Acharnement contre Korian : ça suffit !
Il y a une certaine injustice à voir, dans cette période difficile, les équipes de Korian être à ce point dans le viseur des médias quand des drames similaires se déroulent partout en France. Un effet de loupe qui nous a donné envie de les défendre.
Il y a un temps pour tout. Il y a un temps pour le débat d’idées voire pour la polémique. Et il y a un temps pour la dignité.
Le guichet de la polémique est, notamment sur les réseaux sociaux, ouvert toute l’année. Là, peuvent s’exprimer tous ceux qui exècrent les Ehpad commerciaux. Tous ceux qui dénient par principe à un Ehpad de faire des profits. Tous ceux qui estiment – et on a parfaitement le droit d’assumer de telles convictions – qu’il est incompatible pour un Ehpad de réaliser des bénéfices et de prendre en charge correctement les personnes âgées ou de traiter convenablement les salariés. Ces débats ont eu lieu et auront certainement lieu de nouveau à l’avenir.
Mais il y a aussi un temps pour la raison et la dignité. Or, au cours des 15 derniers jours, le groupe Korian s’en est pris plein la tronche. Pourquoi ? Parce qu’il a eu la malchance d’être frappé par le Coronavirus de façon, sinon plus importante, en tout cas plus visible que d’autres. Tout a commencé avec l’Ehpad de Thise dans le Doubs où très tôt 12 résidents sont décédés en quelques jours. Probablement, comme dans certains Ehpad du Haut-Rhin voisin, en raison de la présence mi-février d’un membre du personnel au fameux rassemblement évangélique de Mulhouse.
Korian ou l’effet loupe grossissante
Puis la presse se faisait l’écho d’un nouveau foyer dans les Yvelines : 16 décès à l’Ehpad Korian de Saint-Germain-en-Laye et 5 autres à Louveciennes. Mais ce sont les 31 morts de l’Ehpad de Mougins qui ont définitivement mis le groupe Korian dans la tourmente médiatique. De façon évidemment injuste puisqu’à l’évidence Korian a pâti ici de sa visibilité et de sa présence partout en France avec ses 300 Ehpad. Car dans le même temps, qui a entendu parler de ces 20 décès intervenus dans un Ehpad public hospitalier de la Loire ou de ces 21 morts survenus en quelques jours en plein cœur du 5ème arrondissement de Paris dans un Ehpad communal de la Ville de Paris ? Et pour en rajouter dans la malchance, c’est aussi dans un Ehpad de Korian, cette fois à Mulhouse en plein épicentre de la crise, qu’est intervenu le premier décès dû au Coronavirus d’une aide-soignante, Elisabeth Adjobodou, âgée de 44 ans et mère de 3 enfants.
Au-delà de l’effet de loupe grossissante qui peut s’exercer dans un tel cas à l’encontre d’un groupe dont la bannière est connue partout en France, certains en ont profité pour faire l’inévitable lien entre le nombre de morts et… une société cotée en Bourse. Sur les réseaux sociaux, le couplet habituel sur l’avidité des grands groupes a repris de plus belle. Thomas Portes, responsable national du PCF, tweetait : « En 2016, le groupe Korian a doublé en 5 ans les dividendes versés à ses actionnaires. Pendant ce temps, le personnel était en souffrance. Aujourd’hui, il y a des morts ». Un lien de causalité proprement indécent. Caroline Fiat, députée LFI (cf. entretien page 8) et ex-salariée de Korian tweetait au lendemain du décès de l’aide-soignante : « Je n’oublierai pas. Nous n’oublierons pas. Korian devra répondre aux questions que ça plaise ou non à l’équipe de communication ». Dans ce cas, cela risque d’être long car à l’évidence ce sont des centaines voire des milliers d’Ehpad qui au final devraient déplorer des décès du Coronavirus en leur sein. On espère que Caroline Fiat n’oubliera pas non plus et demandera à chacun de « répondre »…
Boissard chez Calvi : le choix de la transparence
Mais après un moment de sidération qui a frappé la direction de Korian, Sophie Boissard, la directrice générale, a décidé de jouer la transparence, ne serait-ce que pour tordre le cou à l’accusation d’omerta, assez paradoxale d’ailleurs avec le fait que la presse n’a au contraire parlé quasiment que de Korian pendant plusieurs jours.
Invitée d’Yves Calvi sur RTL le vendredi 10 avril, Sophie Boissard est apparue grave, émue et transparente. Grave parce qu’on ne dirige pas impunément un groupe d’Ehpad sans être intimement traumatisée par une telle crise. Comme n’importe quel directeur d’Ehpad. Émue car cette native de Mulhouse venait d’apprendre le décès d’une aide-soignante dans cette même ville d’Alsace. Et transparente, parce qu’elle a pris la responsabilité, ce qu’aucun autre dirigeant n’avait fait avant elle – ni après d’ailleurs – d’annoncer le nombre de décès au sein des 23.000 lits gérés par Korian en France. 356 décès sur les 300 Ehpad du groupe. 356 décès sur les 5.000 annoncés à ce jour dans les Ehpad de France. Un chiffre évidemment important mais qu’il convient de relativiser pour peu que chacun prenne sa part.
Ce Korian bashing a choqué jusque dans les rangs du secteur public et associatif car, au-delà des guéguerres public-privé, aucun directeur n’est suffisamment flambard pour être certain qu’une telle mésaventure ne lui arrive pas demain.
Et, au risque de surprendre les plus bornés, avouons aussi que les salariés de Korian sont des femmes et des hommes comme les autres. Qu’ils sont des soignants ni plus ni moins dévoués et professionnels qu’ailleurs. Que les français à 20h00 n’applaudissent pas en ajoutant : « on applaudit sauf les soignants de chez Korian hein ? ». Et ceux-ci, justement, ont voulu dire leur indignation. Dans une pétition sur change.org, les syndicats CFDT et UNSA de Korian ont livré leur part de vérité : « Chaque soir, à 20h00, des millions de français nous applaudissent pour nous soutenir. Nous recevons également dans chacun de nos établissements de nombreux témoignages qui nous portent et font oublier notre fatigue. Ce que nous traversons, tous ensemble, est tellement difficile. », écrivent-ils.
Une aide-soignante est-elle publique ou privée ?
« L’acharnement de certains médias ou d’opportunistes en tout genre jette le discrédit sur notre engagement sans faille pour accompagner nos ainés », regrettent-ils. « Le temps est donc venu pour nous, équipes de Korian, d’exiger des égards pour nos résidents et leurs familles et de demander le respect que nous méritons. Personnel soignant, administratif, employés, agents de maitrise, cadres, familles, anonymes, Rejoignez-nous et vous aussi dites : “STOP AU DENIGREMENT” ». Quelques jours après 3.400 personnes avaient signé. Dont l’auteur de ces lignes. Il sera toujours temps ensuite de rouvrir le débat de la place respective du lucratif et du non-lucratif. Et il sera utile que nous le fassions avec le prisme qu’un Pierre-Henri Tavoillot explique ici dans ces colonnes (cf. tribune page 22). Mais pour l’heure, une aide-soignante ou un directeur d’Ehpad face au Covid ne sont ni publics, ni privés. Ils sont des salariés qui ont droit au respect. Quand bien même se trouveraient ils dans un Ehpad qui a été décimé par le virus.
Luc Broussy
Retour aux actualités