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© Ministère délégué en charge de l’Organisation territoriale et des Professions de santé.

10 mai 2023

Entretien avec Agnès Firmin Le Bodo

Agnès Firmin Le Bodo a accueilli la rédaction au sein de ses bureaux du ministère de la Santé afin de faire le point sur les travaux de la convention citoyenne et du gouvernement sur la fin de vie. Nous l'avons interrogé sur le développement des soins palliatifs et le meilleur accompagnement de la fin de vie dans les Ehpad.

Le Mensuel des Maisons de Retraite – Madame la Ministre, la convention citoyenne sur la fin de vie a rendu ses conclusions le 3 avril dernier. Cette Convention est-elle pour vous une réussite ? 

Agnès Firmin Le Bodo : Sans aucune hésitation, la réponse est oui. Sur 185 citoyens tirés au sort, 184 sont allés jusqu’au bout du processus ce qui constitue déjà un premier signe du succès. Et le seul « conventionnel » qui a quitté les travaux l’a fait pour de bonnes raisons : il venait tout juste de trouver un travail ! J’ai suivi de très près les travaux de la convention : je suis allée les voir travailler durant les différentes étapes de leurs réflexions pour bien comprendre et m’imprégner de la façon dont les travaux se déroulaient et j’ai été véritablement sensible à la qualité des travaux et à l’engagement de l’ensemble des citoyens mais aussi des organisateurs.

Je veux tirer mon chapeau à Thierry Beaudet, Président du CESE et à Claire Thoury, présidente du Comité de gouvernance de la convention citoyenne sur la fin de vie qui ont  orchestré la convention de manière magistrale. J’ai vraiment été impressionnée par la qualité d’écoute et de réflexions des citoyens. Je les ai entendus débattre un samedi matin et pendant vingt minutes de la différence de sens entre le mot « et » et « ou » dans un énoncé. Dimanche dernier, j’ai enregistré une émission de télévision face à un conventionnel qui pensait que la loi ne devait pas évoluer. Mais il a défendu le processus en affirmant que la place des « minoritaires » dont il faisait partie [NDLR : 25 % des conventionnels se sont exprimés en défaveur d’une évolution de la loi vers une aide active à mourir] avait été respectée et c’est, je pense, une des plus belles réussites de cette convention.

MMR – Au sortir d’une telle convention, le Gouvernement se sent-il obligé par le résultat ?

AFLB : Lors du lancement de la Convention citoyenne, la Première ministre avait pris soin de préciser que les résultats de la convention ne lieraient pas le Gouvernement quant à la suite des travaux et que le Politique serait, in fine, celui à qui reviendrait le soin de donner la direction, la convention ayant pour mission d’ « éclairer la décision ». C’est un point important que nous a enseigné la Convention citoyenne sur le climat. Il fallait clarifier ce point dès le départ. Mais cet exercice a un intérêt essentiel pour enrichir la réflexion de tous nos concitoyens et du Gouvernement qui doit travailler ces prochains mois sur un projet de loi.

MMR – Quelles sont les prochaines étapes vers l’examen d’une loi au Parlement ?  

AFLB : Si le président de la République avait annoncé dans son programme électoral l’organisation d’une Convention citoyenne, il a tenu à ce que le Gouvernement travaille de façon simultanée. Aux côtés des parlementaires, nous sommes donc allés, avec mon collègue Olivier Véran, à la rencontre de tous les soignants mais aussi des usagers. Nous avons aussi effectué de nombreux déplacements à l’étranger pour appréhender les différents modèles d’accompagnement de la fin de vie. En Grande-Bretagne, j’ai souhaité comprendre pourquoi on n’avait pas réussi à avancer sur le sujet de l’aide active à mourir. Aussi nous sommes allés à la rencontre de trois modèles : en Suisse, en Belgique et dans l’Etat de l’Oregon aux Etats-Unis.

