Chronique au temps du coronavirus
Après le confinement et les masques, les tests sont désormais au cœur de l’actualité des Ehpad. Et alors que le pic de morts en Ehpad n’est certainement pas encore atteint, on évoque déjà l’après. L’après-confinement. Et l’après-législatif. Récit en bref…
Il y a 15 jours, les Ehpad n’avaient qu’une légitime obsession : les masques. Qu’ils soient chirurgicaux ou, mieux, FFP2, ils constituent les seuls moyens d’endiguer la propagation du virus au sein des établissements. Le 28 mars, Olivier Véran, le ministre de la Santé, annonçait 500.000 masques par jour pour les Ehpad. Bien malin celui qui serait en capacité aujourd’hui d’en vérifier le nombre exact mais à l’évidence le flux a considérablement augmenté et l’angoisse sur ce point précis des Ehpad sensiblement diminué.
Au-delà de l’Etat, de nombreuses collectivités locales sont venues en renfort en privilégiant leurs propres circuits de commande avec souvent une grande efficacité et parfois aussi avec une bonne dose de cynisme à l’image d’un Christian Estrosi se mettant en scène sur le tarmac de l’aéroport de Nice à l’arrivée d’un avion Emirates en provenance de Canton en Chine avec 750.000 masques à son bord.
Tests : salariés vs. résidents
La séquence « masques » étant en partie – en partie seulement – derrière nous, la pression s’exerce désormais sur le nombre de tests disponibles. Cette exigence des fédérations d’Ehpad, le Gouvernement y a répondu verbalement en énonçant clairement que les Ehpad étaient prioritaires en matière de livraison de tests. Lors de son point de presse du 6 avril, Olivier Véran a annoncé une « vaste opération de dépistage des personnes les plus vulnérables, en mettant la priorité sur les personnes âgées, les personnes handicapées les plus fragiles, ainsi que les professionnels qui les accompagnent en établissement, comme à domicile ». Soit la bagatelle d’au moins deux à trois millions de tests.
Mais au lieu de concerter les fédérations, le gouvernement a adressé le 10 avril une circulaire Véran/Castaner aux préfets et aux ARS décrivant des procédures qui en ont fait bondir certains. En résumé, la circulaire distingue deux cas de figures. Dans l’Ehpad « non-Covid », des tests sont réservés aux personnels et résidents dès les premiers symptômes ce qui permettrait alors aussitôt d’extraire vers l’hôpital le résident atteint et de renvoyer chez lui le salarié soupçonné de porter le virus. Dans l’Ehpad « Covid », la circulaire prévoit de tester 100% des salariés mais seulement … 3 résidents. Ce qui a provoqué l’ire des fédérations fustigeant une méthode où dans les Ehpad seraient testés tout le monde sauf … les résidents ! Face à cette fronde, le Premier Ministre a décidé en personne de conduire une visio-conférence avec l’ensemble des fédérations. Réunion qui devait se tenir ce mercredi 15 avril dans l’après-midi.
Tests : Mairies LR vs. Gouvernement
Mais le Gouvernement a aussi senti le risque politique poindre en constatant à quel point les élus LR redoublaient d’initiatives pour fournir eux-mêmes des tests. A Nancy, Laurent Hénart, maire UDI de Nancy, mais en position compliquée après le 1er tour, a par exemple annoncé dès le 31 mars son intention de tester l’ensemble des 144 résidents et 90 agents de l’Ehpad « Notre Maison » géré par la Ville. Idem à la Garenne-Colombes où le maire LR, Philippe Juvin, a pris la même décision. Anne Hidalgo, maire PS de Paris, n’est pas en reste puisqu’elle a décidé aussi de tester les Ehpad parisiens. Une offensive bien identifiée par la majorité qui a encouragé le Premier Ministre à sortir du bois sur cette affaire.
Au-delà de leur disponibilité et de leur quantité, la question des tests taraude les gestionnaires d’Ehpad pour une autre raison. Dans certains Ehpad franciliens, les premiers tests ont donné des résultats étonnants. Dans un Ehpad des Hauts-de-Seine, un test a révélé 5 résidents atteints mais… 50% du personnel ! La crainte est là : que demain certains établissements se retrouvent avec une pénurie accentuée de salariés, contraints de rester chez eux quand bien même seraient-ils des Covid asymptomatiques.
