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© Ministères sociaux/ DICOM /Martin Chang/ Sipa

27 avril 2023

CNR et PPL : émois autour de la loi

En cette fin d’hiver, le soleil brille, les oiseaux chantent et… les PPL tombent du ciel. Alors que la proposition de loi émanant des députés de la majorité est étudiée au Parlement en ce mois d’avril, le député PS-Nupes Jérôme Guedj a aussi sorti la sienne. 14 articles d’un côté, 158 de l’autre : il n’y a pas photo en guise de sérieux et de densité… Dans le même temps, Jean-Christophe Combe, ministre de l’Autonomie, a commencé à sortir du bois le 4 avril dans le cadre des conclusions du CNR Bien Vieillir et a décidé en dernière minute d’alimenter la PPL d’amendements gouvernementaux conséquents en attendant de publier sa « feuille de route » début juin. On vous raconte tout ça dans l’ordre…

Acte I

Le CNR Bien Vieillir rend ses conclusions

Nous sommes le 11 octobre 2022. Jean-Christophe Combe installe ce qu’il appelle la «  Fabrique du Bien Vieillir  », un terme qui fait moderne mais qui ne veut rien dire et ne décrit aucune réalité tangible. Un peu comme à l’époque le «  Laroque de l’Autonomie  » lancé par Brigitte Bourguignon qui finalement, fit long feu. Ce soir-là, il lance le Conseil National de Refondation-Bien Vieillir et annonce trois chantiers : l’un sur l’adaptation de la société au vieillissement confié à Luc Broussy, auteur d’un rapport interministériel en 2021 et à Florence Thibaudeau-Rainot, adjointe au maire du Havre et 1ère vice-présidente du Département de Seine-Maritime ; L’autre sur la citoyenneté confié à Yann Lasnier, secrétaire général des Petits Frères des Pauvres et Martine Gruère, présidente de Old Up et enfin un troisième sur l’attractivité des métiers confié à l’ancienne ministre Myriam El Khomri et Dafna Mouchenik, présidente de LogiVitae. Mais le périmètre de ces trois chantiers étonne sur un point : on n’y trouve rien sur les Ehpad, rien sur la tarification, rien sur le reste à charge, rien sur le financement et rien évidemment sur la gouvernance.

On savait donc d’emblée qu’aussi sympathiques puissent être le moment venu les réflexions du CNR Bien Vieillir, elles ne déboucheraient sur rien de plus qu’une palanquée de nouvelles propositions. Et ça n’a pas raté : ce 4 avril dans l’amphi Laroque du Ministère, devant 150 personnes présentes et plus de 350 en visio, les 6 co-rapporteurs ont rendu leurs conclusions, compilation de sujets intéressants mais déjà entendus.

Myriam El Khomri a logiquement plaidé pour un électrochoc financier afin d’améliorer l’attractivité du secteur de l’aide à domicile. Luc Broussy a promu la diffusion d’Icope, proposé la création d’un service public de repérage des fragilités, l’instauration d’un forfait «  nouvelles technologies  » dans les Ehpad ou encore la mise en place d’un conseil interministériel de la transition démographique. Mais que deviendront toutes ces propositions ? Personne à ce stade n’en sait rien.

Acte II

Le Ministre fixe le cap…

Pour autant, en conclusion de cet après-midi de restitution, Jean-Christophe Combe en a profité pour dévoiler quelques axes. Il a d’abord indiqué que sa feuille de route était plus que jamais d’actualité et qu’il la rendrait publique fin mai-début juin même si à la fin de son discours, il n’évoquait plus que… le début juin. On se demande d’ailleurs bien pourquoi il lui faut attendre encore deux mois comme si les 6 mois précédents ne lui avaient pas suffi à savoir ce qu’il voulait. Mais, plus matamore que jamais, il a défié ses opposants : «  certains attendaient simplement une loi, nous serons plus ambitieux que cela  » ! Alors que LR, le RN, la Nupes et l’ensemble des fédérations demandent depuis des années – et a fortiori depuis que Macron lui-même s’y est engagé en 2018 – une Loi Grand Âge, le Ministre les renvoie dans leurs cordes : «  vous vouliez une Loi ?  » dit-il en substance, «  eh bien avec moi vous aurez mieux, vous aurez une «  réforme du grand âge  » !