Le Président de la République a annoncé il y a un mois que le Gouvernement devait désormais travailler à un projet de loi qui sera présenté avant la fin de l’été. Il a également souhaité que le Gouvernement travaille à une stratégie décennale sur les soins palliatifs pour dépasser les plans quinquennaux qui n’ont pas toujours permis d’avancer comme nous le souhaitions collectivement et d’enraciner dans la durée les changements en faveur du développement d’une culture palliative. Le Gouvernement travaille ainsi en ce moment même à l’élaboration d’une stratégie de plus long terme et co-construite avec l’ensemble des acteurs en associant des parlementaires.

MMR – Quelles sont les questions que le débat des derniers mois a permis de faire avancer ?

AFLB : La convention a permis d’interroger notre rapport à la mort car on a un peu tendance à oublier qu’elle fait partie de notre parcours de vie. Ensuite, le temps de l’opposition frontale entre acteurs des soins palliatifs et partisans de l’aide active à mourir me semble avoir vraiment évolué. Le fait d’avoir travaillé sur les deux, de façon simultanée et respectueuse des sensibilités de chacun, a montré à quel point l’un ne s’opposait pas à l’autre et que la nécessité de travailler sur les soins palliatifs était unanimement reconnue.

Si la question de l’aide active à mourir pour les mineurs a été finalement écartée par la Convention citoyenne, la prise en charge des enfants, des jeunes, a occupé une place importante dans nos travaux à travers le sujet des soins palliatifs adaptés à leur situation propre. Un premier engagement a été pris auprès des acteurs des soins palliatifs, réviser d’ici la fin mai la circulaire source de 2008 organisant l’offre de soins palliatifs qui n’a pas été amendée depuis 15 ans ! Et qui ne mentionnait même pas l’existence des soins palliatifs pédiatriques. L’accompagnement des enfants atteints de maladies rares, parmi lesquels les cancers pédiatriques sont un domaine dans lequel il y a eu pourtant de réels progrès scientifiques : il y a 15 ans, 95 % des enfants souffrant d’un cancer décédaient. Aujourd’hui, c’est fort heureusement l’inverse mais la prise en charge palliative est complètement passée sous les radars.

MMR – Quelles sont les deux ou trois questions cruciales qu’il reste encore, selon vous, à trancher d’ici la présentation de la loi ?

AFLB : Le sujet essentiel sera de travailler sur la place des soignants dans un modèle opératoire d’aide active à mourir, quel que soit d’ailleurs le modèle retenu.

MMR – Selon les chiffres du CNSPFV[1], 72000 personnes meurent à l’Ehpad chaque année. A-t-on suffisamment associé les Ehpad et même les hôpitaux au débat public ?

AFLB : Nous avons souhaité intégrer au sein de nos groupes de travail des soignants exerçant en Ehpad. Je suis intimement persuadée que nous devons, par la formation des personnels des établissements, être à la hauteur des enjeux de la culture et de l’anticipation palliatives. Mourir à domicile ou en Ehpad n’est possible que si les professionnels sont formés, si les aidants sont accompagnés, si nous développons l’hospitalisation à domicile et facilitons l’organisation et le rayonnement des unités mobiles de soins palliatifs.

Nous avons réussi à avoir un débat apaisé sur un sujet de société délicat en insistant davantage sur les points de convergence entre tous les acteurs plutôt que sur leurs divergences. Le développement des soins palliatifs en est un, bien sûr, mais je pense aussi à des mesures d’accompagnement de la fin de vie très concrètes : l’accompagnement du deuil ou le droit de visite en Ehpad et à l’hôpital, objet d’une mission que nous venons, avec Jean-Christophe Combe, de confier à Laurent Frémont, enseignant en droit constitutionnel et co-fondateur du collectif « Tenir ta main ».

MMR – Comment faire pour davantage développer les soins palliatifs dans les Ehpad ?

AFLB : Nous avons besoin de développer la culture palliative dans l’ensemble de notre système de santé et médico-social. J’ai vu des hôpitaux qui recevaient des moyens pour développer des soins palliatifs mais qui les utilisaient pour autre chose. Trop longtemps ces soins sont passés après de nombreux autres postes d’investissement.

Alors que 21 départements n’ont pas encore d’unités de soins palliatifs, nous devons faire en sorte que lorsque des moyens sont alloués, ils soient automatiquement fléchés sur ce type d’investissement. D’ici 2024, l’ensemble des départements devront accueillir de telles unités.

