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© Patrick Dagonnot

14 mai 2018

Burn-out :
de la prise de conscience aux investissements préventifs

Sujet incontournable tant il pèse au quotidien sur les organisations de travail, le burn-out, ou épuisement professionnel, reste un syndrome aux contours mal définis dont les causes et les conséquences sont encore mal appréhendées. D’où l’organisation d’un atelier de travail aux Assises nationales des Ehpad, l’un avec une vision généraliste du sujet, l’autre avec une expérience empirique probante.

Gérard Sebaoun, médecin de profession, député lors de la précédente mandature et rapporteur de la mission d’information relative au burn-out, a pu en connaissance de cause éclairer la réalité de ce syndrome, tandis que Patrick De Coster, professeur et directeur général du CHU de Namur est venu de Belgique nous livrer quelques unes des recettes qu’il a appliquées avec succès à sa propre organisation.

Si aucun des deux n’est spécialiste de l’Ehpad, « nombre de constats et de préconisations lui sont transférables à partir du moment où on le replace dans son cadre, c’est-à-dire celui d’une PME », a rappelé Gérard Sebaoun. Des PME et des organisations de travail qui sont marquées par toute une série de paradoxes relevés par l’ancien député : « 76% des Français disent aimer leur travail selon une enquête de la CFDT. Ils s’y épanouissent même. Et pourtant un collaborateur sur quatre se déclare victime de problèmes psychiques liés à son travail ».

Un phénomène à mieux cerner, des causes à bien identifier

Un diagnostic à poser donc, en commençant par s’appuyer sur la définition du burn-out par la Haute autorité de santé qui le décrit comme « l’épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel ». Cela amène le Dr Sebaoun à rappeler que la première source de stress est la charge de travail. Mais quelle est la bonne charge de travail ? L’équilibre est difficile à tenir tant il repose en partie sur des dimensions subjectives.

Dans ce qui provoque cette surcharge, il y a d’abord le fait que les salariés disent manquer de beaucoup de choses : de temps, d’information, de coopération, de collègues, de programme de travail bien adapté, de matériel, de formation… Et en dynamique, le changement pose souvent problème car il est déstabilisateur, surtout s’il n’est pas accompagné. Or on change très souvent de directives, d’organisation, de plan à court-terme, de plan à moyen-terme et les salariés ont du mal à suivre ce rythme effréné.

Les organisations et les métiers de la santé ne sont pas épargnés par ces maux. Au contraire, ils sont souvent en tête des secteurs les plus touchés par le burn-out. Selon Gérard Sebaoun « en matière d’organisation du temps, d’organisation du travail, de pénibilité physique, de charge émotionnelle et d’avenir professionnel, les infirmiers et les aides-soignants sont des gens à qui on demande beaucoup ». Et quid des Ehpad ? Les études AT/MP (accidents du travail, maladie professionnelle) montrent un taux d’accidents du travail 3 fois plus important en Ehpad qu’ailleurs.

Alors que faire ? Tout d’abord être attentif aux symptômes : troubles du sommeil, fatigue, perte d’énergie, troubles comportementaux, agressivité, absentéisme, en ayant conscience que le processus se fait par paliers et que le basculement peut être assez brutal. Et surtout s’attaquer aux causes : la perte de sens, le rapport avec les collègues et la hiérarchie y sont pour beaucoup. Une hiérarchie bienveillante est un facteur essentiel pour les salariés. Le travail en équipe et la convivialité également, ainsi que la confiance dont la place est centrale dans le travail, et qui selon Christophe Dejours, ne repose pas sur des ressorts psychologiques mais sur des ressorts éthiques.

Repenser le management et investir

C’est précisément sur le travail préventif que Patrick De Coster est intervenu, en particulier sur ses dimensions organisationnelles et managériales. Dans son CHU, il a adopté la méthode « lean » et selon lui, cela a porté ses fruits. Issue de la production automobile japonaise, le lean (maigre, dégraissé en anglais), c’est la chasse aux gaspillages, pas simplement financiers, mais tout ce qui est inutile, fait perdre du temps et alourdit la charge de travail.

« Nous devions évoluer mais je ne pouvais pas leur demander de travailler plus et je trouve que leur demander de travailler mieux, c’est particulièrement injurieux. C’est le changement des comportements qui permet d’obtenir plus et mieux avec moins de stress » a expliqué le directeur du CHU de Namur. Pour lui et en vertu de lean management, c’est aux gens de terrain de trouver eux-mêmes les solutions et aux cadres de mettre en place le système. Les changements de comportements sont essentiels et les outils permettent de les traduire de façon opérationnelle en supprimant les gaspillages. Des gaspillages très nombreux et dont le plus important est le potentiel humain inexploité, la créativité à laquelle on ne permet pas de s’exprimer. C’est le travail administratif qu’il faut diminuer, pas les réunions, ni les moments de convivialité.

Et la clé de la motivation, selon Patrick De Coster, ce n’est pas l’organisation mais le patient. C’est en partant de la prise en charge du patient, de la promesse qu’on lui fait au départ, que l’on peut dérouler une organisation où doivent prévaloir la performance collective sur la performance individuelle, la coopération sur la culpabilisation, la transparence sur la culture du secret et l’anticipation sur l’improvisation. Les gériatres sont les premiers à avoir compris l’importance du collectif en mettant en place des équipes pluridisciplinaires.

Autre aspect fondamental pour les directeurs, passer du temps sur le terrain et porter un regard apprenant, pas dans une posture de contrôle mais en demandant de la rigueur et en posant des questions. Les directeurs peuvent y puiser de l’énergie et cela donne du sens à leur travail et de la cohésion aux équipes qui doivent passer d’un mode de plainte à un mode « ce que je peux faire ». Enfin, c’est un système à construire en bloc, inutile d’y picorer des morceaux. Un système qu’il faut également pérenniser a précisé Patrick De Coster : « il y a aussi des outils de pérennisation et des outils de résolution de problèmes ».

Le lean management comme solution clé aux problèmes de burn-out ? Peut-être… Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’il faut des moyens. Or, il est généralement constaté qu’ils sont insuffisants, tout comme les outils d’ailleurs, au-delà du document unique d’évaluation des risques professionnels qui demeure très important à mettre en place et à faire vivre. Le Dr Sebaoun a rappelé que les investissements s’évaluent en milliards d’euros à l’échelle nationale… mais qu’en matière de prévention des risques professionnels, 1 € investi, c’est entre 2 et 3 € d’économies réalisées ensuite.

Patrick Haddad


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