Une réforme dont il a annoncé, probablement avec un humour involontaire, qu’elle serait constituée de «  trois briques  ». Ce qui a permis à un professionnel, dans la salle, de lâcher : «  déjà qu’avec 100 briques t’as plus rien, alors avec trois…  ». Première brique : la PPL des parlementaires de la Majorité présidentielle (on y revient juste après). Deuxième brique : un plan d’action présenté donc début juin. Troisième brique : le PLFSS de l’automne prochain pour tout ce qui nécessite un financement.

Quant à cette «  réforme  », elle tournera autour de quatre axes a annoncé le Ministre.

Il s’agira d’abord de «  simplifier la vie des personnes âgées, de leurs familles et de celles et ceux qui en prennent soin ». Il a ainsi évoqué la «  simplification drastique du portefeuille de formations existant  » ou « la suppression des quotas à l’entrée des formations initiales ». Il a aussi cité la création d’une carte professionnelle pour les intervenants du domicile – article déjà rejetée il y a un an par le Conseil Constitutionnel et désormais insérée dans la PPL «  bien-vieillir  » – ou la création d’un fonds pour financer des véhicules électriques pour faciliter la mobilité des aides à domicile.

Il s’agira ensuite de « repérer l’isolement social  » et de «  mieux prévenir la perte d’autonomie ». Ont été ici mentionnés la généralisation de l’outil Icope ou le concept de repérage des fragilités pour renforcer les plans de lutte contre l’isolement.

Priorité sera mise aussi sur la simplification de «  l’accès aux services publics et à l’offre  ». Le Ministre entend par là avancer sur le «  service public local de l’autonomie  » défendu par Dominique Libault, sorte de guichet unique qui devra organiser des réponses claires pour les personnes en perte d’autonomie (numéro unique, points d’information physiques, réponse coordonnée sur tout le parcours). Du coup, le Gouvernement a décidé d’avancer dès la PPL en proposant que le Service Public Territorial de l’Autonomie (SPTA) fasse l’objet d’un amendement du Gouvernement.

Enfin, le Ministre s’est fixé deux derniers objectifs, celui de « lutter contre les maltraitances  » et de «  moraliser le secteur du grand âge  ». Rien que ça… Pour juguler le fléau de la maltraitance, le Ministre a trouvé une idée géniale à laquelle personne n’avait pensé avant lui : organiser … des «  Etats généraux de la maltraitance  ». Plus prosaïquement, il s’agira d’installer dans chaque département une coordination de la réponse aux alertes.

Quant à la «  moralisation  », Jean-Christophe Combe a expliqué qu’il s’agissait là d’un sujet «  sur lequel nous devons être ambitieux mais sans céder à la démagogie ». Ce qui est généralement le meilleur moyen d’avertir qu’en réalité c’est bien l’inverse qui va se passer. Le Ministre a donc redit que la place des ARS devait être davantage «  sur le terrain  » ce qui devrait accroître plus encore le retard accumulé dans le renouvellement des CPOM, les agents ne pouvant être partout.

Mais il a ensuite ciblé exclusivement le seul secteur commercial accusé par principe d’être un coupable potentiel. Les groupes commerciaux devront donc tous se transformer en entreprise à mission. Et devront affecter une part de leurs bénéfices à l’amélioration du service aux usagers… Non seulement, les 78% d’Ehpad français non commerciaux semblent exempts de tout effort en termes de «  moralisation  » mais les groupes privés semblent tous suspects par principe et sommés dès lors de payer pour l’affaire Orpéa. Pas certain donc ici que l’ambition soit au rendez-vous, la démagogie en revanche certainement.

Acte III

Une Petite PPL en débat au Parlement

Il nous faut revenir ici sur cette fameuse proposition de loi (PPL) émanant des députés de la majorité (Renaissance, Horizons, Modem) qui avait été déposée en décembre, quelques jours avant Noël. Cette «  PPL  » avait pris alors la forme d’une petite proposition de loi de 14 articles, sorte de fourre-tout de sujets plus ou moins anecdotiques. Tout le monde s’était un peu moqué de cette «  PPL  » pensant de toute façon qu’elle ne viendrait pas de sitôt en discussion à l’Assemblée Nationale. Et pourtant…, coup de théâtre fin février lorsqu’on apprend que le Gouvernement a décidé d’inscrire cette PPL à l’ordre du jour pour début avril.