Ce 10 mai, un documentaire[2] sort sur l’affaire Vincent Lambert après deux ans de travail de ses auteurs. Celui-ci va relancer le débat sur les directives anticipées car si Vincent Lambert en avait rédigé, il n’y aurait pas eu d’affaire Lambert. Les travaux que nous avons conduits m’amènent à penser qu’il serait nécessaire d’avoir deux types de directives. Aujourd’hui, la directive rédigée avec anticipation permet d’encadrer la prise en charge d’une personne à la suite d’un accident subit. Il faut assurer que l’information soit systématisée, notamment auprès des jeunes, par exemple lors des bilans de prévention… Mais lorsqu’une personne se voit annoncer une maladie incurable, il serait utile de réfléchir à un deuxième type de directive dite « accompagnée » reposant sur un dialogue. Il faudra enfin pouvoir commencer à réfléchir à la formation des médecins, des infirmières et des aides-soignantes sur leur rédaction, c’est essentiel et ce dans le secteur sanitaire comme dans les établissements sociaux et médico-sociaux.

MMR – Comprenez-vous que les soignants soient si partagés face à la question de la fin de vie ?

AFLB : Si le développement des soins palliatifs fait consensus, il y a une plus grande hétérogénéité sur l’aide active à mourir parmi les différentes professions de soins. Il faut entendre cette diversité d’opinion. Le sujet de la formation sera bien sûr nécessaire mais je crois qu’il faut surtout rester ouvert, avec l’instauration d’une clause de conscience. Nous devons également avoir à l’esprit l’état dans lequel notre système de santé se trouve et donc associer étroitement les soignants à notre réflexion sur le modèle à construire.

MMR – Selon vous, le risque existe-il à terme que la pression budgétaire et le manque de personnel se traduisent par une « perte de chance » pour les plus âgés et fragiles ?

AFLB : Le président de la République, la Première Ministre et toutes les personnes qui attendent une évolution de la loi n’imaginent pas une seule seconde qu’on soit dans cette situation. Nous avons le devoir collectif d’accompagner les personnes les plus vulnérables, c’est le sens de mon engagement, de celui du Gouvernement et du président de la République. Notre société repose sur un pacte républicain dans lequel l’accompagnement des plus vulnérables et la solidarité sont des valeurs cardinales, nous devons les défendre.

Faire évoluer la loi suppose un grand sens des responsabilités sur les orientations prises. Nos concitoyens eux-mêmes ont évoqué via les conclusions de la Convention citoyenne, des critères importants pour accéder à une éventuelle aide active à mourir. Je pense notamment au discernement qui exclurait par exemple les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer d’un tel dispositif. Ce sont bien les critères permettant ou pas d’accéder à l’aide active à mourir ainsi que la traçabilité de la procédure qui montreront à quel point l’ouverture d’un tel nouveau droit est encadrée.

MMR – Nombreux sont les ministres qui aimeraient que le Président de la République s’investisse sur le sujet qu’ils portent. Vous, vous avez cette chance. En parlez-vous avec lui ? A-t-il des convictions sur le sujet ?

AFLB : Le 3 avril, le président de la République a bien dit que sa position avait « évolué, évolue et évoluera ». Je crois que tout citoyen devrait pouvoir dire ça. Certains ont voulu me faire un procès en neutralité sur ce sujet puisqu’en avril 2021 j’ai voté, en tant que parlementaire, en faveur d’un texte qui visait à instaurer un dispositif d’aide active à mourir. Le président de la République et la Première Ministre m’ont fait confiance pour travailler sur ce sujet en me permettant de conduire un large travail de concertation dans un esprit d’ouverture et de discussion. Mes déplacements et mes échanges m’ont ébranlé dans mes convictions et je ne sais pas quelle décision je prendrais si j’étais dans une situation de fin de vie. Il faut avoir beaucoup de courage et personne ne peut avoir de certitudes en la matière. Cette humilité est au cœur de l’approche du Gouvernement.

Propos reccueillis par Luc Broussy et Robin Troutot

[1] .  Le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie.

[2] .  Le documentaire « Lambert contre Lambert, au nom de Vincent » sort le 10 mai 2023.


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