Autre sujet de la quinzaine écoulée : le nombre de morts en Ehpad. Fallait-il que la France soit le seul pays d’Europe où un haut-fonctionnaire égrène chaque soir devant des millions de téléspectateurs le nombre de morts en…Ehpad ? C’est pourtant la décision qui a été prise suite à la pression exercée par certains journalistes qui interrogeaient le Pr Salomon à peu près tous les jours sur le sujet. Au point que la presse commençait à évoquer une forme d’omerta comme si l’Etat ou les Ehpad eux-mêmes souhaitaient dissimuler la vérité.
Compter les morts… en Ehpad
Du coup, les Ehpad ont été invités à opérer quotidiennement ce décompte macabre avec une rigueur scientifique toute relative. D’abord, parce que les premières remontées étaient très partielles, certains Ehpad ayant autre chose à faire qu’à remplir des tableaux. Ensuite parce que les certificats de décès étant souvent remplis par d’autres médecins que le médecin coordonnateur, certains ne connaissant pas particulièrement le résident ont préféré cocher la case Covid pour être certains que toutes les mesures de prudence soient prises au moment du transfert du corps. Enfin, les remontées ayant été progressives, certains jours la progression du nombre de morts en Ehpad a pu apparaître anormalement élevée.
À ce jour, il apparaît dans les statistiques qu’environ 5.000 personnes seraient décédées du Covid en Ehpad sur les 15.000 victimes au total. Il ne s’agit pas de relativiser ce chiffre qui pour l’heure représente le double des victimes en Ehpad de la canicule de 2003 et un tiers du bilan des décès. Mais il s’agit aussi de le rapporter d’une part au nombre d’Ehpad en France : nous sommes alors à moins d’une victime par établissement. Ou à le rapporter au nombre habituel de décès en Ehpad chaque mois : soit entre 10 et 12.000. Face au drame qui se joue, tout discours relativisant les chiffres est malvenu. Mais ici, dans une revue professionnelle, il peut être dit et entendu.
Un confinement plus souple ?
Dernier sujet à traiter dans les jours et semaines à venir : la durée du confinement. Si le Gouvernement a redit que le temps n’était pas à l’assouplissement, en Ehpad comme à domicile, le Président de la République a fixé un horizon en citant la date du 11 mai pour un début de déconfinement pour les élèves comme pour les salariés. Emmanuel Macron a ajouté deux éléments qui intéressent le grand âge. Le premier consiste à avertir les « aînés » qu’ils devraient probablement continuer le confinement à domicile après le 11 mai. Bon courage à celui qui devra expliquer à un senior bien portant qu’il doit rester chez lui pendant que l’obèse diabétique de 45 ans pourra lui se balader dehors. Le second a porté sur la question spécifique des Ehpad puisque le Président a demandé que soit assouplie la règle pour les visites des familles à leur parent en fin de vie.
Sauf que si le confinement en Ehpad est appelé à durer, la rigidité dans l’application des mesures de distanciation sociale entre résidents et familles sera de plus en plus compliquée à tenir. Déjà, aujourd’hui, en toute discrétion, certains Ehpad, dans des régions peu exposées au virus, ont commencé à établir des contacts encadrés par des règles très strictes. Un établissement de Picardie, qu’on ne nommera pas pour le protéger, a décidé d’ouvrir les visites à raison de 30mn par famille tous les 15 jours. Condition sine qua non : la famille se résumera à deux personnes seulement auxquelles seront fournies masques et sur-blouses.
Même si la France, et les Ehpad tout particulièrement, est encore au cœur de la crise sanitaire, la légère diminution du nombre d’admissions dans les services de réanimation est apparue comme un signe de renversement de la courbe. Ce qui a conduit certains experts a commencé à pouvoir envisager l’après.
Après : on va voir ce qu’on va voir ?
Dans une interview au Monde, Dominique Libault l’auteur du rapport éponyme avertit : « Il faudra bien sûr faire le bilan de la crise sanitaire et en tirer des enseignements. Mais pour l’essentiel, nous savons ce qu’il faut faire pour construire une société du grand âge. Le temps de la procrastination est révolu ». On aimerait en être si sûr… Le fait est toutefois que le Chef de l’Etat dans son allocution du lundi de Pâques a cité explicitement les « aînés » (quelle expression…) parmi les sujets qu’il faudra traiter en urgence après la crise. Si quelqu’un pouvait justement lui dire que cet outil existe : il s’agit de la loi Grand Âge et Autonomie. Et elle attend depuis exactement 22 mois dans les cartons. Depuis qu’un certain Emmanuel Macron a annoncé le 13 juin 2018 qu’elle constituait une priorité…
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