Pourquoi, alors que la feuille de route de Combe est attendue pour fin mai, mettre à mal ce calendrier pour débattre dès le début avril d’une PPL sans ambition ? Personne n’a de réponse cohérente à cette question. Au point que lorsque Monique Iborra, députée Renaissance, spécialiste de ces sujets depuis 2017, s’est aperçue que le Gouvernement ne musclerait pas cette PPL par des amendements ambitieux, elle a préféré démissionner de son poste de co-rapporteure de la loi plutôt que d’accepter une nouvelle couleuvre.

Acte IV

Une PPL soudainement «  améliorée  »

Sauf que, au cours des tous derniers jours, cette PPL s’est un peu musclée. D’abord par les apports des députés eux-mêmes lors des réunions de la commission des affaires sociales qui se sont tenues entre les 4 et 6 avril. Un article a ainsi institué «  un référent prévention, bénévole ou salarié  » au sein de chaque Ehpad. Un autre permet de fournir aux Maires le nom des bénéficiaires de l’APA sur sa ville pour les inscrire sur le registre canicule. Un amendement du Modem souhaite rendre «  obligatoire l’élaboration d’un projet d’accueil et d’accompagnement personnalisé dans les deux mois suivant la conclusion du contrat de séjour ». Un autre amendement « renforce le rôle du médecin coordonnateur » des Ehpad en lui permettant notamment «  de réaliser des prescriptions médicales  » pour les résidents. Un amendement venant de la députée Laurence Cristol (Renaissance, Hérault) qui est par ailleurs médecin coordonnateur en Ehpad, a été adopté en commission. Son but ? « Améliorer la quantité et la qualité des repas dans les Ehpad pour prévenir et lutter contre la dénutrition ». Le moyen ? «  Respecter un cahier des charges relatif à la quantité et à la qualité nutritionnelle des repas proposés ». Rien de révolutionnaire ici, mais tout de même, des améliorations sensibles.

Puis à quelques jours du débat en séance publique, le Gouvernement s’y est mis à son tour en proposant une grosse dizaine d’amendements, ceux, au fond, annoncés par le Ministre lui-même dans son discours du 4 avril.

Mise en place d’un Service Public Territorial de l’Autonomie, mise en œuvre de l’outil Icope pour intensifier la prévention, obligation pour les Ehpad de renseigner leur taux d’encadrement en personnel dans le site de la CNSA «  pourlespersonnesagees.gouv.fr  », réaffirmation de l’objectif de 50.000 soignants de plus en Ehpad d’ici la fin du quinquennat (engagement présidentiel dont doutent les députés macronistes eux-mêmes…) etc…

Enfin, on l’a dit, le Gouvernement a inséré un article demandant aux Ehpad privés de réinvestir une partie de leurs bénéfices à l’amélioration de la qualité de vie des usagers. Un article … qui permet aux députés macronistes de donner des gages … à la Nupes. Peu importe si une grande partie des marges des grands groupes va déjà – évidemment et heureusement – à la rénovation immobilière des murs de leurs Ehpad.

Cette PPL, même améliorée, n’a qu’un rapport lointain avec la grande loi qu’attendaient les professionnels. Mais, comme diraient les perplexes, c’est tout de même mieux que rien. D’autant que lorsqu’elle passera dans quelques semaines devant le Sénat, les sénateurs de droite comme de gauche devraient prendre un malin plaisir à l’améliorer très franchement. Peut-être au grand dam cette fois du Gouvernement lui-même.

Acte V

Jérôme Guedj «  ambiance  » le débat

Pendant que le Gouvernement défendait devant le Parlement une PPL somme toute assez modeste face à des parlementaires LR ou Nupes franchement hostiles, le député PS-Nupes Jérôme Guedj en profitait pour sortir «  sa  » PPL. Sauf qu’en lieu et place de 14 articles, lui, en a publié … 166 ! Un véritable PPL qui, elle, contrairement à celle de la majorité, ne fait l’impasse sur aucun sujet : logement, ville, mobilités, gouvernance, financement, tout y passe. Plus malin encore, le député de l’Essonne écrit tous ses articles sur la base des propositions des Rapports Libault, El Khomri ou Broussy, pour mieux expliquer qu’en s’inspirant de ces rapports le Gouvernement aurait pu présenter un projet bien plus sérieux et surtout bien plus complet.

En le présentant à la presse le 11 avril, Jérôme Guedj avait moins l’intention de modifier profondément l’équilibre de la PPL de la majorité que de mettre en exergue son peu d’ambition.


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