
« Nous avons eu la possibilité de prendre connaissance de cette décision avant sa publication, et avons pu ainsi envoyer de façon anticipée une alerte juridique à toutes les entreprises du secteur. Nous avons eu de très nombreux retours qui ont montré l’importance du sujet pour les employeurs. Cela leur a permis d’être accompagnés pour continuer d’exercer en toute sécurité juridique » explique Mehdi Tibourtine, responsable juridique à la FESP. On retrouve globalement des dispositifs similaires dans les autres fédérations, toutes mobilisées au chevet de leurs adhérents : notes juridiques, kits pratiques avec modèles et méthodologie d’accord d’entreprise, modèles de demande de dérogation, ou encore courriers aux DIRECCTE pour signifier la bonne foi de leurs adhérents pour le Synerpa, discussions avec la Direction générale du travail pour la FESP.
Pour la suite, la FESP et la FEDESAP confient être actuellement en train de négocier un accord de branche avec les deux organisations syndicales qui sont leurs interlocutrices régulières et qui étaient déjà signataires de la convention collective, à savoir la CFDT et la CFTC. La FEDESAP déplore d’ailleurs que d’autres syndicats préfèrent les tribunaux aux commissions de négociation. La stratégie consiste cette fois à négocier sujet par sujet, par ordre d’importance, avec l’espoir d’arriver déjà à un accord sur le temps partiel dans les mois qui viennent. En parallèle, la FESP échange avec la Direction générale du travail pour trouver une solution sur la question préoccupante de la rétroactivité. Le SYNERPA domicile pointe lui les dysfonctionnements de la branche « il faut revenir à ce qui est en vigueur dans les autres branches professionnelles, à savoir avoir l’ensemble des entités patronales et syndicales autour de la table des négociations. Avec les arrêtés de représentativité en préparation pour le Synerpa Domicile et la Fédération des crèches privées, cela va nécessairement faire évoluer le dialogue social. On ne peut plus se contenter de n’avoir que deux organisations syndicales en face de deux organisations patronales. Cet épisode montre bien les limites de cette configuration. Et nous pensons qu’il y a des marges de manœuvre pour améliorer la situation des salariés ».
Au-delà de la forme, du jeu d’acteurs et des procédures, si cet épisode, certes inquiétant aujourd’hui pour les entreprises, pouvait à terme contribuer à un dialogue social plus ample et à des accords mieux-disant, alors que l’attractivité des métiers est toujours à la peine, qui pourrait s’en plaindre ?
Patrick Haddad
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